‘‘Persécuté’’, il observe une grève de la faim
Al Hassane Hane s’est finalement fait violence, comme il se l’était promis. Auteur d’un rapport circonstancié en 2013 sur les manquements de la compagnie Sénégalair, avant le crash de 2015, les contrecoups de sa responsabilité font de lui un ‘‘paria’’ dans l’aviation civile, depuis quatre ans. Il a entamé une diète, ce samedi, pour dénoncer les persécutions qu’il vit.
Il aurait pu rester dans sa petite bulle confortable de technicien avionique supérieur. Mais le devoir de conscience qui l’habite lui a interdit toute couardise au point qu’il s’est posé en ‘‘whistleblower’’, en lanceur d’alerte. Al Hassane Hane a produit le rapport circonstancié sur les insuffisances de la flotte aérienne de Sénégalair. Il a tenté de dessiller une cécité administrative qui a conduit à la catastrophe de l’aéronef de la compagnie, le 5 septembre 2015. Mal lui en a pris. Le technicien supérieur avionique, ancien militaire, dit subir toutes sortes de ‘‘persécutions’’, depuis lors. Son manque de compromission dans le dossier du crash le place à la croisée d’énormes difficultés qui l’empêchent d’accomplir sa vocation dans l’aviation civile.
Avec ses qualifications aussi rares pour un métier aussi exigeant, Hane, au bout du rouleau, cherche boulot depuis quatre ans. Sa patience de Job sérieusement érodée, il pousse un coup de gueule. ‘‘On ne peut pas me sacrifier, car j’ai pris les armes pour défendre ce pays. Ceux qui n’ont pas eu l’audace de le faire n’ont pas le droit de torpiller ma carrière’’, lance-t-il vigoureusement, malgré sa diète entamée la veille. Alité sur un matelas posé à même le sol d’un salon aux murs dégarnis, tout indique la sobriété dans sa demeure de Terme Sud, Ouakam, avec un téléviseur écran plat comme unique concession au luxe.
‘‘Les enfants me demandent depuis hier pourquoi leur père ne se nourrit pas’’, déclare dignement son épouse Aïssatou Diouf, forte dans l’épreuve que vit son couple, depuis quatre ans. Car bien avant ce rapport, Al Hassane Hane dit avoir eu un contentieux foncier avec certains officiers de l’armée de l’air qui voulaient se servir de leurs positions pour s’accaparer les terres de Terme Sud. Mais ses véritables difficultés sont survenues, après qu’il a envoyé un rapport circonstancié, le 17 avril 2013, au Dg de l’Agence nationale de l’aviation civile et de la météorologie (Anacim) sur les insuffisances de la flotte aérienne de Sénégalair. Un licenciement pour motifs économiques s’ensuivit.
Il accuse ouvertement les lobbies tapis dans cette agence d’être à l’origine de ses déboires. ‘‘La principale structure que je désigne comme responsable, c’est l’Anacim qui s’occupe de la chose aéronautique, à laquelle je me suis adressée (...) Il faut que le Dg explique à l’opinion pourquoi toutes ces manœuvres visant à obstruer toutes mes candidatures à l’Asecna, à Ahs, à la Haute autorité, et même à l’Anacim où je ne juge personne plus capable que moi d’assurer la surveillance de la navigabilité des appareils’’, dénonce-t-il.
‘’Le procureur doit ouvrir les débats sur cet accident’’
Engagé volontaire dans les forces armées sénégalaises, depuis le 1er janvier 1986, après un bref passage au Centre de formation professionnel aéronautique d’Air Afrique à Dakar (Cefopad), il ‘‘totalise à ce jour près de trente-quatre années d’expérience dans le domaine de l’aviation’’. Titulaire d’un diplôme supérieur de spécialité en Systèmes électroniques de bord (Seb) de l’Académie royale militaire de Marrakech au Maroc, il a fait partie de la cellule Fokker F27 de l’armée de l’air, en qualité de chef d’équipe de maintenance. ‘‘Le premier responsable de la base aérienne à l’heure actuelle a été mon stagiaire, tout autant que les techniciens de l’avion présidentiel. J’ai été leur instructeur’’, précise-t-il pour ne laisser aucune place au doute sur ses compétences.
A la lumière des résultats du Bureau d’enquête et d’analyse (Bea) sur le crash de l’avion médicalisé, en septembre 2015, il explique ne pas comprendre ce renversement des rôles dans la reddition des comptes. ‘‘Ceux qui doivent des explications à la justice, après les résultats de l’enquête technique du Bea, n’ont pas à s’en prendre à ma carrière. Le procureur doit ouvrir les débats sur cet accident, on ne peut pas en rester là. S’ils sont toujours à leur poste, ils n’ont pas le droit de torpiller ma carrière, car je suis père de famille et j’ai des enfants à nourrir. Hors du Sénégal, je ne vois pas un endroit au monde où je resterai au chômage’’, défend-il.
Me El Hadji Diouf
Le technicien est convaincu que ses lettres adressées à la Présidence n’ont jamais atteint cette destination. Après le crash du 5 septembre 2015, le rendu dans la presse n’a pas été à son goût et Thierno Alassane Sall en a profité pour le monter contre l’autorité suprême. ‘‘Je suis militaire de formation, je n’ai jamais pensé insulter le président de la République et le Premier ministre’’. Son dossier manquant manifestement de notoriété, le technicien trouve que Me El Hadji Diouf, pour ‘‘sa sensibilité aux causes sociales’’, présente le profil idéal pour prendre les choses en main. ‘‘C’est quelqu’un que je crois capable de porter tout le message que je veux véhiculer à l’endroit des autorités. Ma femme et mes enfants ne peuvent pas servir de chair à canon’’, avance-t-il.
D’ailleurs, c’est le moment que choisit son épouse pour faire savoir que ce dernier a même vendu la maison qu’il possédait pour faire face aux besoins pressants. ‘‘Certaines de ses connaissances professionnelles m’appellent pour demander qu’il se taise ; qu’en parler ne fait qu’aggraver son cas. Mais tout ce qu’il a fait jusque-là, c’était pour protéger les gens’’, déclare-t-elle, manifestement dépassée par la situation et celle de leurs enfants qui ont dû être retirés de l’école privée pour poursuivre leurs études dans le public. Loin de la crise de désespoir, son époux n’exclut pourtant pas une solution extrême. ‘‘Je proteste vigoureusement contre ce traitement qui est fait à ma carrière. Si rien n’est fait, j’ai les moyens, au péril de ma vie, de montrer à tous que je ne compte pas me laisser abattre’’, prévient-il.
OUSMANE LAYE DIOP