Publié le 18 Sep 2025 - 16:12
APRÈS 17 ANS DE SERVICE AUPRÈS DE CHEIKH AMAR

Ousmane Seck alias Bouba traduit en justice

 

Le tribunal des flagrants délits de Dakar a été le théâtre d’un procès au parfum de trahison et de scandales financiers, opposant l’homme d’affaires Cheikh Amar à son ancien collaborateur de longue date, Ousmane Seck, plus connu sous le sobriquet de « Bouba ». Poursuivi pour escroquerie portant sur un montant de 37 millions de francs CFA et pour injures non publiques, le prévenu a livré devant la barre un récit mêlant confidences personnelles, accusations explosives et plaidoyers de loyauté. L’affaire a mis en lumière la complexité des relations entre les deux hommes, où se croisent amitié, confiance, argent et soupçons de manipulation.

 

Selon ses propres déclarations, Bouba travaillait aux côtés de Cheikh Amar depuis dix-sept ans. « J’étais son chauffeur, son conseiller et son garde du corps », a-t-il confié, soulignant la proximité qui le liait à l’homme d’affaires. Au fil du temps, il aurait également servi d’intermédiaire financier, distribuant d’importantes sommes d’argent à des personnalités religieuses et politiques du pays.

Mais la brouille serait née d’une affaire de véhicule. Un 4×4 Toyota, dont l’achat devait initialement se faire pour le compte de Cheikh Amar, se retrouve au cœur du litige. Bouba affirme que le plaignant lui avait offert le véhicule, le quatrième d’une série de voitures offertes depuis 2009. « Quand ma femme est allée à Dubaï, elle a vu un modèle à 13 millions. J’en ai parlé à Cheikh, qui a même ajouté trois millions pour l’achat. J’ai conduit la voiture pendant sept mois avant qu’il ne veuille la récupérer. Mais je lui ai dit qu’elle m’appartenait », a expliqué le prévenu, niant toute intention frauduleuse.

Au-delà de ce différend matériel, Bouba est également poursuivi pour injures. Il a reconnu devant la juridiction être l’auteur d’audios circulant sur les réseaux sociaux, dans lesquels il traitait Cheikh Amar de voleur. À la barre, il a tenté de se justifier : « Un jour, nous étions chez Abdoulaye Wade. Cheikh y avait retiré 50 millions, et c’est Wade lui-même qui l’a traité de voleur avant de le chasser. J’ai juste répété ce que j’avais entendu ». Le juge l’a aussitôt rappelé à l’ordre : « Ce que Wade aurait dit n’engage que lui. Est-ce que cela était avéré ? ». Une manière de souligner que l’argument ne dédouane pas le prévenu de ses propres propos.

Dans son récit, Bouba a longuement insisté sur l’influence néfaste qu’aurait eue une des épouses de Cheikh Amar sur les affaires et la fortune de ce dernier. « Ses frères et moi lui avions dit qu’elle était une voleuse. Elle a fini par le ruiner », a-t-il dit. Le prévenu a ainsi tenté de présenter son ancien patron comme une victime de manipulation, arguant que leur différend n’était qu’une conséquence indirecte de l’influence de cette femme. Pour Me Bachir Lo, avocat de Cheikh Amar, le cœur du dossier se résume en un mot : l’ingratitude. « Aujourd’hui, c’est le procès de l’ingratitude que nous tenons. Depuis 2009, il a reçu quatre véhicules de mon client. Il reconnaît lui-même avoir bénéficié de ses largesses. Mais après avoir colporté des rumeurs infondées, il vient ici dire qu’un ancien président aurait traité Cheikh de voleur. Peu importe, les faits sont là : il a détourné un véhicule acheté par mon client et il l’a enregistré en son nom », souligne Me Lo.

L’avocat a rappelé que la plainte visait autant à obtenir réparation qu’à envoyer un signal fort : « On l’a fait pour montrer que dans ce pays, l’égalité devant la justice doit être respectée, peu importe la notoriété ». La partie civile réclame ainsi 37 millions de francs CFA, correspondant au préjudice subi, et demande l’exécution provisoire de la contrainte par corps. Dans son réquisitoire, le ministère public a demandé une requalification des faits d’escroquerie en abus de confiance, estimant que Bouba avait bel et bien acquis le véhicule grâce à Cheikh Amar avant de l’immatriculer à son nom. Concernant les injures, le parquet a retenu leur caractère public, sollicitant à ce titre une peine de six mois de prison ferme.

La défense de Bouba, composée de plusieurs avocats, a plaidé pour la relaxe pure et simple. Me Tall a renvoyé la balle à la partie civile, interrogeant : « Qui est réellement ingrat dans cette affaire ? Si injustice il y a, elle est du côté de l’accusation ». Selon lui, le dossier malmène l’article 457 du Code de procédure pénale et ne repose sur aucun fondement solide. Me Barro a renchéri : « Les faits reprochés à mon client ne sont pas établis ». Quant à Me El Hadji Diouf, il a insisté sur la fragilité de la position de Bouba face à la machine judiciaire : « Mon client est une victime emprisonnée à tort, parce qu’il n’avait pas les moyens de convaincre devant les policiers ». sLes avocats de la défense ont également rappelé que, selon la loi, les injures publiques sont sanctionnées d’une amende et non d’une peine d’emprisonnement, demandant au tribunal de rejeter les réquisitions du parquet.

Après des heures de débats intenses, de révélations parfois explosives et de plaidoiries nourries, le tribunal a mis l’affaire en délibéré. Le verdict est attendu pour le 24 septembre.

MAGUETTE NDAO

Section: