Ousmane Sonko, le feu, les fers et les risques de déchéance
Depuis mars 2021, le leader de Pastef a traversé plusieurs épreuves dont le point d’orgue semble être la dernière procédure enclenchée contre lui. Retour sur deux années de galères.
Comme l’avait dit le général De Gaulle, ancien président français, ‘’les emmerdes, ça vole toujours en escadrille’’. Dans le cas d’Ousmane Sonko, ces deux dernières années ont été un enchevêtrement de tracasseries policières et judiciaires qui l’ont conduit jusqu’à son inculpation pour sept chefs d’inculpation : appel à l’insurrection, association de malfaiteurs, atteinte à la sûreté de l'État, Association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, entre autres.
Cette longue descente aux enfers a débuté une journée de 3 mars 2021, lorsqu’il a été convoqué au tribunal pour son audition concernant l’affaire du viol l’opposant à la masseuse Adji Sarr. Un différend concernant l’itinéraire du convoi d’Ousmane Sonko a occasion l’incarcération du principal opposant au régime dans les locaux de la caserne Samba Diery Diallo, déclenchant une série d’émeutes populaires qui feront une vingtaine de jeunes tués et des centaines d’autres blessés à Dakar et dans les régions. La situation socioéconomique liée au confinement et aux restrictions Covid a accentué ce phénomène de tensions qui ont fini par embraser tout le pays. Commerces, stations-service et même les édifices publics ont été vandalisés par les manifestants qui réclamaient la libération d’Ousmane Sonko qui sera finalement placé sous contrôle judiciaire par la justice sénégalaise.
L’autre embardée de la carrière politique d’Ousmane Sonko, ce fut les différentes péripéties liées à l’affaire de diffamation l’opposant au ministre du Tourisme Mame Mbaye Niang. Après divers renvois et controverses liés aux auditions devant le tribunal, la justice a permis d’établir les faits en condamnant Ousmane Sonko, le 9 mai 2023, pour diffamation et diffusion de fausses nouvelles. Lors de ces auditions, le maire de Ziguinchor avait même dénoncé une tentative d’assassinat de la part des forces de l’ordre, attestant avoir été aspergé d’un liquide douteux qualifié de poison. L’opposant avait aussi indiqué être victime de brutalités de la part des forces de l’ordre qui ont brisé les vitres de sa voiture pour l'extirper de force, le 16 février 2023. L’ancien inspecteur des impôts et domaines a pris prétexte de cette violence pour ne pas assister au procès.
L’affaire, qui est désormais entre les mains des juges de cassation, reste toujours en instance de jugement et la cour devrait incessamment valider ou infirmer la décision du tribunal de Dakar. Boubacar Cissé, avocat du ministre, a déclaré que la condamnation exclurait Sonko du scrutin présidentiel de 2024, si elle était confirmée à l'issue d'une période d'appel de six jours.
Émeutes du 1er et du 2 juin, bascule dans l’horreur
Sa condamnation pour corruption de jeunesse et la perspective de son emprisonnement à l’issue du procès contre Adji Sarr ont aussi déclenché une série de manifestations à Dakar et à Ziguinchor, le 1er et le 2 juin dernier. Si pour l’heure, l’État a dénombré 16 morts, des organisations des Droits de l’homme comme Amnesty International parlent, elles, de 23 morts ainsi que plus de 500 blessés. Les dégâts matériels (stations-service, boutiques et supermarchés, mairies et bâtiments des sociétés parapubliques, bus) ont fait les frais de la fureur des manifestants.
Face à cette déferlante, le gouvernement a procédé à des interruptions temporaires des réseaux sociaux et la suspension du signal de Walf pour éviter un embrasement général.
Une bascule qui a failli avoir lieu avec la caravane de Sonko sur Dakar. Le périple de l’opposant s’est achevé au sortir de la ville de Koungheul où le leader de Pastef a été appréhendé par les forces de l’ordre. Les autorités ont précisé qu’Ousmane Sonko avait été emmené par eux vers la capitale, le 28 mai 2023. Le ministre de l’Intérieur, Antoine Felix Diome, a indiqué des raisons de sécurité pour mettre fin à cette caravane considérée comme “illégale” et qui a eu lieu “sans demande d’autorisation de marche". Les forces de l’ordre vont barricader son domicile, l’empêchant de recevoir toute visite et de pouvoir communiquer avec ses avocats. Le blocus fut levé lundi dernier, laissant brièvement libre de ses mouvements Ousmane Sonko aujourd’hui incarcéré.
Last but not least, la charge, sabre au clair, du procureur Abdou Karim Diop qui s’est livré à un vrai réquisitoire contre le chef de Pastef avec vidéos et messages audio à l’appui, après l’incarcération d’Ousmane Sonko dans les locaux de la Brigade des affaires générales (Bag), une entité de la Division des investigations criminelles (Dic) à la suite d’une altercation avec une gendarme, le vendredi 28 juillet 2023. L’altercation puis l’action d’arracher le téléphone de la gendarme ne furent qu’un élément déclencheur dans la série de nouvelles poursuites à l’encontre d’Ousmane Sonko.
L’actuel maire de Ziguinchor et candidat à la Présidentielle est désormais poursuivi pour sept chefs d’inculpation, à savoir : appel à l’insurrection, association de malfaiteurs, atteinte à la sûreté de l'État, association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, complot contre l'autorité de l'État, actes et manœuvres à compromettre la sécurité publique, vol.
Le coup de grâce du procureur au destin politique de Sonko ?
Selon nos informations, l’ancien inspecteur des impôts et domaines bénéficie d’un retour de parquet. Ousmane Sonko mis à la disposition du procureur sera présenté devant le doyen des juges ce lundi 31 juillet. D’après nos sources, au regard des faits qui lui sont reprochés, il encourt un mandat de dépôt et un emprisonnement à la prison de Rebeuss.
Cette situation viendrait conclure deux années très mouvementées d’Ousmane Sonko qui, entre mars 2021 et juillet 2023, n’a pas été un long fleuve tranquille. L’opposant qui se dit victime d’un complot de la part de l’État, a vu son parcours politique freiné par cette série d’affaires judiciaires. Ses tournées ‘’Nemeku Tour’’ ont rapidement tourné en eau de boudin avec de violents affrontements à Tchiky, dans la région de Thiès. Plusieurs de ses gardes du corps ont été emprisonnés à la suite de ces affrontements avec des partisans du pouvoir en novembre 2022. Sur ce, cette nouvelle affaire est le point d’orgue d’une sorte de cauchemar pour le leader de Pastef qui, si les faits sont confirmés, risquent entre 5 et 20 ans de prison.
Ainsi, l’engrenage judiciaire pourrait briser le champion de la rue sénégalaise. Et ce monstre froid qui est l’État pourra se gausser d’avoir fait tomber le ‘’trublion de la République’’ qui menaçait de détricoter le système politico-social qui régit notre pays depuis Senghor.
Mais cette victoire à la Pyrrhus du régime risque d’enterrer la crédibilité de dame justice, garante d’une démocratie juste et égalitaire. Par ailleurs, les élites doivent prendre garde de ne pas chercher à faire de Sonko un nouveau Sankara, un martyr d’une jeunesse en révolte contre l’establishment incapable de répondre aux aspirations de la jeunesse. D’autres ‘’bébés Sonko’’ risquent d’émerger dans ce terreau fertile de contestation des élites dirigeantes qui ont un devoir de pousser vers plus d’introspection leurs méthodes de gouvernance et de gestion du pouvoir politique à même de répondre aux aspirations actuelles du peuple.
AMADOU FALL