Le froid récit de l’horreur
Le Parquet a requis mardi les travaux forcés à perpétuité contre Pape Mor Djitèye accusé d’avoir assassiné, en 2011, le vendeur de véhicules, Boutèye Kounta Ndiaye. Son co-accusé et ami d’enfance, Talla Diassé, encourt 10 ans ferme pour association de malfaiteurs, recel de malfaiteurs et non-dénonciation de crime.
En conseillant à son défunt époux de se lancer dans la vente de véhicules pour ne pas rester oisif à cause de la retraite, Diané Ndiaye était loin d’imaginer que son époux allait trouver la mort en faisant un travail aussi pépère. Car c’est un banal rendez-vous d’affaires, le lundi 9 mai 2011, qui s’est transformé en rendez-vous de la mort. Ce jour-là, Boutèye Kounta Ndiaye, ex-agent de la Société nationale de recouvrement (SNR) à la retraite reconverti en concessionnaire de voitures de luxe, avait la veille reçu une proposition d’achat de son véhicule de marque Porsche Cayenne pour une valeur de 20 millions. En quittant son domicile à la Cité Keur Damel, il avait promis à son épouse de revenir très vite, puisque le soir même, le couple devait s’envoler vers les USA pour assister à la graduation de leur fille à Boston.
Le sexagénaire n’a jamais été revu vivant. Car Pape Mor Djitèye, avec qui il avait rendez-vous, lui a ôté la vie dans des conditions atroces, avant de jeter son corps à Thiès. Lasse d’attendre, Mme Ndiaye a appelé son époux aux environs de 13 heures. ‘’Une voix masculine m’a dit : « Votre mari a oublié son téléphone dans mon bureau, mais ne vous en faites pas, je vais le lui apporter ». Même réponse au second appel. ‘’Au troisième appel, il m’a dit que mon mari était en train d’effectuer une opération à la banque. Quand j’ai demandé à lui parler, il m’a donné un numéro Expresso.
J’ai appelé et personne n’était au bout du fil jusqu’à ce que je raccroche’’, a raconté la veuve à la barre de la Chambre criminelle du Tribunal de Grande instance de Dakar. C’est à ce moment qu’elle a commencé à être gagnée par l’angoisse car aucun des numéros n’était accessible. Elle s’est affolée, lorsqu’elle a reçu un message du téléphone de son époux disant : « Il ne faut pas me déranger car je suis à la banque ». « Là, j’ai commencé à douter car il n’avait pas l’habitude de m’envoyer des messages. Celui que j’avais reçu était laconique et plein de fautes’’, a ajouté l’ancienne fonctionnaire internationale, s’exprimant d’une voix calme.
A 18 heures, elle n’avait toujours pas de nouvelles. Elle a commencé à imaginer le pire et a saisi la police qui, sans tarder, a lancé le signalement du véhicule sur toute l’étendue du territoire. Dès le lendemain, les éléments du poste frontalier de Kounkané ont intercepté la voiture à la frontière guinéenne où Pape Mor Djitèye était tombé en panne, suite à une crevaison. Arrêté puis transféré dans les locaux de la Division des investigations criminelles (DIC) pour interrogatoire, le mis en cause a, dans un premier temps, avoué avoir agi de connivence avec un certain El Hadj Mar et El Hadj Malick Guèye pour voler la voiture de la victime et la conduire ensuite en Guinée Bissau. Ils devaient y rencontrer un commandant de la police locale et troquer le véhicule contre 5 kilos de cocaïne qu’il devait ensuite ramener à Dakar. Il avait aussi confié que les acquéreurs de la voiture avaient déjà donné un acompte de 5 millions de francs CFA. Cette version a été changée six fois au fil de l’interrogatoire et de l’instruction.
Djitèye parle d’accident et décrit son crime
A la barre de la Chambre criminelle, Djitèye a évoqué la thèse de l’accident pour se disculper de l’assassinat. ‘’Je ne reconnais pas la préméditation. C’est un accident. Je vais raconter ce qui s’est réellement passé pour être quitte avec ma conscience car je n’oublierais jamais cette affaire’’, a d’emblée déclaré l’accusé, d’une voix calme. Faisant la genèse des faits, le technicien supérieur en informatique explique qu’il s’était reconverti en guide touristique, puis en convoyeur de véhicules. Ce qui lui a permis de tisser des relations avec des Bissau guinéens dont Viviano Lima qui, le mercredi d’avant les faits, lui a exprimé son désir d’acquérir une Range Rover. En consultant le site de Expat Dakar, il est tombé sur Boutèye Kounta Ndiaye qui l’a finalement convaincu d’acheter sa Porsche qu’il venait d’acquérir. Ainsi, les deux hommes se sont fixé rendez-vous le lundi au parking. De là-bas, ils se sont rendus auprès du mécanicien Alassane Ndoye, établi à Mermoz Ancienne piste. Ce dernier devait contrôler la voiture avant la finalisation de l’achat. Mais il était absent, tout comme l’autre mécanicien établi à Yarakh.
Djitèye, ayant au préalable mûri son plan, invita Boutèye Kounta Ndiaye à l’attendre dans un appartement de l’immeuble où était logé l’atelier du mécanicien. Le vendeur de véhicules qui ne se doutait de rien a fini par tomber dans le guet-apens, puisqu’il a accepté de patienter dans l’appartement. ‘’Au moment de franchir le seuil de la porte, j’ai aperçu la crosse d’un pistolet dans son sac. Alors, j’ai pris peur et je lui ai asséné un coup à la nuque avec une barre de fer. Il est tombé sur le dos et sa tête a cogné sur le sol’’, a narré l’accusé, niant catégoriquement avoir étranglé la victime avec la cravate. ‘’Je ne l’ai pas étranglé. Mais il a dû s’étouffer avec l’objet qui était dans sa bouche. Il bavait après la chute ’’, a allégué Djitèye. Dès qu’il a fini, le président Seck Diouf lui a rétorqué que son récit n’avait aucun sens, car si tant est que la victime avait son arme, il n’avait aucune raison de la sortir. ‘’Certainement il a eu peur à cause du désordre qui régnait dans l’appartement. Je vous jure que je n’avais pas l’intention de le tuer, car je ne suis pas quelqu’un de violent’’, a répliqué l’accusé.
‘’J’ai ensuite mis le corps dans un sac de riz’’
Le juge est revenu à la charge : ‘’Vous n’êtes pas violent ! Non seulement vous lui avez asséné un coup, mais vous l’avez aussi étranglé. Qu’est-ce que vous avez fait du corps ?’’ La réponse de Djitèye fut digne d’un scénario de film d’horreur et a fait naître un sentiment de dégoût et de mépris dans la salle. ‘’Lorsque j’ai constaté qu’il était mort, j’ai réfléchi un instant. Puis je lui ai ligoté les pieds et les mains, bâillonné la bouche, avant d’envelopper le corps avec ma couverture. J’ai ensuite mis le corps dans un sac de riz’’. L’accusé de poursuivre : ‘’Ensuite, je suis allé à la plage de Yarakh où j’ai trouvé deux Guinéens à qui j’ai demandé de m’aider à sortir du poisson, moyennant 1000 F chacun. Mais dès qu’ils ont soulevé le sac, ils ont fui’’. Alors pour se débarrasser du cadavre encombrant, Djitèye est retourné à Thiès solliciter l’aide de son ami d’enfance Talla Diassé.
‘’Il m’a dit qu’il avait tué par accident un homme qui devait lui vendre une voiture. Je lui ai suggéré de se rendre à la police. Il m’a dit que les policiers ne le croiraient pas et que je devais l’aider à se débarrasser du cadavre. Au début, j’étais réticent. Mais il m’a juré que je ne risquais rien’’, a confié Diassé, la tête basse. Exprimant ses regrets, il a expliqué les raisons pour lesquelles il a cédé aux sollicitations de son ami. ‘’J’ai agi par ignorance, mais comme je sais que c’est une personne sincère, j’ai accepté de l’aider. Car je me disais qu’il ne mettrait pas dans le pétrin l’homonyme de son fils. Mais je vous assure qu’on ne m’y prendrait plus’’, s’est dédouané Talla. Seulement son assistance n’était pas suffisante, d’autant plus qu’il est un handicapé moteur et qu’il fallait également à Djitèye un véhicule pour transporter le corps. ‘’J’ai appelé Maguèye Gaye, un chauffeur de « 7 places » en lui faisant croire que j’avais du poisson à transporter à Thiès où je devais le jeter en guise d’offrande pour la réussite de mon voyage aux USA’’, a renseigné Djitèye. Arrivés à Thiès, lui et son complice ont jeté le corps, sous un pont de la voie de contournement, à proximité de l’Ecole polytechnique.
Si Talla a été pris de remords, l’informaticien Djitèye a lui fait preuve d’une telle impassibilité et a même acheté des somnifères à son ami pour qu’il puisse dormir la nuit. Ensuite, ayant emprunté le chemin de l’exil vers la Guinée, il a été trahi par une crevaison. ‘’Vous avez eu le courage d’ôter la vie à une personne, de la mettre dans un sac et de jeter le corps. Mais pas celui d’avouer que vous l’avez tué froidement ?’’ lui a lancé avec dépit la représentante du Parquet, Ramatoulaye Ly Ndiaye, avant de lui demander pourquoi il n’avait pas avisé la police. ‘’J’avais peur d’aller en prison et d’ailleurs, jusqu’à présent, j’ai peur de la prison’’, a répondu l’accusé qui a fait une chute brutale, au moment où les avocats procédaient à l’instruction d’audience. Heureusement qu’il y a eu plus de peur que de mal car, après s’être relevé, il a bu de l’eau et l’audience s’est poursuivie avec les plaidoiries des avocats de la partie civile.
A défaut d’un complément d’information, la partie civile veut 200 millions
Ces derniers ont demandé un complément d’informations car ils estiment qu’il y a des non-dits dans cette affaire. A ce propos, Me Moise Ndior trouve suspect que beaucoup de personnes citées par Djité ne soient pas inquiétées. ‘’Il y a des questions toujours en suspens, comme le contenu des liaisons téléphoniques. Ce dossier est atteint de « complotite », de conspiration et il a été bâclé et biaisé’’, a renchéri Me Khassimou Touré, convaincu qu’il y a un assassinat bien conçu et savamment orchestré par le ‘’barbare’’ Djitèye. A défaut d’un complément d’enquête, Me Issakha Guèye a réclamé des dommages et intérêts d’un montant de 200 millions de francs CFA non sans préciser que Mme Ndiaye a soif de justice, mais ne se constitue pas pour de l’argent. ‘’Vous êtes là pour la justice. Vous avez bien défendu votre mari. Vous l’avez aimé pour le meilleur et pour le pire. Il est fier de vous, tout comme vos enfants’’, a ajouté Me Touré à l’endroit de la dame qui a craqué suite à ses propos.
Prenant la parole, le ministère public est revenu largement sur les faits avant de conclure : ‘’La façon avec laquelle il a conditionné le cadavre prouve à suffisance que Djité avait prémédité son acte. Il a utilisé un crime crapuleux pour arriver à ses fins qui était de voler le véhicule’’. Pour la répression, le substitut Ramatoulaye Ly Ndiaye a requis 10 contre Talla et la perpétuité contre Djitèye qu’elle a décrit comme un tueur froid qui a n’a exprimé aucun regret. Me Seyba Danfakha qui, dès l’entame du procès, a cherché à faire annuler la procédure, a demandé que l’assassinat soit requalifié en coups mortels, car son client n’avait pas l’intention de tuer, mais de s’emparer du véhicule.
Estimant que les conditions pour un complément d’enquête ne sont pas réunies, Me Ousseynou Ngom a soutenu que le recel criminel n’est pas établi à l’endroit de Talla Diassé. Il a cité « Khandjou », personnage d’un théâtre sénégalais qui a sacrifié sa virginité pour éviter que sa copine d’enfance ne soit la risée du village, après sa nuit nuptiale. Une manière pour l’avocat de dire que son client n’est pas ‘’un assassin crapuleux, mais que son seul tort, c’est d’être fidèle en amitié’’.
La Chambre criminelle rend son délibéré le 21 février prochain.
FATOU SY