Policier émérite, terreur des trafiquants de drogue, Adama Niane est passé de l’autre côté de la barrière : celui du trafic. En tout cas, le tribunal de Mbour en est convaincu. Il l’a condamné, hier, à 10 ans de travaux forcés. Récit d’une affaire rocambolesque et d’un procès épique.  

L’affaire remonte au 24 décembre 2015, lorsque la gendarmerie a reçu un coup de fil l’informant d’un échange de marchandise entre un trafiquant de chanvre indien et son fournisseur. Les pandores, dans une voiture pick-up banalisée, se sont pré-positionnés au stade Caroline Faye, lieu prévu de l’échange. Après des heures de surveillance, au moment où ils pensaient que c’était une fausse information et s’apprêtaient à décamper, ils ont aperçu une voiture de marque Peugeot 406 grise faire des appels de phares, en plein jour, à une Peugeot 405 rouge. Ce qui les a intrigués.

‘’J’ai fait un détour et je me suis placé devant la Peugeot rouge que conduisait Saër Niane. Au moment où le conducteur de la Peugeot 406 lui remettait un sac, j’ai démarré et cogné très fort la voiture rouge’’, raconte le gendarme Cheikh Diouf. Qui souligne que, dès qu’il a heurté la Peugeot rouge, le conducteur a voulu s’enfuir. ‘’Il a essayé de faire marche arrière, mais les pneus se sont embourbés. Il est sorti pour s’enfuir à pied. Nous sommes descendus de voiture pour le poursuivre. On a crié au voleur et les taximen l’ont attrapé. Je suis retourné prendre notre voiture. En ce moment, le conducteur de la 406 grise a démarré en trombe. Il a failli d’ailleurs renverser des piétons’’, ajoute le gendarme. Une version que réfute le policier.

Hier, devant la Chambre criminelle du tribunal de grande instance de Mbour, Adama Niane a déclaré qu’il n’a pas fui. Qu’il est resté sur place jusqu’à ce que les gendarmes quittent les lieux.

Toujours est-il qu’après cette première interpellation, les gendarmes ont entamé des recherches sur la plaque de la Peugeot 406 grise. Mais on leur a dit que la plaque n’était pas bonne. ‘’Alors pourquoi un policier conduirait une voiture avec une fausse plaque ?’’, a demandé le juge. Le policier a répondu que cela se fait souvent dans la police. Selon lui, son co-prévenu, S. Niang, était son indicateur. Un jour, ce dernier l’a appelé pour lui dire qu’il avait une information de taille. ‘’Je l’ai appelé vers 19 h pour lui demander s’il pouvait passer me voir. Il m’a dit que sa femme était malade et hospitalisée. Vers 22 h, je l’ai rappelé et il m’a donné rendez-vous le lendemain dans la matinée’’, explique A. Niane.

S. Niang : ‘’Il m’a menacé’’

Mais ‘’l’indicateur’’ a tenu une toute autre version. Saër renseigne que le policier l’avait appelé pour lui remettre de la marchandise. Et qu’une  première fois, il lui avait remis deux cornets de ‘’yamba‘’ de 250 grammes chacun pour qu’il les vende. Multirécidiviste, ayant déjà purgé une peine de 2 ans pour vente de chanvre indien, S. Niang soutient avoir refusé de revendre du chanvre pour le compte du policier. Mais que ce dernier a menacé de le faire coffrer, une fois de plus. ‘’Nous avions convenu d’un rendez-vous, mais des gendarmes nous ont surpris. Je lui avais dit que je ne prendrais plus sa marchandise, car j’avais promis de ne plus toucher à la drogue.  Mais il m’a menacé’’, raconte S. Niang. Là encore, le policier a battu en brèche les accusations de S. Niang : ‘’Il connait le chemin du commissariat. Pourquoi il n’est pas allé me dénoncer à mes supérieurs ?’’, s’est-il défendu.

En effet, lors de son interrogatoire, S. Niang a dénoncé le policier A. Niane. Ainsi, ce n’est que cinq jours après son arrestation que le policier s’est livré à la brigade de gendarmerie de Saly, accompagné de ses supérieurs. Il a soutenu que S. Niang était son indicateur. Et qu’il était payé 10 000 à 15 000 F, chaque fois qu’il lui filait un tuyau. ‘’Il me renseignait et me livrait des informations. Il m’a appelé pour me dire qu’il avait une information. Comme je ne cherche que des informations pour mes enquêtes, je suis allé à sa rencontre. J’ai 13 ans d’expérience. Et je n’ai eu que de très bons résultats’’, a déclaré A. Niane.

Mais le juge, le procureur et l’avocat de S. Niang ne comprennent pas pourquoi A. Niane n’est pas allé se présenter aux gendarmes et leur décliner son identité, au moment des faits. ‘’Je ne voulais pas interférer dans leur opération. Jusqu’au moment où ils partaient, je ne savais pas qui ils étaient’’, a répondu le policier. L’avocat de Saër Niang, Me Ibrahima Mbengue, a pris sa défense pour dire qu’entre policiers et gendarmes, les relations sont heurtées. ‘’Il y a une rivalité entre ces deux corps’’, a déclaré l’avocat. Mais le procureur n’est pas d’accord. Au contraire, il considère que les deux corps entretenaient une réelle collaboration. De ce fait, rien n’empêchait le policier d’aller aux nouvelles.  

Mais, là aussi, le flic a raconté une altercation à Saly au cours de laquelle un policier avait été battu par des gendarmes jusqu’à ce qu’il tombe dans le coma, parce qu’il avait interféré dans leur opération. Mais il n’a pas semblé convaincre le tribunal. Puisque le gendarme Cheikh Diouf dit avoir vu A. Niane remettre un sac qui contenait 2 kilos 500 grammes à S. Niang.

Le policier a nié en évoquant la jalousie du gendarme. ‘’Il est jaloux de moi. Il est auxiliaire gendarme et je le suis autant à la police. Et je faisais d’excellents résultats dans mes enquêtes’’, a dit le policier. Ces propos ont heurté le gendarme qui a fini par s’énerver.

Passe d’armes entre Me Touré et le procureur

Prenant la parole, l’avocat du policier, Me Khassimou Touré, a soutenu que cette affaire a des relents de coups montés. Selon lui, certains ont voulu se débarrasser de celui qui faisait tomber de grands caïds du milieu interlope. Et qu’il y avait des contradictions flagrantes entre les dates et les heures. 

En effet, le procès-verbal indique que les faits se sont déroulés le 24 décembre à 16 h. Alors que devant la barre, le gendarme a dit que c’était le 25 décembre vers 11 h. L’avocat ayant acculé le témoin, le procureur s’en est mêlé, en lui balançant : ‘’Si vous voulez savoir comment travaille la gendarmerie, allez vous informer.’’

Des propos qui ont fait sortir Me Khassimou Touré de ses gonds. S’en est suivi une longue passe d’armes avec le procureur, malgré les appels au calme du juge Thierno Niang. D’ailleurs, ce dernier a fini par suspendre l’audience pour quelques minutes.

Malgré une défense très rude de ses avocats, le policier A. Niane a écopé de 10 ans de travaux forcés. Son co-prévenu, S. Niang, reste en prison pour 4 ans pour association de malfaiteurs et trafic intérieur de chanvre indien.   

KHADY NDOYE (MBOUR)