Macky Sall, une pression sociale tous azimuts
Le président Macky Sall fait face, depuis plusieurs semaines, à un front social en ébullition : grogne dans le secteur de la santé, cherté du coût de la vie, baisse du pouvoir d’achat, grève des enseignants, entre autres. Une mauvaise conjoncture sociale qui a poussé Macky Sall a exhorté son gouvernement à œuvrer pour une baisse des denrées de première nécessité et à satisfaire les demandes des enseignants. De ce fait, le prochain remaniement risque aussi d’avoir comme principal objectif la résolution de la demande sociale.
C’est un front en pleine ébullition. De toute part, une colère sourde à céder la place à une déferlante revendicative : grogne dans le secteur de la santé, renchérissement du coût de la vie, crise scolaire, augmentation des prix du transport et du loyer, crise économique liée à la pandémie de la Covid-19.
Tous ces facteurs sociaux ont alimenté un fort mécontentement populaire qui s’est traduit dans les urnes, lors des Locales du 23 janvier 2022, selon quelques experts, par la percée de l’opposition dans les grands centres urbains.
La cherté de la vie, qui est matérialisée par la hausse du prix des denrées de première nécessité, ne semble connaître aucun frein, plongeant les “goorgorlus” dans un profond désarroi, avec des fins de mois de plus en plus difficiles. Le point d’orgue de cet emballement des prix de la consommation fut l’augmentation vertigineuse du prix du sucre. Le kilogramme du sucre est passé de 600 à 625 F, voire 750 F CFA au Sénégal, au cours de ce mois de février 2022. Cette hausse a du mal à passer auprès de la population sénégalaise qui subit de plein fouet la hausse des prix des produits de grande consommation, l’eau et l’électricité, entre autres.
Face au risque d’explosion sociale, le gouvernement de Macky Sall compte éteindre l’incendie social au plus vite. Le président Macky Sall a demandé récemment, en Conseil des ministres, au gouvernement de réunir le Conseil des prix pour étudier l’éventualité d’une baisse du prix du sucre. Dans la même foulée, le ministre des Finances et du Budget, Abdoulaye Daouda Diallo, a annoncé, samedi dernier, que le président Macky Sall lui a donné des instructions afin de travailler sur une baisse possible des denrées, notamment le riz et l’huile.
Dans le contexte budgétaire très difficile, le financement d’une telle baisse réclamerait une cure drastique pour la dépense publique. Quarante-six milliards de francs CFA ont été décaissés en 2020, pour maintenir le niveau des prix.
Crise scolaire : Opération déminage
Sur le front de la crise scolaire, l’Etat tente de déminer le terrain en multipliant les échanges avec les syndicats d’enseignants. Ainsi, le grand argentier de l'Etat, Abdoulaye Daouda Diallo, a présidé samedi dernier une rencontre avec les syndicats d'enseignants, au cours de laquelle l’État du Sénégal propose une enveloppe de près de 69 milliards de francs CFA", avant de décliner un certain nombre de mesures en faveur des enseignants : la défiscalisation des indemnités de logement, l’indemnité de l'enseignant et l'augmentation de la prime scolaire, entre autres.
Toutefois, les syndicalistes de l’enseignement public ont émis des réserves, tout en promettant d’étudier la proposition de l’État pour éventuellement faire des contre-propositions.
Les enjeux et défis sociaux du prochain gouvernement
Le prochain gouvernement devra résoudre un vrai casse-tête chinois. Comment influer sur une baisse des prix de première nécessité (subventions, exonérations d’impôts, taxes.) au risque de creuser le déficit budgétaire de l’Etat ? Comment assurer la viabilité de secteurs d’activité comme la boulangerie et les meuniers qui subissent les contrecoups de la conjoncture mondiale sur le marché du blé, tout en assurant des prix du pain accessibles au Sénégalais moyen ? Comment résoudre la crise scolaire en mettant en œuvre les différents protocoles d’accord signés avec les syndicats d’enseignants, tout en faisant face à des contraintes budgétaires dues à la crise économique liée à la Covid-19 ?
Autant de défis que doit relever la prochaine task force issue du prochain gouvernement qui aura pour mission principale de satisfaire la demande sociale. Les produits de grande consommation, pour la plupart, sont importés. Les procédures douanières et fiscales, source de devises pour le gouvernement, doivent être assouplies pour jouer sur les prix en gros et en détail de ces denrées comme l’huile, le riz et le sucre.
Déjà, Abdoulaye Daouda Diallo a indiqué que le gouvernement a fait beaucoup d’efforts à ce niveau, pour essayer de maintenir les prix à des proportions supportables par les consommateurs sénégalais. Il a informé que cet effort de stabilisation des prix a coûté à l’Etat 46 milliards de francs CFA, en 2021.
Vers une éventuelle baisse des prix des denrées de première nécessité
Selon Momar Ndao, Président de l’Association des consommateurs du Sénégal (Ascosen), l’Etat compte toujours s’inscrire dans cette même dynamique, en mettant en place de nouveaux mécanismes pour faire baisser les prix de l’huile, du riz et du sucre. ‘’Nous avons fait la réunion technique avec les responsables du ministère du Commerce sur trois produits : l'huile, le sucre et le riz. On a commencé à étudier les mécanismes d’amortissement (renoncement de taxes sur le riz et l’huile, calcul des marges) de la part de l’Etat et on devait passer à la réunion du Comité national des prix présidé par les ministres des Finances et du Commerce. Cette réunion devait se tenir lundi dernier, mais au dernier moment, la ministre du Commerce (NDLR : Assome Diatta) a perdu son père. La réunion a été ajournée’’, affirme Momar Ndao.
D’après le patron des consuméristes, ce travail est en bonne voie et devra permettre d’aller vers une baisse de ces trois produits, au sortir de cette réunion. ‘’Il va falloir que l’Etat sorte la nouvelle structure des prix, en donnant le prix à l’importateur, au grossiste et le prix au détaillant, et veiller maintenant à ce que ces prix soient respectés. Ceci va nous permettre d’avoir le bon prix qui sera revu à la baisse’’, soutient-il.
Orthodoxie budgétaire dans le fonctionnement de l’Etat pour renverser la fronde sociale
L’Etat du Sénégal compte aussi sur le rebond de la croissance attendu à 5,5 % et un taux d’inflation faible aux alentours de 2 %, selon la Banque mondiale, pour tenter de redonner du souffle au pouvoir d’achat des Sénégalais.
Par ailleurs, pour beaucoup d’économistes, l’autre voie de sortie serait que l’Etat travaille avec le secteur privé pour une hausse substantielle des salaires, afin de soutenir le pouvoir d’achat et relancer, ainsi, des secteurs comme le commerce.
Pour l’économiste Mansour Sambe, cette fronde sociale risque de perdurer, dans la mesure où l’Etat du Sénégal ne dispose plus de marge de manœuvre budgétaire pour faire face à l’enrichissement des denrées de première nécessité et aux demandes des enseignants et des travailleurs de la santé. ‘’Aujourd’hui, toute mesure d’amortissement sur les prix risque d'entraîner une baisse des recettes. Il faut savoir que l’Etat du Sénégal ne vit que de recettes. La marge de manœuvre de l’Etat est très étroite. Le gouvernement est en train de voir comment faire pour trouver de l’argent, alors que le pays est dans un déficit budgétaire de 6 %. De toute manière, il faut savoir que les prix vont augmenter, car l’année dernière avec la Covid, il y a eu une baisse de la demande mondiale. La croissance mondiale est en train de repartir et donc il faut savoir que 2022 et 2023, le coût de la vie va augmenter. D’autant plus que le Sénégal importe tout ce qui va se répercuter sur les prix de la consommation’’, soutient-il, avant d’indiquer que la seule manière d’apaiser le climat social est d’aller vers plus d’orthodoxie budgétaire dans le fonctionnement des structures de l’Etat.
‘’L’Etat ne dispose plus d’aucune ressource pour satisfaire les demandes de la Fonction publique. Macky Sall doit aller vers un gouvernement réduit avec 25 ministres, afin de montrer l’exemple aux populations. Une décision qu’elles ne manqueront pas de saluer et qui pourront y voir un effort de leurs dirigeants. Si Macky Sall met en place un gouvernement élargi, les enseignants et les travailleurs de la santé risquent de se braquer un peu plus. Ainsi, la seule voie de sortie pour obtenir des ressources budgétaires supplémentaires, c’est d’agir sur une baisse du fonctionnement de l’Etat’’, conclut-il.
Makhfouz NGOM