Publié le 22 May 2019 - 03:34
BAFODE KALLO, ADMINISTRATEUR CIVIL A LA RETRAITE

Parcours d’un serviteur chevronné de l’Etat

 

Né en 1955 à Marsassoum, Bafodé Kallo a été sous-préfet dans plusieurs localités du Sénégal. Aujourd’hui à la retraite, il partage son expérience avec les nouvelles générations d’administrateurs. La délicate question de la gratuité de l’eau à Touba, la cohabitation intelligente entre la République et la royauté à Oussouye, les élections locales de 2009 à Ndoulo… Retour sur une riche carrière aux multiples rebondissements.

 

L’homme a blanchi sous le harnais. A la postérité, il décide de livrer toute une mine d’informations tirées de son riche parcours, au service de l’Administration territoriale et des populations. Les nuits d’insomnie, les insultes et offenses d’administrés, les accusations fortuites de la presse… Bafodé Kallo en a avalé des couleuvres. Dans le livre ‘’Le Commandement territorial ou la parole d’un muet’’, il retrace les étapes les plus palpitantes de cette riche carrière. Ainsi revient-il sur les étapes de Touba, d’Oussouye, entre autres. Deux villes qui ont la particularité d’être assez ‘’spéciales’’. La première a son khalife général. La seconde, son roi. Dans l’une comme dans l’autre, il faut s’armer de beaucoup de qualités d’un bon manager pour réussir sa mission.

Dans l’une comme dans l’autre, la République, souvent, est amenée à revoir ses principes directeurs. Mais comme partout, être délégué du chef de l’Etat requiert un certain esprit de dépassement et de don de soi, fait savoir l’administrateur à la retraite.

Dans le département de Mbacké, en qualité d’adjoint au préfet, il se rappelle : ‘’La journée me paraissait insuffisante pour boucler tous mes dossiers. J’enchainais jusque tard dans la soirée. Je terminais quelquefois au-delà de minuit, au pire des cas à 1 h du matin. Oui, c’est parce que je me faisais obligation d’être plus que jamais endurant, compte tenu du volume de travail et de l’importance des dossiers.’’

Contrairement à ce que certains pourraient penser, ces représentants de l’Etat peuvent parfois être dans le dénuement le plus total. Avec des locaux délabrés, parfois sans même un véhicule, ils essaient, qu’il vente ou qu’il neige, de refléter l’Etat dans toute sa splendeur. Dans ce département du Baol, explique M. Kallo, il lui arrivait de quitter la préfecture tardivement. Sans véhicule parfois, il marchait dans la pénombre. S’il ne prenait pas de taxi pour regagner sa résidence sise à Mbacké Khéwar à 1,5 km. D’autres fois, son supérieur mettait à sa disposition son propre véhicule pour le transporter. A ces difficultés, s’ajoutait le défaut de chauffeur.

‘’L’autorité administrative avait parfois recours, dans certains de ses déplacements, aux bénévoles et c’était à son propre compte, même si le bénévolat était interdit’’, renseigne-t-il. Il n’empêche, hors de question, pour ces hommes du sérail de rester cloitrés dans leurs bureaux. ‘’L’Administration, soutient l’ancien sous-préfet, ce n’est pas dans les bureaux, c’est surtout sur le terrain. Les déplacements se font de jour comme de nuit, quand la situation l’impose. Une autorité administrative toujours cloitrée dans un bureau, sera aussi toujours débordée et surprise par le cours des évènements dans sa circonscription’’.

Durant toute la durée de sa carrière, partout où il est passé, dans le Centre, le Sud comme à l’Est, il a fait de ce principe une règle de conduite fondamentale.

Après la préfecture de Mbacké, Bafodé prendra du galon en tant que sous-préfet de l’arrondissement de Ndame. En cette qualité, il s’est davantage rapproché du khalifat de Touba et des réalités de la ville sainte. Ce n’est qu’en 2007 qu’il va être affecté à Oussouye, en tant qu’adjoint au préfet. Un département tout aussi particulier et sensible.

En effet, à Oussouye, la République vit aux côtés de la royauté. Dans cette collectivité locale, en 2008, un fait insolite a failli monter les communautés les unes contre les autres, rapporte l’auteur dans l’ouvrage. En fait, tout est parti de la décision des femmes animistes du village d’Essaout de choisir une prêtresse aux services des dieux des bois sacrés. Après 16 ans de recherches, ces dernières avaient fini de jeter leur dévolu sur une dame mariée, du nom d’Emma Diatta, qu’elles introduisirent le 19 mai. Celle-là se réclamait déjà fidèle de l’Eglise catholique. Son mari, Paul Diédhiou, voulut la libérer, mais se heurta au refus des femmes animistes. Il porta plainte. L’Administration territoriale était alors devant un véritable dilemme. En effet, l’une de ses règles d’or était de ne jamais se mêler aux affaires de religion. Mais, dans un tel cas de figure, elle ne pouvait rester inerte face à cette situation qui pouvait dégénérer. Lesquelles des réalités traditionnelles ou républicaines vont triompher ? Comment la bombe a été désamorcée ?... L’auteur donne plus de détails dans le livre.

Sur un autre registre, Bafodé Kallo regrette : ‘’Il est difficile de comprendre que les autorités administratives ne puissent pas jouir du passeport diplomatique au moment où beaucoup de leurs administrés en disposent.’’ Il demande également, arguments à l’appui, une revalorisation du statut des chefs de village ainsi que l’érection de Touba en département.

GRATUITE DE L’EAU A TOUBA

Ces unités industrielles qui se sucrent sur le dos de l’Etat et du khalife

Dans la ville sainte de Touba, l’administrateur civil, Bafodé Kallo, a pu s’imprégner de plusieurs réalités comme : le titre foncier de la commune, les champs de Serigne Saliou, la crise acridienne de 2004 qui avait dévasté beaucoup de champs… Mais le véritable problème, à l’en croire, c’est la lancinante question de la gratuité de l’eau. Il informe : ‘’Le khalife général, à l’époque de Serigne Saliou, s’était beaucoup investi en contribuant notamment à l’achat de carburant pour le fonctionnement des groupes électrogènes. Mais la gratuité de l’eau reste un véritable goulot d’étranglement. Le compte d’exploitation se résume en charges qui pèsent essentiellement sur l’Etat et quelques bonnes volontés.’’

En fait, si ce problème a su transcender les générations, c’est parce qu’aucun des khalifes n’a, jusque-là, voulu rompre d’avec cette tradition instaurée depuis les anciens.

Toutefois, les initiatives, selon l’auteur, n’ont jamais cessé de se multiplier. Et c’est dans ce sens qu’un comité d’initiative eau de Touba (Ciet) a été mis en place en son temps. Selon lui, ‘’Ce comité s’était investi dans une vaste campagne de sensibilisation pour inviter des bonnes volontés et certaines familles maraboutiques à contribuer aux frais de fonctionnement des forages. En réalité, il est difficile d’assurer la réalité de la gestion de la pérennité de 26 forages sur la base du volontariat’’. L’ancien sous-préfet de suggérer aux populations de prendre les devants et d’aller à la rescousse de leur terroir.

Toujours par rapport à ce problème de l’eau à Touba, l’ancien sous-préfet de Ndame d’enfoncer le clou. Elles sont nombreuses, d’après Bafodé Kallo, les entreprises à bénéficier indument de cette gratuité. A titre d’exemple, il cite les 110 boulangeries que comptait la ville, les 41 pharmacies autorisées, les 250 à 300 dépôts non autorisés, les 39 stations-service validées par le service régional de l’environnement, les points de lavage de véhicules, les nombreuses banques, les unités industrielles de transformation de glace, celles de transformation de sel et de produits agricoles…

‘’C’est aux populations de soulager le khalife, en le déchargeant d’un tel fardeau qui n’est pas viable. Il ne s’agit pas de profanation, mais de mettre en place les conditions d’une gestion plus efficiente et de qualité’’.

Les élections, à en croire Bafodé, sont aussi sources de tensions pour les représentants de l’Etat au niveau déconcentré. Souvent accusés, à tort, par les populations qui tentent de les monter contre certaines franges de la population. Tout au long de son parcours, l’homme a pu faire face à la malhonnêteté des politiciens. Ainsi relate-t-il l’affaire de Ndoulo dont il était au cœur.

MOR AMAR

 

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