Publié le 17 Apr 2016 - 19:29
BAI BABOU

Le ‘’Malaw’’ de Serrekunda

 

Baboucar Sambou, 27 ans, auteur du fameux Fahass, bouscule l’ordre musical dans l’espace sénégambien. Son duo avec le chanteur Pape Diouf dans le morceau ‘’Malaw’’ a fini de convaincre les plus sceptiques sur son immense talent.

 

Voici le genre de gars qui, le matin devant la glace, doit se demander si ce qui lui arrive est bien vrai.  Il y a en effet de quoi s’étonner. En quelques mois, Bai Babou, obscur rappeur gambien, est devenu une attraction de foire sous les feux dakarois. Les night clubbers sortent le gros billet pour le voir. Pape Diouf l’a fait tourner dans les régions à l‘intérieur du pays et ça a été un succès délirant partout. La dernière en date, c’est à Nouakchott. Sur son Smartphone, il montre les scènes de déhanchement  collectif générées par sa danse qui fait fureur, le ‘’Fahass’’, en sous titrage maure.  Sa chanson est une litanie intempestive où sortent des rimes louches et qui laissent la porte ouverte aux allusions les plus libidineuses.

 Venu de Gambie, Baboucar Sambou de son vrai nom, est catapulté dans le monde du showbiz dakarois. C’est plutôt l’inverse qu’on a l’habitude de voir dans l’espace sénégambien. Généralement, c’est un musicien sénégalais - Viviane, Salam, Assane Ndiaye - qui va enflammer les boîtes de nuit à Banjul, en aller simple. Hormis Moussa Ngom et Djéliba Kouyaté, les mélomanes sénégalais ont rarement prêté attention aux voix gambiennes. C’est comme si un tarif douanier était demandé pour passer la frontière musicale. Bai Babou est venu bousculer l’ordre établi entre Dakar et Banjul. Son duo avec Pape Diouf cartonne. Il atteint les deux millions de vues sur You tube. La simple évocation de son nom suffit à dessiner un sourire. Petit mémo pour : Bai Babou, c’est le nouvel amuseur public qui, à coups de taasu survitaminé, relooké en rap, se fait passer pour le nouvel apôtre du Lëmbël.

Le Sénégal le découvre donc pour la première fois sur le morceau “Malaw” de Pape Diouf. Il déverse une logorrhée au débit saccadé à l’accent gambien. Bai (lire Baye) Babou a une petite carrière de rappeur derrière.  Se documenter sur lui, c’est avant tout mater en série sur You tube des clips à la limite de l’acceptable dans laquelle des nymphes, bien en chair, se trémoussent dans des pagnes ultra transparents et surmontés de rangées de perles sautillantes. C’est à choper le vertige.

Malaw a un effet positif sur son passé de rappeur.  Ses anciens clips atteignent les 500 mille vues sur You tube. C’est source de fierté pour ce garçon de Serrekunda.

Il a rencontré le leader de la ‘’Génération consciente’’, lors de son ‘’Grand Bégué’’ en Gambie, l’an passé. Depuis lors, il lui voue un mélange d’admiration et de reconnaissance sans limites. Dans sa bouche, on n’entend que ça : “Pape Diouf est bon et gentil.”

 Ne craint-il pas d’être un de ses produits périssables du showbiz vite passés de mode ? Non, Il a derrière lui un label, la maison de production Jolof Arts qui le soutient. Combien le paye Pape Diouf ? “Il n’y a pas un contrat entre nous.” C’est un accord passé entre sa boîte en Gambie, Jolof Arts et Prince Arts qui le lie au leader de la Génération consciente.

‘’Le petit canard blanc de la famille’’

 Il reçoit, un soir où il ne joue pas, dans un petit appartement à Ouest foire. C’est à côté de Pape Diouf, avait-il indiqué au téléphone d’un ton surexcité. C’est une longue tige aux manières souples. Casquette de base-ball. Jean étriqué et déchiré. Un large sourire, jovial, juvénile. Son crâne dégarni et ce regard toujours curieux en font un spécimen.  

 Le décor est sommaire. Les meubles en fer forgé font un peu salle d’attente pour salon de coiffure. Une télé en permanence branchée sur Tfm. Il dit dans son accent à lui : “J’aime Youssou Madjiguène et tout ce qui va avec.’’ Voilà le bonhomme spontané, tout sauf cérébral, d’une humeur communicative. Le discours sur sa personne est hésitant.  Il a du mal à se forger un je.  L’égo des artistes est encore inexistant chez lui. 

Dès le départ, il sort les éléments d’état-civil. Il dit : “J’ai 27 ans” avec cette sérénité de ceux qui ont toute la vie devant eux. Il ne parlera pas argent. Il ne parlera pas politique, sauf qu’il veut organiser un combat de lutte entre Macky Sall et Yaya Jammeh. Il sait faire le gentil garçon à sa manière. Il dit qu’il adore sa mère institutrice, son père, transitaire au Port de Banjul. Baboucar Sambou est à l’entre-deux d’une fratrie de trois. Il a un frère basketteur dans un collège américain et une sœur journaliste dans une radio gambienne, Capital FM. Il est né dans une famille tranquille qui a beaucoup investi pour la réussite dans les études. Lui, c’est le petit canard blanc de la famille.

Il fait sa scolarité à Serrekunda. Il décroche l’équivalent du Bac en Gambie, “Grade Twelve”. Il fait ensuite des études dans les Tics et décroche un diplôme en réseau. Il a travaillé au port de Banjul pendant deux ans. Il a débarqué les conteneurs. “J’ai acquis le sens du travail et compris qu’un homme doit gagner sa vie à la sueur de son front”, confie-t-il avec fierté.

 Avec ses gestes amples et sa silhouette élastique, il n’a aucun mal à convaincre qu’il a été gardien de but dans le club navétane de son quartier à Serrékunda. Son talent dans les buts n’a pas convaincu grand monde. Fatigué de cirer les bancs de touche, il est parti voir ailleurs. Il commence le rap, un peu comme tout le monde. Avec des copains de classe, ils forment le groupe Da Geez, les Gangsters en anglais de rue. C’était en 2011. Ils faisaient du street rap. Ils ont même sorti une mixtape de sept titres, appelée Public Beach, le Banc Jaaxle en version gambienne. Son nom de scène est Brain Cracker. Il se dit “la voix des sans voix”.

 Discuter avec Bai Babou, c’est passer plus de temps à capter et à décortiquer ce qu’il dit, trouver le sens du mot écartelé entre un patois wolof et un anglais trafiqué.  Sans compter qu’il peut se lever au milieu d’une phrase pour voir si le repas envoyé par Bébé Basse, la femme de son Pape Diouf, ne refroidit pas. C’est une grosse marmite en inox qui promet des saveurs exquises. A l’école, il aimait la littérature et la poésie. Il dit être marqué par un poème du Nigérian Chinua Achebe. Il ne se souvient pas du titre. Mais cela lui a laissé un goût vague pour la rime et les rythmes, ce qui l’aide dans l’écriture de ses chansons diaboliques.

Le ‘’Malaw’’ de Serrekunda a commencé par faire danser les filles de son école, ensuite les copines de quartier. Tout ça à l’insu des parents. “Ils ont su que j’étais chanteur quand j’ai sorti une mixtape”, ces enregistrements fait à la vite dans des studios bon marché.

Dans le milieu du hip hop gambien, Bai Babou se définit comme le porte-drapeau du rap mbalax. Il fait grincer des puristes du style radical, qui dénoncent la perversité de sa musique. Lui n’a jamais revendiqué un rap harcord. Il a toujours dit qu’il faisait du rappeur mixé à la sauce du mbalax. Mais là-bas aussi à Banjul, il y a des clashs entre les différents clans du rap.   Comme ici entre Fata et les autres.  Ses compères lui reprochent de ternir le rap. Bai Babou se souviendra encore longtemps de ce soir où, en plein concert sur la scène de l’Alliance française, il est chassé par un gang armé de machettes et de couteaux. Heureusement qu’il a  les jambes longues.

 Après ses frasques gambiennes, l’auteur de ‘’Fahass’’ est venu bouleverser le petit train-train quotidien tranquille du mbalax. Le Sénégal du showbiz est fasciné par son débit saccadé de rappeur aux accents gambiens qui met le ‘‘a’’ sur la dernière syllabe de chaque mot. “Jappa ci sa dinga…”

Dans ses interventions, il est possible d’entendre des paroles licencieuses, denses, qui carburent au jeu de mots trash. A la limite de la morale.

 La remarque le laisse indifférent. Le bonhomme reste égal à lui-même. Plutôt sympathique. Il vous parle tout en plongeant son pain dans la grande marmite en inox qui a tenu toutes ses promesses. C’est de la grillade de mouton au petit feu, avec de la salade des frites, de la sauce. Il dit : “Bébé Basse a vraiment assuré.”

‘’Improvisateur hors pair’’

 Les téléphones sonnent plusieurs fois. Les messages pleuvent, mais il ne répond pas.  C’est son manager Lana qui s’en occupe. Pendant ce temps, Bai savoure. Il ne tarit pas de compliments sur la miche de pain sénégalaise, bien plus épaisse et nourrissante que son homologue gambien rachitique. 

“C’est un improvisateur hors pair, l’inspiration lui vient à tout moment, mais il a tendance à s’énerver trop vite“, dit son manager, Lana Kebe. C’est lui qui veille sur lui. Ils habitent le même appartement. Ils se chamaillent sur presque tout, comme quand Bai Babou a du mal à traduire ses chiffres de l’anglais au français.

 Lana est animateur de radio réputé à Banjul. C’est à lui que le label Jolof Arts a confié le chanteur. Il freine ses élans de jeunesse. Il décroche quand on appelle sur sa puce sénégalaise.   Kebe reconnaît que les filles appellent beaucoup. Mais il ne laisse pas faire.  “Quand on tourne avec Pape Diouf, on n’a pas le temps de penser à ça“, se défend Bai Babou, dans une pudeur surprenante. La carrière du rappeur gambien est gérée de près par un as du showbiz gambien, Souleymane Sow, et qui organise les tournées des artistes sénégalais en Gambie. Son nom revient souvent d’ailleurs dans les chansons de Titi, Salam et consorts. C’est lui le proprio de la boîte où se produit l’artiste.

La rencontre avec Pape Diouf s’est faite au même endroit, l’année passée.  Il a joué la première partie. Quand Pape Diouf est monté sur scène, je suis revenu et j’ai ‘‘boeufé’’ sur le morceau ‘’Malaw”. Le public est aussitôt conquis.  Il a redonné une autre vie au titre ‘Malaw’. Sa carrière a pris de l’envol. Fahass était à l’origine un extrait de son répertoire de rappeur. Ça colle bien. Le chanteur sénégalais parle des femmes Laobés, expertes du Lëmbël, cette danse exquise, traduite, dans une version antérieure sous le nom de “Ventilateur”. Pour donner une idée du niveau d’agitation.

 Signe d’une industrie musicale dématérialisée, Bai Babou n’est jamais entré en studio avec Pape Diouf. Même pour le clip, le morceau a été enregistré en live. 

  Dopé par son succès sénégalais, il prépare un retour en triomphe en Gambie.  Il va fêter son  troisième anniversaire en mai prochain. Son label a compris qu’il tient la poule aux œufs d’or qui peut faire fructifier le Dalasi, l’argent gambien. Bai Babou lui, veut monter son propre orchestre. Et surtout il rêve de prendre l’avion (“picci mi”, comme il dit). L’enfant de   Serrékunda ne veut pas que son ‘Fahass’ soit une simple poussière qui passe avec la saison.

ABDOU RAHMANE MBENGUE

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