Le Programme de Bourses d’excellence du Next Einstein Forum (NEF) honorera, du 8 au 10 mars, 15 des meilleurs jeunes scientifiques du continent. Ils seront présentés sur une plate-forme mondiale. Parmi ces 15, 3 sont des Sénégalais titulaires de doctorat et âgés de moins de 42 ans. EnQuête vous fait découvrir les visages qui représentent le Sénégal à ce rendez-vous des meilleurs.

Le Sénégal est un pays majoritairement littéraire (70% des bacheliers). Mais, il existe tout de même des ilots d’excellence dans le domaine des sciences. La preuve par le Programme de Bourses d’Excellence du Next Einstein forum (NEF), une organisation qui accorde une bourse d’excellence aux meilleurs scientifiques du continent africain. Parmi les 15 meilleurs jeunes scientifiques qui seront présentés sur une plate-forme mondiale, figurent trois Sénégalais. Il s’agit du docteur Mouhamed Moustapha Fall, de Dr Assane Guèye et de Dr Joseph Ben Geloun.

Dr Mouhamed Moustapha Fall : Féru des mathématiques pures

Dr Mouhamed Moustapha Fall est un mathématicien qui essaie de rendre sa discipline accessible au grand public. Il veut la faire comprendre, à la fois aux instruits et aux illettrés, en démontrant l'application pratique des mathématiques et les avantages de l'optimisation. Ce natif de Keur Samba Kane (petit village situé à deux heures et demie de Dakar, dans le département de Bambey), a obtenu son diplôme à l'Université Gaston Berger de Saint-Louis, en 2004. Grâce à ses résultats qui ont fait de lui le meilleur étudiant, cette année-là, ‘’il a été sélectionné pour le programme de diplôme en mathématiques au Centre international Abdus Salam de physique théorique (CIPT), à Trieste en Italie’’.

Pourtant Moustapha était loin de bénéficier d’un environnement favorable. En effet, parmi les critères dégagés par les sociologues de l’éducation pour déterminer les chances de réussite d’un apprenant, il y a le niveau d’étude des deux parents qui occupe une place importante. La disponibilité de la documentation à la maison également est un facteur non négligeable. Or, Moustapha est le premier membre de sa famille à fréquenter l’université. Autant dire donc que sur le plan intellectuel, il ne pouvait compter que sur sa détermination. Ce qui ne lui a pas fait défaut. En Italie, il va également réussir, en 2006, le ‘’très compétitif et prestigieux examen d'entrée à l'École internationale supérieure d'études avancées’’ et a commencé son Doctorat sous la supervision du professeur Andrea Malchiodi dans le domaine de l'analyse géométrique. Il est devenu assistant à l'Université Catholique de Louvain à Louvain-La-Neuve en Belgique, de 2009 à 2010. Auparavant, il a soutenu sa thèse de Doctorat en 2009.

Comme pour prouver qu’il fait partie de la crème des scientifiques sénégalais, il a obtenu en 2010 une bourse de recherche postdoctorale de la Fondation Humboldt à l'Université Goethe de Francfort. De l’Allemagne, il est revenu en Italie par la faveur d’une place postdoctorale à l'Université de Milan-Bicocca. Après un passage dans les mathématiques appliquées, il s’est ‘’orienté vers les mathématiques pures, à savoir l'analyse géométrique qui relie les équations aux dérivées partielles et la géométrie différentielle’’. Avec à son compte 30 articles de recherche publiés dans des revues internationales de mathématiques et physiques, ‘’il est l’un des rares Africains critiques de revues mathématiques de renommée internationale’’.

Sa conviction est que les mathématiques peuvent aider les Africains à comprendre leur environnement. Ce qui contribuera à résoudre des problèmes importants allant de l'optimisation des ressources dans la construction à la conservation des ressources halieutiques, des forêts et des autres ressources naturelles. Bref, il est un partisan de la science qui a un impact direct dans la vie des populations. C’est sans doute ce qui fait qu’il soit ‘’membre de plusieurs comités scientifiques’’ à travers le monde, en plus d’être ‘’assez sollicité comme orateur, lors des conférences internationales sur les mathématiques’’.

Dr Assane Guèye : un mania de la cyber-sécurité

Dr Assane Guèye est lui-aussi un mathématicien. Son domaine de prédilection est la cyber-sécurité. Il ‘’espère apporter à la « cyber-sécurité » ce que Claude Shannon a apporté à la théorie de l'information : découvrir des limites et des mesures fondamentales pour la sécurité des systèmes d'information et de communication’’. Chez ce natif de la ville de Mbacké, il ne saurait en être autrement. Dès l’école primaire, il a eu affaire à un maître qui ne badinait pas avec les mathématiques. Et il ne lésinait pas sur la sanction à infliger à ceux qui se montraient imperméables à cette matière.

‘’Son professeur donnait un problème de mathématiques quotidien appelé "Le Libérateur". Il s'agissait d'un problème de mathématiques donné aux élèves, tous les jours de l'école vers midi. Seuls les élèves qui parvenaient à le résoudre pouvaient rentrer chez eux. Les élèves qui n'y parvenaient pas devaient rester en classe, même pendant la pause déjeuner’’, indique-t-on. Cet esprit exercé aux mathématiques, dès le bas âge, va plus tard embrasser la physique pour  une assise plus forte dans le domaine des sciences dures. Ainsi, en 1996, il représente son établissement, le lycée Lamine Guèye, au Concours général de mathématiques et de physiques. Il revient honoré du premier prix de Physiques.

Une fois le bac en poche, Assane prend les airs, direction le Maroc. Il débute des études universitaires dans ces deux disciplines susmentionnées. Mais il ne tarde pas à changer de cap et de lieu. Il s'oriente en effet vers l'Ingénierie des systèmes de communication à l'École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), en Suisse. Une fois le master en poche, en vrai nomade universitaire, il prend la destination des Etats-Unis. Au pays de l’oncle Sam, il intègre un programme de Doctorat à l'Université de Berkeley, en Californie. Il choisit comme sujet principal : "une approche scientifique à la sécurité de la communication".

Un thème qu’il n’a pas oublié jusque-là. Car ‘’ses travaux sont axés sur la recherche d'une approche scientifique à la sécurité et la performance des systèmes d'information et de communication à grande échelle’’. Se voulant à la fois doctrinal et pratique, il cherche à ‘’établir des théories, d'élaborer des modèles et de proposer des algorithmes qui peuvent être utilisés pour concevoir et exploiter des systèmes d'information et de communication pour lesquels : a) le comportement global peut être prédit ; b) les risques d'évènements catastrophiques peuvent être gérés et atténués ; c) l'efficacité des mesures de contrôle peut être évaluée’’.

Dr Guèye est membre du Conseil exécutif et Directeur de recherche de l'Institut Professionnel pour la Sécurité Informatique (IPROSI), un institut d'enseignement supérieur nouvellement créé au Sénégal, spécialisée dans les réseaux et la cyber-sécurité. Grâce à son intérêt particulier pour les technologies de l'information et de la communication pour le développement (TICD), il cherche à ‘’développer des solutions informatiques assez convenables, assez bon marché et bien adaptées aux problèmes rencontrés par les personnes dans le monde en développement’’.

Docteur Joseph Ben Geloun : Sur les pas de Albert Einstein

Docteur Joseph Ben Geloun est le troisième visage sénégalais de l’excellence scientifique, bien que son patronyme ne le laisse pas deviner, de prime abord. En bon chercheur, lui aussi cherche à décrypter une énigme. Il espère déterminer comment les caractéristiques génériques des modèles quantiques sont utiles pour décrire la naissance de notre espace-temps et de l'univers. Né à Saint-Louis, l’ancienne capitale sénégalaise, son parcours l’a mené à l’Institut Max-Planck de Physique gravitationnelle, Institut Albert Einstein. Lui qui a toujours été fasciné par la façon dont les mathématiques peuvent résoudre des problèmes spécifiques.

Ce titulaire de la bourse de recherche Alexander Von Humboldt, destinée aux chercheurs expérimentés, à Potsdam en Allemagne, est aujourd’hui au cœur de recherches qui pourrait démontrer plus tard que les lois d'Albert Einstein sont légèrement erronées. Il s’agit là en effet d’un ‘’travail précurseur sur la Renormalisation sur la théorie des champs de tenseurs et la découverte de leur liberté asymptotique générique’’. Et cette innovation lui a déjà valu le prix de Jeune Scientifique en Physique Mathématique 2015-2017 par l'Union internationale de physique pure et appliquée (Suisse).

BABACAR WILLANE