Diagnostic d’un phénomène polymorphe aux conséquences incalculables
La célébration des journées scientifiques du Collectif des Médecins, Pharmaciens et Chirurgiens-dentistes en Spécialisation du Sénégal (COMES) a été une tribune pour les experts médicaux de faire un diagnostic sans complaisance des accidents de la circulation, en présentant des chiffres et en proposant des pistes de solutions.
Les journées scientifiques du COMES ont eu lieu les 16 et 17 janvier. Pour cette année, elles avaient comme thème principal : « Les accidents de la circulation routière ». Lors de cette rencontre, qui a enregistré la présence des sommités du monde médical, des débats de haute facture ont été présentés par des experts médicaux. C’est le cas de Pr Mouhamadou Habib Sy, de l’Institut d’Orthopédie Seydi Djamil, a fait une communication sur le thème : « Les Accidents de la Circulation Routière : Un problème de santé publique négligé ».
Il fait remarquer que les accidents de la route constituent un enjeu majeur de santé publique avec plus de 1,19 million de victimes et 20 à 50 millions de blessés par an, selon les chiffres fournis par l’OMS en 2023. Ils représentent, poursuit-il, l’une des principales causes de consultation et d’admission dans les services d’urgence des hôpitaux, tous pays confondus. Mais, c’est dans la région africaine que le taux de mortalité par accidents de la route est le plus élevé (19 décès pour 100 000 habitants), contrastant avec celui de la région européenne qui reste le plus bas (7 décès pour 100 000 habitants).
En 2022, au Sénégal, selon la Brigade nationale des sapeurs-pompiers (BNSP), il a été dénombré 21 426 accidents avec 31 662 victimes dont 718 tués. Dr Sy fait remarquer que cela engendre un fardeau socio-économique marqué par un impact estimé à 8 % du PIB national contre 2-5 % du PIB mondial, selon la Banque mondiale.
D’ailleurs, souligne-t-il, les récentes mesures de l’État du Sénégal (circulaire PM décembre 2024 / états généraux transport public mai 2024) témoignent de la récurrence du phénomène et de la quête permanente de solutions durables par les acteurs, les usagers et les décideurs. Dr Sy d’ajouter : « La décennie d’action des Nations unies pour la sécurité routière 2021-2030 vise à réduire de 50 % les décès et blessures liés aux accidents de la route. Elle encourage les gouvernements à mettre en œuvre des politiques et des plans d’action en matière de sécurité routière qui s’appuient sur cinq piliers : la gestion de la sécurité routière, la sécurité des routes et de la mobilité, la sécurité des véhicules, le comportement des usagers de la route et enfin les soins après l’accident. Ce dernier pilier post-accident en constitue un élément central. Suite à l’accident routier le plus meurtrier au Sénégal, avec 43 décès le 8 janvier 2023 à Sikilo, le gouvernement sénégalais a adopté, en 2023, 22 mesures prioritaires en matière de sécurité routière, dont la 21ème concernait directement les soins apportés aux victimes ».
Une manière pour le Pr Mouhamadou Habib Sy de dire que la lutte contre l’insécurité routière reste un combat quotidien de tous, par et pour tous.
Les chiffres de la mort au Sénégal
Lors de la rencontre, il est ressorti que les traumatismes dus aux accidents de la circulation sont la première cause de décès chez les jeunes âgés de 5 à 29 ans (OMS, décembre 2023). Sur une période de neuf mois (1er janvier 2024 au 30 septembre 2024), 247 malades ont été reçus aux urgences pour un accident de la circulation routière. La tranche d’âge la plus touchée était celle des 20-40 ans (43 %) avec une prédominance masculine (70,44 %). Le mécanisme moto-auto était le plus représenté avec 63,56 %.
Le ramassage a été réalisé par les sapeurs-pompiers chez 74,08 % des cas, et le transport a été médicalisé seulement pour 2,42 % des malades. Le délai de prise en charge était de moins d’une heure chez 85,42 % des patients. Les principales lésions observées étaient des traumatismes des membres inférieurs (40,89 %), suivis des traumatismes des membres supérieurs (25,10 %) et des polyfractures (13 %). 70,04 % des patients ont eu une radiographie osseuse et 8,09 % un scanner corporel. Une ostéosynthèse a été réalisée chez 32,79 % des malades, et 24,79 % des patients ont bénéficié d’un parage en urgence.
Les impacts psychologiques des accidents de la circulation
De son côté, Pr Sokhna Seck, du service de psychiatrie du CHNU de Fann, a souligné que les accidents de la circulation constituent une cause majeure de traumatismes psychologiques, affectant profondément tant les victimes directes que leur entourage. ‘’Si les blessures physiques bénéficient d’une prise en charge médicale immédiate, les séquelles psychologiques, plus insidieuses, peuvent s’avérer tout aussi dévastatrices et nécessitent une attention particulière’’, souligne-t-elle.
Ainsi, lors de sa présentation, elle a exploré l’impact psychologique de ces événements traumatiques, en mettant en lumière leurs manifestations cliniques diverses : stress post-traumatique, anxiété, dépression... Elle a également examiné ces troubles liés à la vie quotidienne des victimes, à leurs relations familiales et à leur capacité à reprendre leurs activités professionnelles.
La prise en charge moderne de ces traumatismes repose, selon elle, sur une intervention précoce et personnalisée. Elle a parlé des approches thérapeutiques les plus efficaces, notamment les thérapies cognitivo-comportementales et l’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing), qui ont démontré leur efficacité dans le traitement des traumatismes psychologiques.
Rééducation des traumatismes vertébro-médullaires
Pour Ngor Diagne Ngor du service de Médecine Physique et de Réhabilitation du CNHU Fann, la rééducation des traumatismes vertébro-médullaires doit répondre à des objectifs variables, selon la durée d’évolution, la sévérité du tableau clinique et l’existence ou non de complications. Au Sénégal, pour des raisons multiples (méconnaissance de la spécialité, infrastructures inadaptées, insuffisance de ressources humaines qualifiées, etc.), elle est souvent démarrée à la phase de récupération, après un délai moyen de 11 mois.
Or, à cette phase, l’amélioration de l’autonomie et de la qualité de vie des patients nécessite, selon lui, des techniques rééducatives de réduction des déficiences neuro-orthopédiques, viscérales, des douleurs neuropathiques et rachidiennes. ‘’Un étirement durable, maximal, et une injection de toxine botulique dans les muscles antagonistes, associés à un renforcement des agonistes, des muscles sus-lésionnels et du tronc, permettent d’éviter les attitudes vicieuses, les douleurs et d’améliorer les capacités physiques. Les mesures hygiéno-diététiques, les anticholinergiques, l’auto-sondage intermittent et les érections réflexes, constituent les principaux moyens rééducatifs des troubles viscéraux. Les aides au déplacement et les orthèses du tronc complètent les moyens d’optimisation des capacités physiques et d’amélioration de la stabilité rachidienne’’, renseigne-t-il.
Il ajoute que la rééducation des traumatismes vertébro-médullaires est multidisciplinaire. De ce fait, dit-il, ‘’elle doit être adaptée à la phase d’évolution, au niveau d’atteinte et aux complications. Elle est complétée à distance par une adaptation de l’environnement social et professionnel en collaboration avec les médecins du travail et les ergothérapeutes ».
CHEIKH THIAM