Publié le 15 Jan 2025 - 19:57
CHEIKH NDOYE, AS CANNES

“J’en ai marre qu’on me parle de mon âge”

 

Une nouvelle fois décisif le week-end dernier pour l’AS Cannes en N2 dans le derby face à Grasse (avec le but du 3-2 inscrit à cinq minutes de la fin) et en attendant un 16e de finale de Coupe de France contre Lorient, Cheikh Ndoye est toujours là. À bientôt 39 ans, l’ancien puissant milieu d’Angers SCO continue de profiter. Mais, à lui non plus, ne lui parlez surtout pas d’âge...

 

Qu’est-ce qui fait encore courir Cheikh Ndoye ?

Pour l’instant, ce n’est pas la fin de carrière ! Je joue encore, ça se passe super bien, je suis en forme, j’enchaîne les matchs. Je travaille, je prends du plaisir à jouer. Ce qui me fait encore courir ? La passion, toujours. Je ne me fixe pas d’âge pour arrêter. Du moment que le corps va bien, je continue.

Tu as rejoint Cannes, en National 2, début octobre.

Le directeur sportif, Sébastien Pérez, m’a contacté et m’a présenté le projet. Ça m’a convenu. Après le Red Star (où il a évolué de 2020 à 2024 en National, NDLR), je souhaitais rester en France.

Tu as changé de poste ? On te demande ça car dans le communiqué annonçant ton arrivée, l’AS Cannes disait avoir recruté Cheikh Ndoye, l’attaquant…

Les quatre ou cinq premiers matchs, j’ai joué attaquant. Ensuite, j’ai été repositionné au milieu. De base, numéro 9 n’est pas mon poste idéal, même si j’ai joué attaquant au Sénégal au tout début. Sinon, j’ai fait toute ma carrière en Europe au milieu. Au Red Star, Habib (Beye) m’avait fait jouer attaquant, ça marchait bien, j’avais mis 11 buts en National (2021-2022). Mais, là, j’ai repris mon poste idéal.

Parfois, tu repenses au temps où tu étais encore chez toi, à Rufisque, au Sénégal ? Tu étais menuisier…

Bien sûr. Il ne faut pas oublier d’où on vient. Quand je pense à ça, ça me donne encore plus de force. Je me souviens me lever le matin, m’entraîner, prendre mon petit déjeuner puis aller au travail. Ensuite, je retournais à l’entraînement. C’est bien que, dans la vie, tout est possible. Il faut juste s’en donner les moyens et avoir confiance en soi. Il ne faut pas se reposer sur ses lauriers. J’ai toujours rêvé de devenir footballeur professionnel.

Raconte-nous le jour où Salif Diao, ancien international sénégalais, t’envoie faire un essai à Stoke City.

Juillet 2007. Premier voyage en Europe. J’ai 21 ans. Même si rien n’est acquis, je suis content et fier. Par rapport aux conditions administratives en Angleterre, on sait que c’est compliqué. J’ai fait dix jours, puis je suis rentré. Oui, je ne suis pas resté, mais pour moi, c’était une motivation de plus pour montrer que c’est possible. Et que ça allait le faire !

L’autre tentative pour lancer ta carrière te mène en Arabie saoudite…

2009. Du jour au lendemain, on a été trois à partir là-bas pour des essais. Je ne me suis pas posé de question. C’était un contrat de six mois. Malheureusement, je n’ai pas signé. Je me blesse au moment où on est en train de négocier le contrat. Ce n’était pas évident, mais j’ai pu surmonter ça. Mentalement, j’étais costaud.

Tu ne t’es jamais dit qu’il fallait dire adieu à tes rêves de foot pro ?

Non, même pas. Je savais que j’allais signer professionnel un jour.

Si on te dit le 25 septembre 2009…

Mon arrivée à Épinal ! Avec Christophe Diedhiou et Ibrahima Seck. Je nous revois descendre à la gare de Nancy, puis  monter dans ce minibus direction Épinal. On était tous les trois, on s’est suivis à Créteil ensuite. Notre force, c’était la solidarité, l’abnégation et la détermination.

La Ligue 1 te découvre quand tu signes à Angers en 2015. Tu as 29 ans. Tu es dominateur au milieu, tu marques, le SCO est deuxième derrière le PSG. Il y a cette impression que tu marches sur l’eau. Comment le ressentais-tu ?

Je ne lâchais rien. Je marquais beaucoup (9 buts cette saison-là en L1). J’ai toujours été attiré par le but. Je me souviens du doublé contre Ajaccio, celui contre Monaco… Mais le plus marquant, c’est le doublé à Lyon, pour le dernier match à Gerland (2-0). Bakary Koné était à mon marquage. Ses coéquipiers disaient de ne pas me lâcher. Je mets deux buts identiques, sur phases arrêtées, avec un coup franc de Thomas Mangani et un corner de Billy Ketkeophomphone. Je fais appel – contre-appel à chaque fois. Cette saison-là, les Français m’ont découvert. Tout le monde disait : « Cheikh Ndoye, Cheikh Ndoye, Cheikh Ndoye ! »

Tu vis beaucoup de choses avec le SCO. En 2017, vous allez jusqu’en finale de Coupe de France. Et vous perdez à la dernière minute face au PSG sur un but contre son camp d’Issa Cissokho.

J’ai toujours cette action en tête. 92e minute de la finale de la Coupe de France. L’histoire retiendra, malheureusement, que la chance n’était pas de notre côté. On fait un match plein. Le foot est cruel.

Tu pars à Birmingham, en Championship, à l’été 2017. Aujourd’hui, tu ferais le même choix ?

Ce n’était pas un mauvais choix ! Le problème, c’est qu’au bout de six matchs, l’entraîneur qui m’a fait venir (Harry Redknapp) est viré. Toutes les cartes étaient redistribuées. Et, souvent, ce sont les recrues qui sont mises de côté dans ces cas-là. Après, j’ai joué beaucoup de matchs, sauf que je n’étais pas toujours titulaire (37 matchs en 2017-2018, 28 titularisations).

As-tu eu des nouvelles de John Terry ?

Ce n’est pas mon copain.

Votre embrouille avait fait un peu le buzz.

C’était lors d’un derby entre Birmingham et Aston Villa. Un derby toujours chaud. Il a commencé à insulter, c’est parti comme ça au match aller. Au match retour, j’avais oublié ça. Lui, je pense qu’il s’était bien préparé avec un de ses coéquipiers. Il y a une touche pour nous, j’essaie de mettre la tête. Je les vois parler. L’autre arrive et me tamponne. Il tombe et lui (John Terry) arrive et me pousse. Je l’ai attrapé par le cou. Je prends un deuxième jaune et donc un carton rouge.

Dans ton histoire, il y a bien sûr la sélection du Sénégal. Tu joues la Coupe du monde 2018 avec les Lions de la Téranga. Vous êtes éliminés au premier tour au nombre de cartons jaunes. Tu prends notamment un avertissement en toute fin de match lors de l’ultime rencontre face au Japon…

Je saute, je pousse la balle, puis il y a (Hiroki) Sakai qui pleure. J’avais toujours cette étiquette comme quoi j’étais costaud. L’arbitre n’a pas cherché à comprendre et me met un carton jaune alors que je touche la balle. Mais il n’y avait pas que moi qui ai été averti…

Avec le Sénégal, en 2019, tu es victime d’une grave blessure aux ligaments du genou. Peut-on parler de tournant dans ta carrière ?

Oui, même si je ne peux pas regretter cette blessure parce que tout gamin rêve de défendre les couleurs de son pays. J’aurais seulement mérité mieux que ça avec l’équipe nationale. Et si je n’avais pas eu cette blessure, je pense que je jouerais encore en Ligue 2, au minimum. En 2019, j’avais encore un contrat de deux ans avec Angers en Ligue 1, avec une reconversion possible avec eux. Tout a basculé à cause d’une blessure.

Tu te retrouves sans club en 2019-2020, à pousser la porte de France Travail.

C’est dur, car tu es footballeur, tu es passionné, tu ne joues pas parce que tu es blessé et peut-être aussi parce que tous les clubs se disent : « Il n’a plus son niveau d’avant. Il est vieux. » Ça, en France, c’est quelque chose : dès que tu arrives à un certain âge, tu es vieux, tu es cramé. Comme je l’ai dit, je n’ai pas fait de centre de formation, je suis venu du Sénégal… J’en ai eu marre et j’en ai marre qu’on me parle de mon âge : ce ne sont que des chiffres ! Il faut regarder ce que je fais sur le terrain. Aujourd’hui encore, je cours plus vite que les plus jeunes. Cheikh est âgé, OK, c’est la réalité, je ne peux pas le nier. Mais, à un moment donné, parlez de mes performances.

Au Red Star, tu as connu Habib Beye. On en parle beaucoup pour un poste en Ligue 1. Que gardes-tu de lui ?

Honnêtement et sincèrement, il est passionné. Il aime et connaît le football. Il est exigeant. Il aime son boulot.

Dans ta carrière, y a-t-il quelque chose que tu ferais différemment si c’était à refaire ?

J’ai fait des bons choix, je pense. À l’époque, Angers ne voulait pas renouveler mon contrat et ils m’ont laissé partir (à Birmingham, 2017). Ce n’est pas moi qui voulais m’en aller. Ensuite, ils ont tout fait pour que je revienne (2018). Derrière, quand j’ai eu cette fameuse blessure, ils m’ont tourné le dos. (Il est toujours en litige avec son ancien club.) Aujourd’hui, je ne dis pas que c’est un regret, mais c’est mon destin.

Tout à l’heure, tu parlais de cette étiquette de joueur grand, costaud. Elle t’a fait mal, cette image ?

À un moment, ça m’a porté préjudice. Dès que j’allais au duel, une faute était sifflée, et je prenais facilement un carton. Des fois, je réalisais des mauvais matchs, car je faisais trop attention aux duels… Ça me mettait en retrait sur le terrain. Ça m’a pénalisé. Les arbitres me disaient : « Vous êtes costauds, faites gaffe. » Le terme « faute grossière », c’était toujours pour moi. Quand je prenais un coup ou une semelle, il n’y avait rien. Ça n’allait que dans un sens.

Tu as donc souvent ressenti de l’injustice.

Tout le temps, tout le temps, tout le temps. Je ressentais un peu d’injustice, oui.

Le racisme, est-ce quelque chose à quoi tu as été confronté ?

Je ne me suis jamais fait insulter dans les stades. Mais, de temps en temps, je sentais que j’étais l’homme noir, l’Africain. Notamment par rapport à mes performances. La saison que je fais en 2015-2016, je ne dirais pas que je n’ai pas été mis en valeur… Mais si c’est un autre qui fait ça, Angers aurait pu le vendre au moins 10 millions d’euros. Mais à l’époque, j’avais aussi 31 ans. Et je le redis, on m’a taxé de vieux.

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