Publié le 9 Jan 2012 - 20:10
CHRONIQUE DE MAGUM KËR

Armée-nation et déstabilisation

Les nouvelles du front sont alarmantes. Quelle que soit l’importance des pertes subies par l’Armée sénégalaise et qui restent controversées, les soldats ont momentanément perdu la position qu’ils tenaient dans le village de Kameubeul. La signification de ce seul avis des autorités militaires est plus grave que la mort de soldat si la devise de nos forces armées reste bien : ''On nous tue, on ne nous déshonore pas.''

 

La prise de conscience du danger larvé que constitue la rébellion casamançaise n’a jusqu’ici impulsé aucune réaction d’envergure du pouvoir bien que des solutions aient été esquissées par des cadres de réflexion diversement concernés par la question.

 

 

L’armée sénégalaise passe pour la plus républicaine d’Afrique : elle n’a jamais perpétré de coup d’Etat. Cette assertion n’induit pas qu’elle est restée passive tout au long de l’évolution politique de notre pays. Bien au contraire, à chaque crise politique et sociale majeure, les forces armées sénégalaises ont été impliquées. La grande muette couve donc ses secrets : elle a résolu toutes les crises politiques post-indépendance en raison d’une moyenne d’une crise tous les deux ans : de 1960 à 1973 au seuil de la démocratie multipartite. Elle a été presque parfaite dans le rôle qui lui incombe d’être le dernier rempart de l’institution républicaine.

 

 

Elle a d’abord réussi à éviter par le dialogue l’affrontement entre les diverses unités qui la composent et qui pour des raisons relevant des idiosyncrasies avaient chacune choisi son camp. Ayant refait son unité sur le terrain où ses divers segments obéissant à des ordres contradictoires se faisaient face, parfois le doigt sur la détente, elle a chaque fois su imposer le choix de solution politique au pouvoir civil.

 

 Il est vrai que parfois, comme en décembre 1962, la hiérarchie a trahi le consensus et la parole donnée aux ''Jeunes officiers''. Ce qui aboutira aux douloureux règlements de compte qui emporteront un certain capitaine Momar Gary Dé et éprouveront durablement la fine fleur des armées, les commandants Abdourahim Wane et Moustapha Ngalandou Diouf, notamment.

 

 

Une nouvelle génération d’officiers a remplacé ceux qui ont fondé l’Armée en même temps que la nation dont aucune des deux ne peut survivre à l’autre. Paradoxalement, l’évolution démocratique du pays n’a pas allégé le fardeau du soldat. Le droit de vote accordé au militaire est certainement une mesure positive en cela que ceux qui sont parfois en position de sacrifier leur vie pour la nation, doivent participer aux choix des politiciens qui décident de la guerre et de la paix. Le cas de figure qui se présente avec la crise casamançaise est que cette décision semble être dévolue à des bandes dont même l’appartenance au Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC) est controversée.

 

Face à cette situation délétère, le corps des officiers dont il est dit qu’il comporte le nombre de diplômés le plus important doit faire valoir ses capacités intellectuelles dans le règlement des crises internes.

 

 

La prise en main de notre Armée nationale par ses alliés traditionnels ne semble avoir aucun impact positif sur ses missions actuelles et les stratégies globales développées, la lutte contre les factions islamistes notamment, ne sont pas adaptées à nos préoccupations du moment. Tous nos voisins sont des ennemis en puissance, la paix avec la Mauritanie et la Guinée Bissau ne tenant que par la stabilité des régimes qui y sont établis. La Gambie souffre, elle, de la désinvolture avec laquelle nous la traitons alors que son président offre de manière récurrente sa médiation dans le conflit casamançais.

 

 

Au surplus, les périls intérieurs ne sont pas seulement au sud où l’armée est cantonnée sans initiative aucune, dans l’ambiguïté diffuse d’un cessez-le-feu sans garanties sûres. Au nord comme un écho, les armes tonnent de loin en loin sur une frontière controversée où les pêcheurs sont à tort ou à raison la cible des gardes-côtes mauritaniens. Le front politique n’est pas plus apaisé où, tous les jours les rodomontades des leaders de partis ou dits de la société civile menacent d’allumer le pays. Cette agitation mobilise les forces de sécurité et les maintient dans une tension nerveuse préjudiciable à la sécurité des biens et des personnes.

 

 

La statistique macabre des crimes a pris une courbe ascendante avec les viols, les assassinats et les actes les plus barbares. Le pays n’est pas en paix et la classe politique semble ne pas s’en apercevoir, absorbée qu’elle est par la dispute du pouvoir. Le discours guerrier s’impose de plus en plus en lieu et place des règles civilisées qui régissent les démocraties élémentaires.

 

Dans la cohue belliqueuse, seul le commissaire Arona Sy de la police centrale semble chercher des solutions pour que les stades ne soient plus un champ clos d’affrontements après chaque défaite d’une équipe de football de quartier ou de lutteur de banlieues. Entre deux concerts de grenades, pour rétablir l’ordre dit républicain.

 

 

 

 

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