Eco : L’errance sans fin
Samedi dernier, les chefs d’Etat de la CEDEAO, réunis en sommet, ont confirmé, si besoin en était encore, que la monnaie unique commune est une Arlésienne, juste bonne à nourrir les fantasmes d’une communauté embourbée dans ses différences nationales, dans ses contradictions communautaires et dans son impuissance à faire des options monétaires souveraines, depuis plusieurs décennies.
Le président en exercice de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO, Nana Addo Dankwa Akufo-Addo, a, en effet, annoncé à Accra la mise en place d’une nouvelle feuille de route pour accélérer le processus d'instauration de la monnaie unique, éco, au terme du 59e Sommet ordinaire tenu dans son pays.
Le pacte de convergence qui avait été officiellement suspendu, pour cause de coronavirus en 2020, va reprendre entre 2022 et 2026. Et c’est finalement en 2027 que la nouvelle monnaie va entrer en vigueur.
Autre paramètre qui a prévalu au report du lancement de la monnaie, selon le président de la Commission de la CEDEAO, Jean-Claude Kassi Brou : le naïra - la monnaie du Nigeria, première économie d'Afrique de l'Ouest - a un taux de change flottant, tandis que huit autres pays de la région utilisent le franc CFA arrimé à l'euro et il se trouve qu’en cette période-ci, le Nigeria a une forte inflation à deux chiffres, alors que le BCEAO se bat pour la maintenir à 3 %.
Voilà pour les informations officielles qui ne réussissent, hélas pas, à convaincre les observateurs de cet interminable processus d’intégration économique et monétaire initié par les quinze pays de la CEDEAO, au début des années 80. Multiples péripéties jusqu’en 2001 où la CEDEAO adopte le mécanisme de surveillance multilatérale des politiques économiques et financières des Etats membres. Objectif : le respect d’un ensemble de critères de convergence macroéconomiques, susceptibles de contribuer à homogénéiser les économies de la région. Première pierre d’achoppement de la marche de chacun des Etats vers la monnaie unique commune.
En effet, après trois reports successifs, en 2003, 2005 et 2009, les autorités ouest-africaines renoncent finalement, en juillet 2014, à lancer l’éco en janvier 2015 au sein de la Zone monétaire d’Afrique de l’Ouest, tel que préalablement retenu. La raison évoquée est le niveau insuffisant de préparation et de convergence économique au sein de la ZMAO, la Zone monétaire d’Afrique de l’Ouest, qui compte six pays : le Ghana avec son cedi ; la Gambie avec son dalasi ; le Liberia avec son dollar libérien ; le Nigeria avec son naïra ; la Sierra Leone avec son leone ; la Guinée avec son franc guinéen.
Il faut rappeler que ces critères de convergence, dits de premier rang, avant 2020, consistent en un déficit budgétaire limité à 3 % du PIB, une inflation à 10 % maximum et une dette inférieure à 70 % du PIB.
En 2017, à l’issue du sommet d’Abuja, les gouvernements déplorent alors, dans leur communiqué final, ‘’le faible niveau du taux d’intégration économique, après plus de 40 ans d’existence de la CEDEAO’’.
On pourrait prendre l’option d’en sourire, mais la réalité est depuis longtemps criarde d’une Afrique qui peine à s’entendre autour des solutions déterminantes pour son développement économique et qui excuse ses faillites par les immixtions imaginaires dont elle se veut victime, pour justifier sa paralysie.
Fin 2019, le Togo, seul, semble tirer son épingle du jeu et respecte les fameux critères de convergence. Néanmoins, les chefs d’Etat de la CEDEAO adoptent le symbole de l’éco et le futur nom de la Banque centrale qui sera la BCAO. On sait les controverses auxquelles prêtera la simple dénomination de l’éco, monnaie à parité fixe arrimée à l’euro et garanti par la France et la volée de bois vert qu’essuiera Alassane Ouattara de la Côte d’Ivoire, pour avoir donné l’information non-consensuelle aux côtés du français Macron. Un certain nombre de pays dont le Nigeria et le Ghana y voient tout sauf une monnaie indépendante.
La question semble alors remisée dans l’un de ces interminables tiroirs remplis des bons vœux de la conscience des dirigeants africains tout au long de l’histoire ; la crise sanitaire de l’année dernière viendra comme confirmer cette fatalité.
La monnaie unique annoncée pour 2020 est désormais conjuguée au passé et les africanistes étaient censés en faire leur deuil jusqu’à ce que, à la faveur du week-end dont nous sortons, la voix d’outre-tombe de l’éco vienne nous dire qu’elle n’est peut-être pas tout à fait morte et qu’elle intéressait à nouveau le désir de souveraineté et d’indépendance des dirigeants ouest-africains.
"Nous avons une nouvelle feuille de route et un nouveau pacte de convergence qui couvrira la période entre 2022 et 2026, et 2027 sera l'année de lancement de l'éco", a fièrement annoncé le président ghanéen le 19 juin 2021. Mais il ne réussit pas à nous dire comment il y arrivera, alors même que les taux d’inflation sont disparates, que dans la majorité des pays concernés, les taux d’intérêt sont inférieurs au taux d’inflation, ce qui devrait être le contraire et que dans un pays comme le Nigeria, ce taux d’inflation est de 10 % et risque, pendant longtemps encore, en l’absence d’une politique ferme et volontariste, de ne point changer. Arlésienne formatée, visiblement, plus dans un manque de lucidité que de bonne foi.
Mais attendons ! 2017 ce n’est pas les calendes grecques.