L’emploi en question
Macky Sall s’est voulu rassurant, hier jeudi 21 avril, à l’occasion de l’ouverture du Conseil présidentiel consacré à l’emploi et à l’insertion des jeunes, en affirmant que ‘’l’Etat n’abandonnera pas sa jeunesse’’ et en admettant avec une humilité qui devrait aussi celle des campagnes présidentielles, que la lutte contre le chômage est ‘’une bataille de longue haleine qui ne se gagne pas en un seul jour’’.
Seulement que l’on est presque au terme d’un deuxième mandat et que l’on est bien loin des 1,5 million d’emplois promis pour l’horizon 2024…
On comprend que les colères de février-mars qui cachaient derrière l’épiphénomène Sonko-Sarr de réelles angoisses, aient précipité, sinon forcé le rendez-vous. On comprend aussi que l’impuissance publique face au drame du chômage des jeunes en l’occurrence, ait encore eu recours à la parole présidentielle pour donner l’illusion d’une action en cours et d’une mobilisation de toutes les énergies nationales pour endiguer une tragédie sociale et sociétale. On comprend, enfin, que le président n’ait rien apporté de spécial dans sa gibecière, pour calmer les frayeurs de la jeunesse face aux douleurs d’aujourd’hui et aux incertitudes de demain.
Et donc, le chef de l’Etat a dû avoir encore recours à la sempiternelle rhétorique de la patience et de l’indulgence pour affronter la défiance juvénile et jauger ses imprévisibles humeurs. Pas suffisant pour rassurer ! Macky Sall en a si bien conscience, qu’il a jugé utile d’ajouter qu’il restait ‘’plus que jamais déterminé à poursuivre le combat… à la recherche de solutions…’’.
Des propos qui résonnent ni plus ni moins comme des vœux pieux qui éclairent plus qu’ils ne cèlent, la terrible réalité : un document de l’Organisation internationale du travail inscrit le Sénégal au 3e rang des 10 pays qui ont le taux de chômage le plus élevé au monde : 48 %, en l’occurrence. Bien sûr, l’Etat du Sénégal a eu tôt fait de contester ces chiffres qui sont pourtant assez faciles à crédibiliser, eu égard à la quasi-impossibilité qu’il y a, pour nombre de personnes, de trouver de l’emploi au Sénégal. Deux cent mille Sénégalais arrivent chaque année sur le marché de l’emploi ; beaucoup avec des compétences discutables. Ce qui rend encore plus difficile leur absorption par un marché rétif et pléthorique. Sans parler de celles et ceux qui vivent, ‘’sous-vivent’’ d’emplois précaires : au Sénégal, le cumul du chômage et de l’emploi précaire dépasse le taux de 70 % !
Il faut être clair : la problématique du chômage est le boulet que trainent tous les pouvoirs, depuis ces vingt dernières années. Mais les huit années qui viennent de s’écouler ont aggravé cette descente aux enfers des chiffres de l’emploi et soulignent, d’un trait tragique, pour des milliers de jeunes Sénégalais, l’impuissance des politiques à apporter des réponses concrètes à une question que l’on devrait affranchir des promesses électorales pour en faire une thématique technique qui agrégerait toutes les compétences nationales.
Car, c’est d’abord de vérité qu’ont besoin les jeunes. Ils attendent de leurs dirigeants de la transparence dans les discours et de la sincérité dans les intentions. Hier, Macky Sall a dû encore biaiser avec cette évidence, recourant aux poncifs classiques du pathos politique et de la théâtralité lexicale, pour aborder une question d’autant plus grave qu’elle aura démontré, en février et mars derniers, qu’elle a aussi vocation à ébranler les citadelles politiques les plus imprenables.
En bornant son champ lexical à celui des promesses, le chef de l’Etat s’est hasardé au jeu et au risque dangereux de ne pas pouvoir les tenir, ni même de pouvoir en poser les esquisses sur les deux ans qui nous séparent de la prochaine Présidentielle. Alors que ses dix ans de pouvoir ne se seront pas particulièrement distingués par leur aptitude à générer de l’emploi et à rompre avec l’impuissance des pouvoirs successifs qui y ont été confrontés.
Mais pris dans le tourbillon vertigineux d’une impopularité qu’il avait sous-estimée et par la proximité d’une joute électorale dont il s’exerce encore à jauger l’opportunité ou non pour lui, d’en être, il s’est presque trouvé contraint, dans la foulée, à jouer son va-tout devant un auditoire de jeunes, des jeunes demandeurs d’espérance, qui l’ont écouté sans l’entendre, qui voudraient en réalité le croire, parce que cette foi est aussi… leur vie.
Terrible charge pour celui qui a choisi de la porter et dont c’est le sacerdoce de l’alléger !