Le choix du capitaine Touré
Dans la bourrasque des évènements qui ont secoué le Sénégal dès le milieu de la semaine dernière, une silhouette filiforme a retenu l’attention ; celle du capitaine de gendarmerie Oumar Touré, enquêteur sur le dossier Sonko-Sarr, qui s’est fendu, dans la stupéfaction générale, d’une lettre ouverte aux Sénégalais, dans laquelle il annonce sa démission de la gendarmerie nationale. Comme raison, l’officier s’offusque d’être ‘’suivi par des individus’’, des ‘’éléments de la Direction nationale du renseignement’’, parce que, en haut lieu, on le soupçonnerait d’’’être un soutien de Sonko’’.
Pour l’’’honneur’’, le capitaine Touré aurait donc décidé de démissionner, non sans défier ‘’quiconque de produire la preuve matérielle’’ d’une relation quelconque avec le député Ousmane Sonko, accusé, faut-il le rappeler, de ‘’viols répétés et de menaces de mort’’, par une masseuse de la place âgée d’une vingtaine d’années.
Cette lettre ouverte, quoique singulière pour un officier de ce rang, et de surcroit astreint à un élémentaire devoir de réserve, aurait pu juste n’être interprétée que comme les états d’âme d’un jeune officier dont le mental aurait flanché devant une responsabilité mal assumée et qui, prenant conscience de son impréparation à affronter pareil déluge, aurait pris le parti de se retirer et de renoncer à une carrière pourtant brillante. Mais il se trouve que la singulière et pathétique adresse aux Sénégalais, s’empêtre au fur et à mesure de son déroulé, dans de sidérantes contradictions, à un tel point que maints lecteurs ont pu très légitimement se poser la question de la santé mentale du jeune capitaine. On aurait tort de verser dans cette facilité et de banaliser ce qui est surement l’expression d’une vraie souffrance. Mais tout de même !
Alors même qu’il nie toute accointance avec le député incriminé, l’officier de police judiciaire lance un impératif au curare à l’adresse de ses lecteurs et contre des personnes censées être ses supérieurs ou gravitant autour du pouvoir : ‘’Jeunesse sénégalaise, n’écoutez pas le discours incitateur de ce ministre de l’Intérieur irresponsable, n’écoutez pas non plus le discours endormant de monsieur Idrissa Seck qui a fini d’être la risée de l’histoire…’’, avant d’ajouter : ‘’… Et n’écoutez pas aussi ceux qui, par des mots, manipulent l’opinion publique.’’
Si ce n’est pas un appel du pied à peine déguisé à Ousmane Sonko et une condamnation en règle du procès qui lui est fait, cela y ressemble furieusement. En tout cas, par sa propre lettre, il confirme les soupçons dont il prétend être l’objet et met un terme à sa participation à l’enquête sur ce qui a pu se produire au Sweet Beauté, entre Sonko et Adji Sarr, dans la répétition sulfureuse d’un face-à-face dont seul un procès pourra éclairer les zones d’ombre.
Maintenant, il n’est pas inutile de savoir quelles ont pu être les motivations de ce jeune capitaine dont la gendarmerie, dans un communiqué officiel a, au demeurant, salué la discipline et le professionnalisme. D’autant plus que ce qu’il encourt va de la rétrogradation à une peine de prison pouvant aller de 1 à 5 ans dans l’hypothèse confirmée d’une désertion.
Désertion, car aucune lettre de démission n’est à ce jour parvenue à ses supérieurs hiérarchiques, qui déplorent cet épanchement médiatique plein de ressentiments à l’égard d’un système qui l’épie, le suit, le traque…
Les motivations donc : certains de ses collègues ont évoqué un travail ‘’raté’’ dans le dossier Sonko ; des défaillances professionnelles que le capitaine Touré aurait voulu brouiller en anticipant sur des sanctions qui n’auraient pas tardé à venir et qui, indubitablement, auraient entaché sa réputation professionnelle. Le jeune homme qu’on dit ‘’très pieux’’ et qui serait très à cheval sur les questions d’honneur, aurait, en effet, bien pu prendre prétexte d’une incompatibilité éthique, pour voiler une faute professionnelle et partir dans l’honneur plutôt que dans le discrédit. On se réjouirait presque de savoir que les codes d’honneur ne sont pas périmés sur la terre de Lat Dior dont il évoque d’ailleurs la stature majestueuse, au terme de sa sulfureuse lettre.
Mais elle est tout aussi probable, l’hypothèse du choix dont il se défend : celle de son adhésion au courant du chef du Pastef au plein milieu du tumulte. Et misant probablement sur la certitude d’un vent qui souffle favorablement pour celui-ci, il aurait pris la résolution d’une démission dans le présent pour préparer l’avenir. Dangereuse imprudence !
Certes, les signes favorables au député sont significatifs : en l’absence d’une autre figure charismatique capable d’incarner l’opposition à Macky Sall, la sienne s’impose indubitablement, agrégeant autour d’elle toutes les contestations et toutes les colères. Elle s’est forgée, en quelques heures, une solidité quasi-inoxydable, tant sont profonds les ressentiments qui alimentent les pulsions insurrectionnelles. Mais elle va devoir, tout de même, se laver d’un soupçon de viol que ni les manifestations, ni les déclarations intempestives, ni les discours ‘’confrontationnels’’ ne réussiront à faire oublier. Seul un procès justement mené peut avoir cette vocation et il va bien falloir qu’un jour ou l’autre, il ait lieu. Et c’est tout autant la crédibilité de la justice que celle d’Ousmane Sonko. Mais, surtout, d’ici 2023, la route est encore longue.
Pariant sur un cheval, certes en bonne forme athlétique, mais pas très à l’aise sur terrains lourds, le capitaine Touré n’aurait-il pas opéré l’un de ces choix coupables qu’on se retrouve à payer pour le restant de sa vie, sans possibilité de rémission ?