Sonko : La parenthèse de feu
Son appel à la mobilisation n’aura pas tardé à trouver réponse auprès de ses militants, rassemblés comme un seul homme autour de son domicile pour prévenir toute interpellation.
Après avoir averti dimanche, au cours d’un exercice médiatique, pas vraiment, opportun, qu’il ne répondrait pas à la convocation de la gendarmerie suite à la plainte déposée contre lui par Adji Sarr cette employée d’un salon de massage, devenue en quelques heures célèbre, Ousmane Sonko ne pouvait ignorer qu’il déclencherait la mécanique de traque et d’exactions qu’il subodorait pourtant être à l’origine de la cabale qui depuis bientôt une semaine, le met sous les feux des projecteurs, mais cette fois ci pas pour la grande histoire…
D’autant plus que, jouant sur la fibre politique qui lui a jusqu’ici réussi, il appelait à nouveau les damnés de la terre, à mener « le dernier ou l’avant dernier combat » contre l’exacteur attitré qui viendrait encore, avec son escouade de gendarmes, brimer le pauvre peuple, les sans-grades, les désespérés, en embastillant leur leader. Sous le motif d’un jeu de lupanar, proscrit.
C’est en tout cas à cette harangue qu’ils ont répondu ; celle qui titillait leur militantisme agissant, le patriotisme de la colère : « Foules esclaves, debout !debout ! »
Sur la forme, les choses auraient pu être mieux pensées : en se livrant à un exercice médiatique, au demeurant mal organisé, tant était agaçant ce gros plan de fauteuil qui n’en finissait pas d’être vide, cette sculpture incongrue d’une barque trop coloriée et ce tableau franchement disgracieux en arrière-plan, Ousmane Sonko semblait présumer de la suite des évènements et anticiper sur une action policière et juridique, certes prévisible. Et cette anticipation est d’autant plus victimaire qu’elle prend la rue à témoin de ce qui pourrait arriver et l’installe d’ailleurs, en bouclier idéologiquement contraint, contre l’autorité publique.
Car, autant rien ne permet d’affirmer que le pouvoir n’est pas derrière ces accusations de viol, autant rien ne permet d’insinuer le contraire. Prendre alors la rue comme témoin de ce qu’elle ne saurait savoir, pas plus d’ailleurs qu’elle ne sait si Sonko est coupable ou pas des faits qui lui sont reprochés, procède d’une certaine forme de manipulation populiste.
Sur le fond, Ousmane Sonko a raison : la traque permanente dont il fait l’objet d’un pouvoir littéralement obsédé par son ascension et l’indubitable crédit qu’il a auprès d’une opinion de plus en plus importante, confine au harcèlement politique et lui interdit toute liberté. La filature psychologique à laquelle il est soumise sans coup férir depuis 2016 et qui ausculte à la loupe, faits, mouvements, écrits et discours, sans qu’il en perçoive le motif, ont pu très justement lui faire penser qu’il était en danger ; que ce « sweet beauty » était désormais un bel engrenage dont il ne pouvait se sortir qu’en appelant à la rescousse, le peuple sur lequel il s’appuie depuis plusieurs années et qui lui fait l’amitié presque filiale, d’un chèque en blanc à la fois moral et politique.
Et la procédure qui a consisté en cette convocation de la gendarmerie de Colobane, alors même qu’il est encore sous immunité parlementaire, est de nature à légitimer ses suspicions ; la rapidité du recours à la levée de cette immunité rajoute à cette légitimité et renforce les arguments de ceux qui pensent que Sonko est tombé dans le piège d’une filature perverse et programmée qui a pu s’engouffrer dans la brèche d’une imprudence : l’imprudence de penser ou de se convaincre qu’un salon de massage est un cabinet de kiné et qu’on y rencontre les mêmes silhouettes…
Celle un peu plus lascive qu’il a croisée dans ce salon de la douce beauté et avec laquelle il a pris ses habitudes, semble-t-il, a tout l’air du point de départ de ses malheurs politiques à venir ; la figure concupiscente et machiavélique de son destin brisé.
Et cette rue qui hurle au feu et au sang, ces hommes, ces femmes, ces jeunes blessés sous la matraque et le fer de l’ordre légal et qui portent la fierté d’une fidélité assumée, dans ce qui ne restera sans doute qu’une parenthèse de feu, ne réussiront pas forcement à stériliser la plaie qui s’est ouverte sur le destin d’Ousmane Sonko ; car elle est de celles qui s’infectent avec le temps ; de celles qu’entretiennent les pouvoirs par l’exaction, la justice biaisée ou retardée, le mensonge, l’intrigue. Mais n’est-ce pas au fond la nature de tout pouvoir ?
Il y a du pathétique dans Sonko ; celui qu’il y a dans toute grande mutation… celle de l’insecte en train de muer, comme dirait Sartre. S’affranchissant de la naïveté d’une témérité tout en discours, il est désormais sommé de quitter ses aitres et de se rendre à l’évidence d’un monde brutal, celui qui ne fait aucun cadeau aux ambitions cavalières et moralisatrices et qui guettent le moment (qui arrive toujours) de les prendre au piège de leurs propres discours. Ou de l’inventer.