USA-Sénégal, une coopération en demi-teinte
Antony Blinken sera à Dakar demain. Ultime étape d'un périple d'une semaine sur le continent africain, qui l'aura successivement conduit au Kenya, puis au Nigeria. Axe trilogique fondamental dans la stratégie africaine du président Joe Biden.
Au Sénégal, considéré, à tort ou à raison, comme "modèle de stabilité démocratique", le secrétaire d'État américain aux affaires étrangères affichera son objectif de "revitalisation" des démocraties ainsi que ses ambitions de mobiliser autant que possible autour de la question du "changement climatique et du développement durable". Le président Macky Sall s'apprête à prendre la tête de l'Union africaine et par lui, la parole américaine aura un écho continental.
Antony Blinken discutera aussi du développement des capacités de production en Afrique de vaccins contre la Covid-19, initiative grâce à laquelle Joe Biden espère contrecarrer la Chine qui opère sur le continent un lobbying offensif pour ses propres vaccins.
En toile de fond, apparaîtra la question commerciale que n'arriveront pas à occulter les prétextes diplomatiques : l’Agoa - Africain Growth and Opportunity Act, adopté en mai 2000 pour soutenir l'économie des pays africains en leur facilitant l'accès au marché américain s'ils suivent les principes de l'économie libérale, expire en 2025 et pas plus que Donald Trump, Joe Biden ne semble enclin à la renouveler, face à une opinion américaine de moins en moins favorable aux accords commerciaux qui profiteraient plus aux autres qu'aux Américains. Que restera-t-il, en substance, donc, de la relation US- Sénégal, en dehors des affects usuels ?
Pas grand-chose, si ce n'est l’Agence américaine pour le développement international (USAID) créée en 1961, sous l'égide des présidents américains Eisenhower, puis John Fitzgerald Kennedy et le sénégalais Léopold Sédar Senghor ; le Build Act (Better Utilization of Investments Leading to Development) mis en place depuis octobre 2018 par Donald Trump, le Millenium Challenge Corporation (MCC) d’un montant de 240 milliards de F CFA durant la première phase (2010-2015) et de 314 milliards de F CFA de don pour le second compact (mi 2020-mi 2025). Enfin, les volontaires du Corps de la paix américain déployés dans tout le Sénégal depuis la signature, en 1963, du protocole d’accord sur leur déploiement.
Pas trop mal, finalement, dira-t-on. La réalité est que cette coopération n'a jamais été privilégiée. Elle n'a toujours été envisagée et conçue, du côté américain, que dans un canevas régional, qu'aucune fibre affective qu'aurait pu générer plus d'un demi-siècle de proximité, n'a jamais pu canaliser dans un sens préférentiel. C'est le premier bémol qu'il faut mettre à l'enthousiasme que pourrait susciter cette visite.
Le deuxième est à voir dans la réalité qu'avant Clinton et hormis la parenthèse Obama, la diplomatie africaine des États-Unis, exception faite de celle qu'elle entretien avec l'Afrique du Sud, use des mêmes logiciels, des mêmes codes qui ont fini par accréditer l'idée d'une diplomatie de convenance, exempte de tout projet particulier, ne tenant cette partie du monde que comme un boulet qu'aucune contrainte rationnelle ne porterait à démarcher.
Les réalités du monde avec ses nouvelles menaces, la tragédie du 11 septembre 2001 et bien d'autres paramètres sécuritaires ont fini par réveiller la superpuissance sur l'importance d'une géostratégie qui n'exclut personne et qui désigne l'Afrique comme l'un des espaces essentiels de la prévention contre le crime terroriste, entre autres dysfonctionnements...
Le curseur diplomatique américain a alors placé le continent sous un peu plus de lumière sans qu'aucune affinité particulière n'ait jamais pu se créer entre cette puissance et l'un ou l'autre des pays africains.
La question de la démocratie que vient évoquer Blinken à Dakar, peut apparaitre, dès lors, comme du mastic sur la carrosserie climatique qui constitue le souci premier de l'Administration Biden. Que l'Afrique s'engage, comme un seul homme, sous le leadership sénégalais, dans les orientations et les options qu'elle exige, serait une réussite non négligeable. Aussi, au concurrent redoutable que représente désormais la Chine, les États-Unis veulent envoyer le message de son intérêt pour ce continent, de l'Est à l'Ouest. Et dans tous les domaines.
La Covid-19 s'impose, dès lors, comme le truchement de prédilection par lequel se faufilera cette nouvelle doctrine.
Un déplacement loin d'être anodin, donc, mais loin d'être philanthropique aussi. Il s'inscrit dans la droite ligne des nouvelles inquiétudes américaines et des stratégies à établir pour les conjurer. La vraie coopération, celle qui rapproche les peuples et qui facilite les échanges, n'y a pas vraiment sa place, même si le diplomate prévoit de rencontrer quelques membres de la société civile, notamment les femmes entrepreneures.
C'est un peu dommage !