Relater l’histoire à travers un prisme africain

Raconter l’histoire des hommes noirs avec un regard africain : telle est l’idée phare de la conférence rappée animée par le rappeur Simon Kouka de la structure 99 Records Jolofs 4 Life. En partenariat avec le ministère de l’Éducation, il sillonne les écoles pour sensibiliser les jeunes élèves. Il invite également le gouvernement à revoir le programme scolaire.
Conférence rappée ! Une méthode à la fois instructive et ludique d’animer les activités scolaires. Il y a quelques jours, au lycée Blaise Diagne, devant une foule d’élèves, le rappeur Mohamed Simon Kouka leur a posé une série de questions sur Thierno Souleymane Baal et Cheikh Anta Diop. Les participants ayant fourni trois réponses correctes ont été récompensés par des prix en espèces. Si beaucoup ont peiné à évoquer trois éléments de la révolution Torodo, ils ont facilement cité les joueurs du Real Madrid ou du FC Barcelone.
‘’On connaît mieux l’histoire des autres que la nôtre’’, déplore Simon, saluant la présence du porte-parole du gouvernement, Amadou Moustapha Ndjeck Sarr, et des figures de la culture urbaine.
Cette initiative vise à sensibiliser les jeunes à l’histoire de leur pays. Il s’agit de réécrire notre récit national et de mettre en lumière les savants et héros noirs.
En partenariat avec le ministère de l’Éducation nationale, une tournée est organisée dans les lycées. ‘’On prétend que Victor Schœlcher a aboli l’esclavage en 1848, mais Thierno Souleymane Baal l’avait interdit dès 1776 grâce à la révolution Torodo menée avec Abdoul Kader Kane et Thierno Abbas. Soixante-douze ans les séparent’’, souligne M. Kouka. Celui-ci promeut également la Charte du Mandé (Charte de Kurukanfuga), codifiée par Soundjata Keïta au XIIIe siècle. ‘’L’ONU vante sa Déclaration universelle des Droits de l’homme de 1948, alors que l’Afrique possédait, dès 1236, une charte similaire’’, explique le rappeur entrepreneur.
L’objectif est d’enseigner aux élèves les valeurs de cette charte et celles incarnées par des figures historiques comme Abu Bakr II. Ce dernier, précise Simon, aurait foulé le sol américain avant même la naissance du père de Christophe Colomb. ‘’Un explorateur parti des rives de la Gambie aurait atteint l’Amérique vers 1311-1312, selon les travaux du professeur Pathé Diagne’’, affirme-t-il. Une démarche visant à décoloniser le savoir.
‘’Notre partenariat avec le ministère consiste à restituer la vérité historique avec une perspective africaine. Actuellement, l’enseignement privilégie le prisme occidental. Ces récits figurent dans les manuels, mais relégués en fin de programme, ils restent méconnus des élèves. Aujourd’hui, interrogez-les sur Mao Tsé-toung, l’ère Meiji ou l’Empire ottoman : ils répondront. Mais qu’en est-il du Cayor, de l’éclatement du Jolof ou du Walo ?’’, interroge M. Kouka.
Il appelle à une refonte des programmes scolaires et des manuels pour adopter une perspective africaine. ‘’Nous collaborons avec le ministère pour réviser les curricula. Ils ont d’ailleurs initié cette démarche via le programme Nite’’.
Simon évoque aussi une possible suppression du baccalauréat : ‘’Le ministre Guirassy envisage son abolition. Après avoir observé des systèmes éducatifs à l’étranger, nous constatons que l’apprentissage par cœur – comme ces étudiants de la corniche – est dépassé. Le monde a évolué.’’
Après les lycées Seydou Nourou Tall et Blaise Diagne, la tournée s’étendra à huit universités avec le professeur Abdou Rahman Diouf. Simon et son équipe sont également attendus à la Sorbonne, à Paris.
BABACAR SY SEYE