Les cabinets étrangers ont encore le vent en poupe

Après McKinsey choisi sous l’ancien régime pour l’élaboration du Plan Sénégal émergent, Mazars pour l’audit de finances publiques, voici le cabinet d’avocats Gide qui hérite d’un grand dossier d’arbitrage, selon les dénonciations de l’avocat d’Oudmane Sonko, Juan Branco.
C’est Juan Branco qui donne l’information sur sa page Facebook. “L'État sénégalais a désigné le cabinet d'affaires français Gide pour défendre ses intérêts dans un arbitrage récemment ouvert”, constate l’avocat d’Ousmane Sonko pour s’en désoler. Maitre Branco dénonce une “absence de rupture des liens avec les cabinets qui représentaient les intérêts du régime précédent et qui servent le système”.
Pour lui, cela pose un vrai problème. L’État avait tout intérêt à prendre des avocats sénégalais qui ont toutes les compétences. À ceux qui invoquent des raisons objectives de compétence pour justifier ce type de choix, l’avocat français rétorque : “Le Sénégal a parmi les plus fins juristes du monde. Son État a tout intérêt à soutenir le développement de ses propres cabinets. Il n'a enfin aucun complexe à avoir quant au fait de désigner ses propres avocats, qui factureront l'État bien moins que mes confrères cravatés de la place de Paris, trop habitués à voir l'Afrique comme une terre à piller, voire une vache à traire, qui n'hésitent pas à confier à leurs stagiaires des dossiers pour des honoraires multitudinaires.”
Me Juan Branco : “Un cabinet comme Gide facture rarement moins de 1 000 euros l’heure…”
Relativement au coût de ce choix des grands cabinets étrangers, l’avocat a donné des pistes. “Un cabinet de cette sorte, lance-t-il à ses followers qui l’interpellaient sur les coûts, facture rarement moins de 1 000 euros l'heure et n'hésite pas à facturer plusieurs milliers d'heures dans des dossiers comme ceux-là”.
Il faut noter que la question est loin d’être nouvelle. De tout temps, l’État du Sénégal a recouru à des cabinets français et étrangers pour défendre ses intérêts dans certains dossiers d’envergure internationale. Il est même arrivé que l’État recoure à des avocats français dans des contentieux nationaux. Ceci est valable aussi bien en matière juridique que dans les autres domaines.
On se rappelle encore toute la polémique suscitée par le choix de McKinsey pour dans le cadre de l’élaboration du Plan Sénégal émergent. Dernièrement, c’est Forvis Mazars qui a été choisi pour auditer les finances publiques, malgré le travail effectué par la Cour des comptes.
La nature complexe des dossiers souvent évoqués
Pour certains spécialistes, cela entre dans le cours normal des choses. C’est le cas de ce grand avocat du barreau de Dakar qui relativise. “Chacun est libre de choisir le cabinet qui est le plus à même de défendre ses intérêts. Que ça soit sur le plan national ou sur le plan international. Ce n’est pas du tout un problème”, souligne la robe noire, qui invoque la nature complexe des dossiers en question : “La plupart du temps, c’est des dossiers assez complexes, qui nécessitent des connaissances assez pointues. Nos avocats n’ont pas toujours tous les moyens de rivaliser avec ces grands cabinets, il faut le reconnaître.”
Aussi, avertit l’avocat, ces litiges se passent devant des instances internationales. “C’est dans les conventions que nos États prévoient de recourir à des instances internationales en cas de litige. Ce n’est pas un tribunal sénégalais qui va arbitrer. D’où la pertinence parfois d’avoir des avocats étrangers dans certaines situations”, plaide cet ancien avocat de l’État.
Au-delà de l’expertise requise, il y a aussi une question d’efficacité. Selon notre interlocuteur, la procédure se déroulant dans un pays étranger, il est parfois mieux indiqué d’avoir des avocats basés dans ce pays. “Par exemple, si l’arbitrage se passe à Paris, il peut être plus indiqué de prendre un cabinet établi à Paris, qui pourra recevoir les actes, qui pourra prendre part aux audiences… Si tu prends un cabinet sénégalais, il sera obligé de se déplacer tout le temps et ça fait aussi des frais”, atténue-t-il, rejetant les arguments de souverainisme avancés.
De l’importance d’associer des cabinets sénégalais aux cabinets internationaux
Cela dit, l’État peut toujours associer les cabinets sénégalais avec étrangers pour les aider aussi à se renforcer. L’avocat d’ajouter : “Il faut aussi noter que nous avons affaire à des multinationales qui, parfois, ont des chiffres d’affaires équivalant ou dépassant les budgets de nos États. Ce n’est donc pas une question de sentimentalisme. Il faut prendre ceux que l’on juge être les meilleurs, d’autant plus que les procédures d’arbitrage sont très complexes.”
Au-delà du prétexte souverainiste, ce qui semble le plus déranger Maitre Juan Branco semble être l’absence de reconnaissance envers ceux qui ont défendu Ousmane Sonko quand c’était difficile. “J'ai, à plusieurs reprises, signalé l'importance de considérer des confrères qui ont risqué leur vie à un moment où certaines personnes occupant les plus hautes fonctions de l'État se terraient. Ils ont été les seuls, avec Ousmane Sonko, Bassirou Diomaye Faye, quelques cadres et des milliers d'anonymes, à risquer leur vie. Ils ont montré leur excellence dans ce combat”, lance-t-il compatissant.
Pour lui, ces avocats l'ont fait sans rien attendre ni espérer, si ce n'est la destruction de leur vie. “Je les aurais espérés décorés, honorés, soutenus et respectés pour ce qu'ils ont apporté, pour leur compétence incroyable, pour leur courage et leur ténacité”, plaide la robe noire.
À en croire Branco, certains avocats sénégalais de Sonko ne sont pas contents. Laissés en rade dans les grands dossiers judiciaires de l’État, certains se seraient plaints devant l’avocat français, non sans insinuer des représailles de magistrats à leur encontre. “Je suis accablé de les voir et les entendre me dire le mépris et l'absence de respect auquel ils sont, au quotidien, confrontés par une administration et une magistrature qui semblent trouver ainsi jouissance à s'en venger en toute impunité”, révèle Me Branco qui, de manière assez subtile, semble tout mettre sur le dos de l’administration vestige du système.
“Mes confrères sont écartés systématiquement du contentieux par l'administration, qui n'a en réalité pas changé de main”, persiste-t-il, rappelant que ces cabinets comme Gide sont payés “à des prix stratosphériques”
Gide, un cabinet très offensif sur le continent Fort de plus de 70 avocats, dont une vingtaine d’associés, le cabinet Gide n’est plus à présenter dans le milieu des cabinets d’avocats d’affaires. Son intérêt pour le continent ne cesse de grandir et certaines sources lui prêtent une intention d’ouvrir un bureau à Dakar pour mieux couvrir l’Afrique de l’Ouest. Sur son site, le cabinet ne cache pas son appétit pour le continent : “L’Afrique est au cœur de nos enjeux. Notre équipe, composée d’une vingtaine d’associés et plus de cinquante avocats, accompagne les grandes étapes du développement économique et social du continent.” Le cabinet français dit être présent dans des secteurs clés comme les ressources naturelles, l’énergie, les infrastructures, l’agriculture et des secteurs d’avenir comme les télécommunications, la protection des données, les cryptomonnaies, l’e-santé et le mobile money. “Nous couvrons tout le continent, du Maghreb à l’Afrique anglophone, en passant par l’Afrique francophone. Nos trois bureaux en Afrique (Alger, Casablanca, Tunis) et nos bureaux en Europe, en Chine et aux États-Unis nous permettent d’allier expertise locale et internationale pour accompagner nos clients dans leurs projets sur le continent et pour leurs opérations transfrontalières”. De ce fait, ses membres ont une parfaite maitrise des différents systèmes et régimes juridiques nationaux et régionaux. |
Par Mor Amar