De mal en pis, selon Amnesty International
Hier, à l’occasion de la Journée africaine de la lutte anti-corruption, Amnesty International a fait le bilan de cette lutte conduite depuis 2018 en Afrique de l'Ouest et du Centre. D'après l'organisation, non seulement la corruption prospère, mais aussi ceux qui la dénoncent sont persécutés.
Malgré les initiatives et évolutions positives, la corruption perdure avec la même intensité en Afrique et prospère dans un climat de restrictions draconiennes des droits humains et de l'espace civique, limitant la capacité des défenseurs des droits humains (DDH) qui luttent contre la corruption à demander des comptes à des acteurs puissants au sujet de la corruption et des atteintes aux droits humains, renseigne Liliane Mouan, conseillère principale sur la corruption et les droits humains - Afrique de l'Ouest et du Centre, Amnesty International.
Hier, lors de la Journée africaine de la lutte anti-corruption célébrée au mois de juillet, un nouveau rapport sur la corruption et les droits humains dans la région Afrique de l’Ouest et du Centre a été publié par Amnesty International. ''Ce rapport présente les éléments de preuve les plus récents sur la répression féroce frappant les DDH qui luttent contre la corruption en Afrique de l'Ouest et du Centre, une région où de tels faits sont rarement signalés et qui est marquée par une culture d'impunité et par un non-respect de l'obligation de rendre des comptes, en cas de violation des droits humains'', informe-t-elle.
Le document porte sur 19 pays dont s'occupe le bureau régional d'Amnesty International pour l'Afrique de l'Ouest et du Centre, et comprend 31 cas de répression à l'encontre de DDH luttant contre la corruption dans certains de ces pays, depuis 2018.
Selon l'ONG, ces cas ont été sélectionnés, au vu de la corrélation entre le travail ou les actions des DDH luttant contre la corruption et la répression à laquelle ils font face, ainsi que de l'absence de reddition des comptes et de justice.
D'ailleurs, Samira Daouda, Directrice Afrique de l'Ouest et du Centre, note que la corruption entrave la pleine réalisation des droits individuels et collectifs garantis par les traités régionaux et internationaux sur les droits humains, et amoindrit la capacité des États à respecter leurs obligations en matière de droits humains.
Toutefois, dit-elle, le lien qui existe entre la corruption et les droits humains est mal compris, en partie, parce que les institutions et les instruments nationaux, régionaux et internationaux accorderaient peu d'attention à ce qui unit les deux concepts. ''En Afrique de l'Ouest et du Centre, les autorités nationales utilisent divers outils et tactiques pour faire taire et réprimer les DDH luttant contre la corruption. Elles portent notamment atteinte à leurs droits à la liberté d'expression et de réunion pacifique, en les accusant de diffamation et de diffusion de fausses nouvelles, en interdisant des manifestations de façon injustifiée et en perpétrant des attaques personnelles telles que menaces, licenciements, harcèlement économique et actes de torture'', dénonce Amnesty International.
L’organisation dit avoir recensé de nombreux cas de DDH luttant contre la corruption qui ont été convoqués par la police, arrêtés arbitrairement, inculpés de diffamation et détenus après avoir dénoncé la corruption en Afrique de l'Ouest et du Centre, entre 2018 et 2022, en violation du droit national, régional et international relatif aux droits humains.
Absence d'environnement juridique sûr et favorable
Plusieurs facteurs expliquent pourquoi des violations des droits humains peuvent être commises contre des DDH luttant contre la corruption et pourquoi les pratiques de corruption qu'ils dénoncent et les atteintes qui en découlent ou sont liées à leur travail restent en grande partie impunies.
Dans le rapport, Amnesty International parle d'absence d'environnement juridique sûr et favorable, c'est-à-dire le manque de cadre juridique solide et conforme aux normes internationales et de système efficace de protection des Droits de l'homme au niveau national susceptibles de garantir les droits fondamentaux et la sécurité des DDH.
''Cela se vérifie, entre autres, par l'absence de lois appropriées visant à protéger les DDH, notamment celles et ceux qui luttent contre la corruption, et d'institutions judiciaires efficaces et indépendantes offrant un accès à la justice et des recours utiles en cas de violation des droits humains. Ces manquements dans les domaines juridique et institutionnel ont de graves conséquences sur le travail et les activités des DDH anticorruption, car des pratiques de corruption potentielles peuvent ainsi être dissimulées et l'impunité est encouragée pour les responsables publics et autres, qui savent que leurs agissements corrompus et que les agressions commises pour faire taire les DDH dénonçant ces agissements ne feront l'objet d'aucune enquête ni sanction'', regrette Amnesty International.
D'après l'ONG, plus globalement, ces manquements contribuent à éroder la confiance de la population dans la capacité de l'État à appliquer les lois et la capacité des institutions judiciaires à éviter que d'autres actes de corruption et atteintes aux droits humains ne se produisent et à permettre l'accès à la justice et aux recours utiles dans de tels cas.
Recommandations
Pour remédier à cette situation, Amnesty International propose dans son rapport un ensemble de recommandations pour appeler les États d'Afrique de l'Ouest et du Centre à respecter les droits à la liberté d'expression et de réunion pacifique, à promouvoir et protéger les DDH luttant contre la corruption, à ''mettre fin à l'impunité des responsables d'agressions et autres atteintes aux droits humains commises contre ces DDH'' et à renforcer les cadres juridiques et institutionnels au niveau national pour lutter contre la corruption et améliorer le respect de l'obligation de rendre des comptes en cas de violation des droits humains et de pratiques de corruption.
L'organisation exhorte les organes régionaux et sous-régionaux à promouvoir la ratification, l'intégration dans la législation nationale et/ou la mise en œuvre complète des traités régionaux de lutte contre la corruption et de défense des droits humains, ainsi que des lois garantissant la promotion et la protection des droits humains, et la prévention et la lutte contre la corruption en Afrique. Elle demande ''la création d'un mandat au titre des procédures spéciales des Nations unies, ou d'un mécanisme similaire, permettant d'examiner et de contrôler l'impact et les conséquences multiples et croisées de la corruption sur les droits humains, et d'apporter des conseils et des solutions dans ce domaine''.
En outre, Amnesty International ''exhorte les États étrangers à soutenir les DDH luttant contre la corruption, en particulier celles et ceux qui sont en danger, en investissant dans des programmes et des initiatives de protection, de préservation ou de réinstallation rapide''.
BABACAR SY SÈYE