Publié le 6 Sep 2021 - 19:02
COUP D’ETAT MILITAIRE EN GUINEE

Récit d’une journée de confusion totale 

 

Les Guinéens se sont réveillés, hier, avec la surprise de voir leur président de la République, Alpha Condé, arrêté par des putschistes qui, depuis, contrôlent le pays.    

 

Dégoût. Dépit. Détresse. Ou même surprise. Difficile de dire quel sentiment domine sur le visage du président de la République guinéen. Des vidéos et images diffusées sur les réseaux sociaux montrent le chef de l’Etat sous un nouveau jour : un homme escorté par des gardes qui n’obéissent pas à ses ordres. Hier matin, Alpha Condé a été arrêté par les éléments du Groupement des forces spéciales guinéens, dans une action militaire qui s’apparente à un coup d’Etat.

‘’Excellence, est-ce que nous vous avions brutalisé ou fait du mal ?’’, demandent les officiers, dans une des vidéos partagées, au président visiblement plongé dans un mauvais rêve. Ce dernier reste sans réponse aux interrogations. En même temps, une déclaration du leader de ce coup de force donne quelques informations sur la situation brutale qui a réveillé les Guinéens. ‘’Nous avons décidé, après avoir pris le président, qui est actuellement avec nous (…), de dissoudre la Constitution en vigueur, de dissoudre les institutions. Nous avons décidé aussi de dissoudre le gouvernement et la fermeture des frontières terrestres et aériennes’’, déclare le porte-parole des insoumis à l'autorité du chef de l’Etat.

Le cadre est défini, le décor planté. A bientôt un an après sa réélection à la tête de la Guinée, le président Alpha Condé a été renversé par un putsch militaire.

Mise en place d’un Comité national du rassemblement et du développement

A la tête de cette mutinerie, le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya se dévoile, sans masque et en uniforme, devant ses hommes encagoulés. L’homme commande le Groupement des forces spéciales guinéennes, une unité d’élite parmi les plus puissantes de l’armée. Il justifie son acte : ‘’La situation sociopolitique et économique du pays, le dysfonctionnement des institutions républicaines, l’instrumentalisation de la justice, le piétinement des droits des citoyens, l’irrespect des principes démocratiques, la politisation à outrance de l’Administration publique, la gabegie financière, la pauvreté et la corruption endémique ont amené l’armée républicaine (…) à prendre ses responsabilités vis-à-vis du peuple souverain de Guinée.’’ Moment qui précède l’annonce de la mise en place d’un ‘’Comité national du rassemblement et du développement (CNRD)’’.

Au même moment, un communiqué du ministère guinéen de la Défense nationale informe qu’aux premières heures de la journée, hier, Conakry a été le théâtre de tirs nourris de la part d'éléments du Groupement des forces spéciales et que les insurgés se sont rendus au palais présidentiel. De plus, ajoute la note : ‘’La garde présidentielle, appuyée par les forces de défense et de sécurité, loyalistes et républicaines, ont contenu la menace et repoussé le groupe d'assaillants. Les opérations de sécurisation et de ratissage se poursuivent pour rétablir l'ordre et la paix.’’

C’est tôt dans la matinée que des tirs nourris d’armes automatiques avaient retenti sur la presqu’île de Kaloum, centre névralgique de Conakry, où siègent la présidence, les institutions et les bureaux d’affaires de la Guinée. Face aux preuves de l’arrestation du président Condé fournies en temps réel par les éléments des forces spéciales et le manque de nouvelles réactions des autorités publiques, une situation confuse a perduré durant toute la journée.  

Preuves des divisions profondes qui minent ce pays depuis quelques années, plusieurs quartiers de Conakry ont célébré le renversement annoncé du président Alpha Condé par le colonel Mamady Doumbouya. Il s’agit des habitants des quartiers fidèles à l’opposition comme Yimbaya, dans la commune de Matoto. Dans l’après-midi, des populations se sont regroupées devant le camp de l’armée de l’air, pour acclamer les militaires. Il en de même dans plusieurs autres localités.

Ce n’est que dans la soirée, avec un nouveau communiqué lu à la télévision nationale, que les insurgés ont apporté plus de précisions sur la suite des évènements pour maintenir la bonne marche du pays. Confirmant leurs décisions du jour, ils ont ordonné aux secrétaires généraux de tous les départements ministériels ‘’d’assurer la continuité des charges courantes. Les gouverneurs de région sont remplacés par les commandants des régions. Les préfets et sous-préfets sont remplacés par les commandants des unités de la plus grande localité. Le CNRD appelle les fonctionnaires à reprendre le travail’’.

Le sort des ministres sortants et des présidents des institutions sera décidé, aujourd’hui, au cours d’une rencontre au palais de la République, à 11 h. Réunion à laquelle tout refus d’une personne conviée d’y assister sera interprété comme de la rébellion, font savoir les militaires au pouvoir. Un couvre-feu a également été instauré à partir de 20 h sur toute l’étendue du territoire guinéen, jusqu’à nouvel ordre. Quant aux conditions de détention du président guinéen, les putschistes assurent que l’intégrité physique et morale d’Alpha Condé n’est pas engagée : ‘’Nous avons pris toutes les mesures pour qu’il ait accès à des soins de santé.’’

A 83 ans (85, selon certaines sources), l’ex-homme fort guinéen traîne beaucoup de pathologies.

COUP DE FORCE MILITAIRE EN GUINEE

Mamady Doumbouya, un agent spécial au pouvoir 

De la Légion étrangère française aux forces spéciales guinéennes, l’homme à la tête des militaires ayant annoncé l’arrestation du président guinéen n’a pas la tête d’un militaire ordinaire.

Sera-t-il l’homme qui eut raison d’Alpha Condé ? Depuis hier, Mamady Doumbouya est sorti de sa réserve militaire pour s’exposer à la face du monde. A la tête du Groupement des forces spéciales guinéennes, le lieutenant-colonel a mené un putsch qui a abouti à l’arrestation du président de la République, tôt dans la matinée. S’il fallait être puissant pour s’attaquer au chef d’Etat réélu en octobre dernier, lors d’une Présidentielle controversée, le commandant Doumbouya peut faire le dos rond. Cet ancien caporal-chef de la Légion étrangère française était un des hommes de confiance du président déchu.

C’est en quittant ce prestigieux corps d’armée qu’il a rejoint la Guinée pour commander le Groupement des forces spéciales, sur proposition du président Alpha Condé. Homme puissant et respecté, peut-être même craint, Mamady Doumbouya a surtout accumulé des états de service plutôt impressionnants. Officier breveté de l’École de guerre de Paris, il possède plus d’une quinzaine d’années d’expérience militaire, notamment lors de missions opérationnelles (Afghanistan, Côte d’Ivoire, Djibouti, République centrafricaine) et de protection rapprochée (Israël, Chypre, Royaume-Uni, Guinée).

D’ailleurs, le patron de la Direction de l’information et des relations publiques de l’armée guinéenne (Dirpa/Guinée) ne tarissait pas d’éloges à son endroit, lors de la fête de l’indépendance en 2018. A la télévision nationale, Aladji Cellou affirmait que le commandant Doumbouya ‘’est capable d’identifier et de désamorcer des situations à risque, en restant calme face à un environnement hostile et une pression extrême. Il s’adapte et improvise face à toute situation qui demande une maîtrise de soi, une évaluation du risque et une prise de décision rapide’’. C’était la première fois qu’il apparaissait à la télévision.

Car il n’y a pas grand-chose, à part son parcours, de connu sur ce militaire. Si ce n’est qu’il dirige une unité de l’armée guinéenne disposant d'un entraînement et de moyens considérables. Mais, ‘’très souvent, son nom a été évoqué comme pouvant intervenir au nom de l'armée", au cours de la crise que le pays a traversée, affirme un journaliste à la télévision française.

Une offensive pour se défendre ?

Son putsch serait-il une stratégie offensive pour prévenir son arrestation ? Depuis sa nomination du Groupement des forces spéciales guinéennes, le commandant Doumbouya avait entrepris, selon plusieurs sources, des manœuvres afin d’autonomiser le groupement par rapport au ministère de la Défense. Une option que n’aurait pas appréciée son patron, méfiant vis-à-vis de ses intentions inavouées. Face aux rumeurs de sa probable arrestation, le chef des forces spéciales aurait alors pris son destin entre ses mains et mené la première attaque.

Mamady Doumbouya n’est pas un inconnu de l’armée sénégalaise. En effet, il fut pensionnaire de l’Ecole d’application de l’infanterie de Thiès où il a subi, avec succès, aux premières années de la présidence de Condé, le cours de formation des futurs commandants d’unité (CFCU).

Son parcours truffé de missions étrangères et de formations aux quatre coins du monde, en fait un élément particulier au sein de l’armée guinéenne. Habitué aux missions spéciales, sera-t-il le patriote qu’espèrent les Guinéens pour mener une transition pacifique et démocratique vers les élections libres et transparentes ?

Malinké, tout comme le président qu’il a mis aux arrêts, le commandant Doumbouya est originaire de la région de Kankan. Une appartenance ethnique qui, sans doute, a son importance sur l’accueil positif réservé au coup militaire par une grande partie de la population. Dans une Guinée aux tensions multiples, ce nouvel homme fort aura du pain sur la planche. Un des premiers exploits à réaliser sera de fédérer l’armée autour de lui, une bonne partie des militaires étant encore fidèle au président Condé. Dans son intervention à la télévision, il a tout de même appelé ses frères d’armes à aller dans ce sens.


Réactions mondiales

La situation en Guinée est très vite parvenue au Sénégal où les réactions n’ont pas tardé. Si le président de la République Macky Sall ne s’est pas personnellement prononcé à travers ses canaux officiels, son principal opposant n’a pas manqué de saisir l’occasion pour lui indiquer l’exemple à ne pas suivre.

‘’Il y a un an à peine, j’avais alerté, face à la boulimie des ogres politiques qui s’agrippent au pouvoir en Afrique, surtout francophone’’, rappelle un Ousmane Sonko qui s’est dit ‘’triste pour l’Afrique’’. Car, ajoute-t-il, ‘’le pire est que souvent, après l’euphorie et les jubilations qui accompagnent la chute d’un potentat, les citoyens déchantent, une fois qu'ils se rendent compte qu'ils sont revenus au point de départ : les nouveaux maîtres du jeu apparaissent rapidement comme de parfaites répliques des déchus, parrainés par les mêmes intérêts hostiles à la libération et l’épanouissement de l’Afrique. Espérons et prions qu'il n’en soit pas ainsi pour les pays frères de Guinée, Mali et Tchad…’’.

A l’échelle africaine, les condamnations ont logiquement suivi l’annonce de la chute d’Alpha Condé. La Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) s'est exprimée à son tour sur la situation. Dans un communiqué signé par le président en exercice, le chef de l'État ghanéen Nana Akufo-Ado, la CEDEAO fait part de sa grande préoccupation et condamne ‘’cette tentative de coup d'État’’, et exigé le retour à l'ordre constitutionnel et demande la libération du président Condé.

Elle a été imitée par l'Union africaine dont le communiqué signé par le président en exercice, le chef de l'État congolais Félix Tshisekedi, et par le président de la Commission Moussa Faki Mahamat, condamne toute prise de pouvoir par la force et demande la libération immédiate du président guinéen. Les deux hommes ont d’ailleurs invité le Conseil de paix et de sécurité à se réunir en urgence pour examiner la situation et prendre des mesures appropriées. Des appels auxquels s’est joint Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations Unies, qui a affirmé suivre personnellement la situation dans le pays. Le président burundais Évariste Ndayishimiye fut le premier chef d’Etat africain à ‘’condamner le coup d'État en République de Guinée’’ et à lancer un appel au calme.

Lamine Diouf

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