Publié le 27 Oct 2025 - 19:44
CULTURE

Thiès accueille les trésors retrouvés du champ de bataille de Samba Sadio (1875)

 

La cérémonie d’ouverture de l’exposition Samba Sadio (1875), organisée au musée régional de Thiès, a été marquée par une forte présence des dignitaires religieux, des autorités culturelles et des acteurs du patrimoine. Parmi eux, Serigne Mamadou Seck, représentant du Khalife général de Thiénaba, a livré un message empreint de reconnaissance et de fermeté à l’égard des enjeux mémoriels et spirituels que soulève cet événement.

Des pièces, longtemps conservées au musée de Dunkerque en France, ont été restituées dans le cadre d’un partenariat culturel unique réunissant les musées de Dunkerque, de Thiès et du CRDS de Saint-Louis, sous la coordination de l’association franco-sénégalaise Alter Natives, présidée par Emanuelle Cadet. Elles sont l’objet d’une exposition qui s’est ouverte, à Thiès.

Installée face à la Manufacture des Arts, dans le quartier du 10ᵉ à Thiès, l’exposition plonge le visiteur au cœur d’un épisode marquant de l’histoire du Sénégal : la bataille du 11 février 1875, qui opposa les troupes du Damel du Cayor Lat Dior Ngoné Latyr Diop, allié aux forces coloniales françaises, à celles du chef religieux Tijane Amadou Cheikhou Ba.

Ce face-à-face, à la fois politique, spirituel et symbolique, illustre la complexité des résistances sénégalaises du XIXᵉ siècle.
« Ces objets racontent bien plus qu’une bataille », explique Emanuelle Cadet. « Ils portent la mémoire de ceux qui ont combattu, de ceux qui ont cru et de ceux dont la voix avait été réduite au silence. Aujourd’hui, ils reviennent sur leur terre d’origine pour redonner vie à cette histoire. »

Au cœur de l’exposition, huit pièces historiques identifiées au musée de Dunkerque grâce à un travail de recherche mené par Alter Natives sont exposées. Offertes en 1875 par Émile Faidherbe, neveu du général Louis Faidherbe et capitaine des spahis sénégalais, ces pièces avaient été prélevées sur le champ de bataille. Elles comprennent notamment : une selle soudanaise, une planchette coranique, deux sacs à balles, un marteau, un porte-monnaie contenant des versets du Coran, un collier d’amulettes de guerre, et une bride avec mors.

« Nous savons aujourd’hui, poursuit Emanuelle Cadet, que ces objets ont été pris sur les corps des combattants Tijanes et de leurs montures. Ils sont les témoins matériels d’un moment tragique, mais aussi d’un courage et d’une foi indéfectibles. »

Reconstruire le récit par la participation

Pour reconstruire le récit autour de cette collection, Alter Natives a choisi une démarche participative.
Encadrés par l’association, quinze jeunes chercheurs et médiateurs culturels âgés de 17 à 25 ans, venus de Thiès, Thiénaba, Mboro, Saint-Louis, Yang Yang, Dunkerque et Montreuil, ont mené en juillet 2025 une mission d’enquête au Sénégal.

Ils ont rencontré des descendants de Lat Dior, des héritiers spirituels de Cheikhou Ba, ainsi que des artisans spécialisés dans la sellerie et des théologiens Tijanes. « Cette enquête menée avec les jeunes, confie Emanuelle Cadet, a permis de confronter les sources historiques aux récits locaux. L’objectif n’était pas de célébrer ou de condamner, mais d’écouter et de comprendre. C’est ensemble que nous pouvons reconstruire un récit commun, affranchi des visions coloniales ou hagiographiques. »

Une démarche de souveraineté culturelle

Au-delà de la restitution symbolique, Samba Sadio (1875) s’inscrit dans un mouvement plus large de reconquête du patrimoine et de souveraineté culturelle. Alors que la France s’apprête à adopter une loi-cadre sur la restitution des biens culturels acquis pendant la colonisation, cette initiative sénégalo-française illustre un modèle de coopération fondé sur la recherche, la transparence et le dialogue égalitaire.

Le projet a également permis de renforcer les compétences techniques des musées partenaires, notamment en matière de conservation préventive, de sécurisation des œuvres et de mise aux normes muséographiques. « Restituer un objet, souligne Emanuelle Cadet, ce n’est pas simplement le rendre. C’est lui redonner du sens. Et cela passe par un travail de recherche, d’éducation et de dialogue entre les peuples. »

Le projet est financé en partie par le programme Muslab – Coopération Muséale Innovante, soutenu par l’ambassade de France au Sénégal, la ville de Dunkerque et l’Université de Lille. Pour assurer la production complète de l’exposition itinérante et le transport sécurisé des œuvres, des cofinancements nationaux et locaux sont encore nécessaires. Deux campagnes de financement participatif sont actuellement ouvertes au Sénégal et en France.

Alter Natives poursuit également ses recherches sur d’autres collections liées au gouverneur Faidherbe, aujourd’hui conservées au musée d’Histoire naturelle de Lille.

Mémoire, transmission et fierté

L’exposition Samba Sadio 1875 s’achèvera en décembre par une journée d’étude internationale organisée à Thiès, en partenariat avec l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD). Ce rendez-vous réunira historiens, chercheurs et acteurs culturels autour d’une même question : comment faire du patrimoine un levier de réconciliation et de transmission ?

Pour Emanuelle Cadet, cette exposition marque une étape symbolique : « Ce retour n’est pas seulement celui d’objets, mais d’une mémoire rendue à son peuple. À travers cette démarche, nous réécrivons ensemble une page d’histoire – une histoire que l’on ne nous avait pas racontée. »

Samba Sadio 1875 : la voix de Thiénaba appelle à la restitution des objets historiques

Dans une déclaration remarquée, Serigne Mamadou Seck a salué la tenue de cette exposition qu’il qualifie de « moment de vérité et de réconciliation avec notre passé ». « Cette exposition est venue nous réconforter et nous rassurer quant à l’histoire de la bataille de Samba Sadio », a affirmé le marabout, sous les applaudissements du public.

Évoquant la portée symbolique des objets exposés – des artefacts retrouvés sur le champ de bataille de 1875 ayant appartenu à des combattants Tijanes –, le représentant du Khalife général de Thiénaba a insisté sur la nécessité de leur restitution définitive au Sénégal. « Ces objets, a-t-il rappelé, sont les témoins d’une histoire de foi, de résistance et de sacrifice. Ils appartiennent à notre mémoire collective et doivent revenir sur leur terre d’origine. Nous appelons les autorités étatiques à œuvrer pour que cette restitution soit pleinement réalisée. »

Ce plaidoyer s’inscrit dans la continuité de la démarche portée par l’association Alter Natives, en collaboration avec les musées de Dunkerque, de Thiès et du CRDS de Saint-Louis, dans le cadre d’un vaste projet de restitution et de réappropriation du patrimoine sénégalais.

La présence du représentant du Khalife à cette cérémonie revêtait une dimension symbolique forte. Thiénaba, haut lieu de la confrérie Tijane, est en effet directement liée à l’histoire de Cheikhou Amadou Ba, chef religieux et figure de la bataille de Samba Sadio.

En associant les héritiers spirituels à cette démarche muséale, les organisateurs ont voulu replacer la dimension religieuse et morale au cœur de la mémoire nationale. « Nous saluons cette initiative qui redonne sens à notre histoire et valeur à notre patrimoine. La mémoire des martyrs de Samba Sadio appartient à tout le peuple sénégalais », a ajouté Serigne Mamadou Seck, au nom du Khalife général.

NDEYE DIALLO (THIES)

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