Un fléau en forte croissance

La cybercriminalité s’impose désormais comme l’une des menaces majeures en Afrique de l’Ouest et de l’Est, représentant plus de 30 % des crimes signalés dans ces régions. Face à une adoption numérique rapide, mais souvent insuffisamment protégée, les cyberattaques se multiplient et se diversifient, touchant secteurs publics, entreprises et particuliers. Le dernier rapport 2025 d'Interpol révèle l’ampleur du phénomène et alerte sur l’urgence de renforcer les capacités nationales et la coopération régionale pour sécuriser l’avenir numérique du continent.
Selon le rapport 2025 d’Interpol, la cybercriminalité représente désormais plus de 30 % de l’ensemble des crimes signalés en Afrique de l’Ouest et de l’Est, faisant de cette menace l’un des principaux défis sécuritaires de ces sous-régions. Cette situation est d’autant plus préoccupante que la cybercriminalité ne cesse de croître sur l’ensemble du continent africain, dans un contexte où les infrastructures numériques se développent rapidement, mais où les cadres de protection restent souvent insuffisants.
Pour mieux cerner ce phénomène, Interpol a mené une vaste évaluation des cybermenaces en Afrique, fondée sur une collecte d’informations diversifiées : enquêtes auprès des forces de l’ordre africaines, données opérationnelles, contributions du secteur privé et analyses de sources ouvertes.
Cette approche multisectorielle permet d’avoir une vision précise et actualisée du paysage de la cybersécurité en Afrique, en suivant notamment les évolutions depuis le rapport de 2024.
L’objectif est clair. C’est aider les autorités nationales, les décideurs et les acteurs de la cybersécurité à mieux identifier les nouvelles menaces, renforcer les capacités d’investigation et encourager la coopération régionale. Avec plus de 500 millions d’internautes en Afrique de l’Ouest et de l’Est, l’exposition aux risques est considérable, d’autant que de nombreux pays ne disposent pas encore de protections suffisantes face à cette criminalité.
Des vulnérabilités structurelles aggravent les risques
Plusieurs facteurs amplifient la vulnérabilité des pays africains. En premier lieu, l’absence ou la faiblesse des cadres juridiques et réglementaires, souvent encore en construction, limitent l’efficacité des actions policières et judiciaires.
Par ailleurs, les investissements dans la cybersécurité restent insuffisants, tout comme la culture numérique, peu répandue, accentuant les risques pour les entreprises et les particuliers.
L’usage massif des smartphones a transformé les plateformes mobiles en cibles privilégiées, notamment dans des pays où les services bancaires mobiles connaissent une adoption rapide. L’émergence de l’Internet des objets (IoT), avec l’intégration croissante d’appareils connectés dans l’agriculture, la santé ou l’industrie représente aussi un terrain fertile pour les cyberattaques, car ces équipements sont souvent insuffisamment sécurisés. Parmi les pays les plus ciblés au monde en 2024, figurent plusieurs nations africaines que sont l’Éthiopie, le Zimbabwe, l’Angola, l’Ouganda, le Nigeria, le Kenya, le Ghana et le Mozambique.
Ces données, issues de l’Indice mondial des cybermenaces de l’Union internationale des télécommunications (UIT), illustrent l’urgence d’instaurer des cadres robustes pour assurer la résilience numérique.
Le rapport d’Interpol souligne une progression marquée des incidents de cybercriminalité, avec plus des deux tiers des pays africains membres d’Interpol considérant que les crimes liés au cyberespace représentent une part importante de leur criminalité. Parmi les cybermenaces les plus répandues, figurent les escroqueries en ligne, notamment le phishing, qui reste le cybercrime le plus fréquemment signalé. Dans le même registre, se distinguent les attaques par rançongiciel (ransomware), avec une augmentation des cas et des demandes de rançons élevées. La compromission de messagerie professionnelle (BEC) où des cybercriminels manipulent les transactions financières par l’usurpation d’identité en fait partie tout comme la sextorsion numérique et le vol d’identité, qui se développent rapidement. Il est intéressant de noter que certains types d’attaques, comme les chevaux de Troie bancaires et la cybercriminalité en tant que service (CaaS), ont vu leur fréquence diminuer, sans doute en raison d’une adaptation des tactiques vers des méthodes plus sophistiquées, telles que l’ingénierie sociale et les escroqueries basées sur l’intelligence artificielle.
Impact économique majeur
La cybercriminalité pèse lourdement sur l’économie africaine. Entre 2019 et 2025, elle aurait entraîné des pertes financières supérieures à trois milliards de dollars, principalement dans les secteurs clés que sont la finance, la santé, l’énergie et l’administration publique. Ces attaques provoquent des perturbations opérationnelles majeures et des violations de données aux conséquences lourdes.
L’évolution des techniques d’hameçonnage est notable. En effet, les attaques sont désormais personnalisées, localisées et exploitent les avancées technologiques comme l’IA pour générer des contenus audio, vidéo ou textuels crédibles et adaptés aux contextes locaux. Les cybercriminels usurpent régulièrement l’identité d’autorités ou d’entreprises renommées, exploitant la confiance des victimes sur les plateformes mobiles à travers des escroqueries liées à des offres d’emploi fictives, des prix ou des urgences. L’hameçonnage ne se limite plus aux emails de masse : il s’étend au smishing (SMS frauduleux), vishing (appels téléphoniques frauduleux) et aux réseaux sociaux, élargissant considérablement le champ des risques. Les institutions financières subissent des pertes importantes à cause du vol d’identifiants et de transactions frauduleuses, fragilisant la confiance dans les services financiers numériques. Les télécommunications sont aussi visées via des fraudes par échange de cartes Sim et usurpation d’identité téléphonique. Les gouvernements et les secteurs de la santé et de l’éducation sont confrontés à des violations de données et des perturbations qui compromettent la confiance publique.
Explosion des escroqueries amoureuses
En 2024, les escroqueries amoureuses ont connu une croissance spectaculaire sur le continent, particulièrement en Afrique de l’Ouest (Nigeria, Ghana, Côte d’Ivoire, Bénin). Les fraudeurs utilisent les réseaux sociaux et applications de rencontre pour établir des relations factices avec leurs victimes, allant parfois jusqu’à plusieurs années de manipulation. Une fois la confiance gagnée, ils sollicitent de l’argent ou des biens, notamment en forçant les victimes à investir dans des cryptomonnaies frauduleuses. Ces escroqueries sont très rentables et causent de lourds dégâts financiers et émotionnels.
Par exemple, un escroc nigérian a accumulé près de deux millions de dollars avant d’être arrêté. De nombreuses victimes gardent le silence par honte, ce qui sous-estime l’ampleur réelle du phénomène.
Les rançongiciels restent une menace majeure, en particulier dans les pays à infrastructures numériques avancées comme l’Afrique du Sud, l’Égypte, le Nigeria, le Kenya, la Gambie, la Tunisie et le Maroc. Ces attaques paralysent les organisations, qui subissent des pertes financières directes et des coûts importants liés à la récupération. Un incident marquant fut le cyberbraquage de la société nigériane Flutterwave, avec un détournement d’environ 7 millions de dollars. Les rançons exigées, souvent en cryptomonnaies, varient de quelques milliers à plusieurs millions de dollars. Les attaques BEC exploitent des techniques d’ingénierie sociale pour manipuler des employés en usurpant l’identité de cadres ou partenaires. L’essor de l’IA augmente la crédibilité et l’ampleur de ces attaques, imposant une vigilance accrue. La sextorsion numérique, motivée essentiellement par des gains financiers, mais aussi parfois par la vengeance, connaît une croissance importante, avec plus de 60 % des pays africains signalant une hausse des cas en 2024. Cette cybercriminalité, souvent sous-déclarée, touche majoritairement les femmes et les jeunes. Des plateformes comme Méta ont récemment supprimé des dizaines de milliers de comptes liés à des opérations de sextorsion, notamment au Nigeria, témoignant de la montée en puissance de ce type de réseaux, parfois en lien avec des groupes criminels organisés.
Spécificités régionales
Le Nigeria, le Ghana, la Côte d’Ivoire et le Sénégal sont des centres d’innovation numérique, mais aussi des cibles majeures. Le BEC y cause des pertes financières importantes, les rançongiciels et attaques DDoS restent fréquents. Le Ghana a connu, en 2024, un nombre record d’attaques DDoS. Les fraudes liées aux portefeuilles mobiles se développent, avec usurpation d’identité et escroqueries par échange de carte Sim. Les escroqueries amoureuses augmentent aussi, associées parfois à des systèmes frauduleux de cryptomonnaie.
Le Kenya, l’Ouganda, la Tanzanie, le Rwanda et l’Éthiopie progressent rapidement en technologies numériques, devenant des cibles privilégiées. L’Éthiopie est le pays le plus visé au monde en 2024 en matière de logiciels malveillants. La fraude par échange de cartes Sim augmente en Ouganda et Tanzanie. La sextorsion est une menace grandissante, particulièrement envers les femmes et jeunes populations.
Le rapport pointe plusieurs obstacles majeurs : lenteur des processus judiciaires, incohérences juridiques, accès limité aux données hébergées à l’étranger et faibles liens entre secteurs public et privé. La coopération avec les plateformes numériques, essentielles pour les enquêtes, reste insuffisante.
Selon les données, 89 % des pays africains estiment que leur collaboration avec le secteur privé doit être significativement améliorée. Alors que les infrastructures numériques sont de plus en plus contrôlées par des acteurs privés, la réussite des forces de l’ordre dépendra fortement de leur capacité à obtenir un accès fiable aux données et à bâtir des relations de confiance avec ces acteurs.