Les artistes se mobilisent
Des artistes congolais – pour certains très célèbres – chantent en solo ou en groupe pour dénoncer la reprise de la guerre dans l’Est de la République Démocratique du Congo, où l’armée combat le Mouvement du 23 mars, une rébellion présumée soutenue par le Rwanda et l’Ouganda. Prendre le micro pour prôner la paix, une initiative nouvelle ? Pas vraiment. C’est même devenu une habitude…
Des tirs. Des hommes et des femmes en fuite sur un chemin boueux, bordé d’herbes folles. Sur le dos ou la tête, le peu qu’ils ont pu emporter. Puis, un homme en tenue militaire, armé d’un lance-roquette. Les premières images du clip de Stop à la guerre à l’Est résument en quelques secondes le conflit qui embrase une nouvelle fois le Nord-Kivu, une riche province minière de la République démocratique du Congo. Un conflit que dénoncent en musique de nombreux chanteurs du pays.
Pour Stop à la guerre à l’Est, une quinzaine d’artistes – dont des stars de renommée internationale – donnent de la voix : Koffi Olomidé, Papa Wemba, Werrason, J.B. Mpiana, Fally Ipupa, Tshala Muana, Lutumba Simaro, Felix Wazekwa, Bill Clinton Kalonji, Emeneya… Extrait : "Comme des fils perdus, dans une terre meurtrie. Comme un rêve tout noir, le Congo s’assombrit. La guerre nous envahit, à l’Est du pays. Voilà encore une guerre injuste !"
Les forces régulières combattent depuis près d’un an le Mouvement du 23 mars (M23), l’un des nombreux groupes armés du Nord-Kivu. Le M23, estimé à un millier d’hommes, revendique à l’origine la pleine application de l’accord du 23 mars 2009 qui a intégré dans l’armée ses hommes, alors dans une autre rébellion. Des experts de l’ONU accusent le Rwanda et l’Ouganda voisins, impliqués dans de précédentes guerre en RDC, de soutenir les mutins – ce que réfutent ces pays.
"Nous demandons que s’arrête le sang versé par la guerre. Nous demandons que la paix revienne dans notre pays. Dressons-nous contre l’ennemi à l’Est de la RDC. La RDC vaincra, la RDC aura le dernier mot !", plaide le refrain de Stop à la guerre à l’Est, une initiative notamment lancée par le député Patrick Muyaya (majorité). Ce titre, comme d’autres, ne cite ni le Rwanda, ni l’Ouganda – même si le président Joseph Kabila était lui-même allé jusqu’à désigner Kigali comme agent déstabilisateur de l’ex-colonie belge.
Dans le titre Non à la Balkanisation de la RDC, le rappeur Bush Gun dénonce un coupable hors zone Afrique. "Après le Soudan d’El Béchir, l’Occident veut la partition du Congo avec pour objectif la main mise sur nos richesses (…). Je vous demande simplement d’être prêt pour défendre le Congo contre les ennemis des Congolais (…) La néo-colonisation de l’Afrique par l’Occident. Soyons prudents car il est grand temps pour qu’on se réveille de notre léthargie et de se prendre en charge avec l’énergie."
Avec Mode d’Emploi, Papa Wemba se demande comment tarir "cette longue coulée rouge, sang de pauvres innocents, qui ont pour tort d'être nés à l'Est de la RDC". Ferre Gola, Lexxus Legal, Tshala Muana, Adolphe Dominguez… ainsi que plusieurs dizaines de chanteurs inconnus basés dans l’Est ont également signé un hymne à la paix. Tous font vibrer leurs cordes vocales par patriotisme mais certains cachent des agendas opportunistes, selon des observateurs de la scène musicale.
Une paix voulue de longue date
Chanter contre la guerre ne date pas d’hier. "C'est depuis le génocide de 1994 au Rwanda et la guerre de 1996 en RDC que les artistes ont commencé à chanter, estime Jean-Claude Bagunda, coordonateur du Réseau des radios et télévisions communautaires (Rateco) dans la province instable du Sud-Kivu. Après 1996, les artistes congolais ont chanté pour réclamer à cor et à cri le retour de la paix en RDC. En 1998, pendant la guerre du RCD, ils ont demandé la paix et refusé la division du pays."
Le RCD, le Rassemblement congolais pour la démocratie, s’était emparé en 1998 de Goma, la capitale du Nord-Kivu, et y était resté cinq ans. Quatorze ans après ce coup de force, le M23, dont des éléments sont issus du RCD, a aussi fait tomber la capitale provinciale. Il s’en est officiellement retiré début décembre sur demande des pays de la région des Grands Lacs, et en échange de l’ouverture de pourparlers avec Kinshasa. Ces pourparlers, laborieux, se sont ouverts il y a trois mois en Ouganda, médiateur de la crise.
"Le Congo est notre droit, notre intégrité, notre chère patrie, il demeurera indivisible ! Tous comme un seul homme, allons-y combattre. Défendons la souveraineté de la République", plaide Stop à la guerre à l’Est, entre autres diffusé sur la Radio-Télévision Nationale Congolaise (RTNC). Un appel qui fait écho au discours de Joseph Kabila, qui avait appelé dans deux discours fin 2012 à la cohésion nationale et à l’enrôlement massif des jeunes dans l’armée – avec guère de succès.
"Les chansons n'ont pas d'impact car rien n'a changé au pays sur le vécu quotidien de la population. Les politiciens auxquels les messages sont adressés ne changent pas. Au contraire, ils endurcissent les cœurs", blâme Jean-Claude Bagunda. "Du moment où tout le monde sait que c’est la majorité qui soutient l’enregistrement, automatiquement, du côté de l’opposition, ça bloque, on y voit une mascarade. Et inversement", ajoute Rigobert Malalako, secrétaire général de la Fédération des radios de proximité du Congo (FRPC).
Fin janvier, à Beni, au Nord-Kivu, le Festival Amani Kwetu ("La paix chez nous", en swahili) a reçu un accueil chaleureux, raconte Jacques Kikuni, de la radio Muungano (Ensemble, en swahili). "L’entrée était gratuite et les gens sont venus en masse pour suivre les messages", précise-t-il. Au programme : concerts, conférences et témoignages sur la paix à l’Est. Etaient conviés une soixantaine de chanteurs, peintres… – dont une majorité de Congolais de Beni, Goma ou encore Bukavu, capitale du Sud-Kivu.
"Nous avons eu 5 artistes du Rwanda, de l’Ouganda et du Burundi venus exprimer leur avis [sur la crise]. Du Rwanda, seul un danseur a pu venir car il fallait trop de permissions… " commente Dady Saleh, de l’Association des jeunes pour la promotion de la culture (AJPC). C’est cette structure qui a organisé Amani Kwetu avec le soutien des autorités locales et de la Mission de l’ONU pour la stabilisation de la RDC (Monusco), deuxième mission onusienne au monde avec 17.000 hommes.
"La stratégie que nous avons choisie est inclusive, poursuit Dady Saleh. L’art n’a pas de frontière, l’art n’a rien à voir avec la guerre. Après le festival, une vingtaine de Congolais, un Ougandais et un Burundais ont composé Amani Kwetu/Afrika, qui passe déjà sur des radios à Goma. Nous espérons sa sortie officielle avant le 15 mars." Autre projet, si les moyens le permettent : rendre une visite de solidarité à une partie des 500.000 personnes déplacées par les combats entre armée et M23.
RFI