La société civile internationale crie au scandale

Une quarantaine d’organisations de la société civile internationale fustige le rejet, par l’Union européenne, de la proposition sur la suspension des droits de propriété intellectuelle sur les vaccins, le matériel de tests et les médicaments.
Que se passe-t-il avec l’Union européenne ? C’est la question que tout le monde se pose. Au moment où beaucoup de patients meurent de Covid-19, surtout en Afrique, elle trouve ses aises en gardant comme un trésor les médicaments et vaccins. Elle a rejeté la proposition qui consiste à suspendre les droits de propriété intellectuelle sur les vaccins, le matériel de tests et les médicaments. ‘’C’est une honte et cela doit être inversé’’, dénoncent des organisations de la société civile internationale.
Dans une déclaration rendue publique hier, plus de 40 organisations de la société civile européenne, dont plus d’une dizaine de Françaises, appellent l’UE et les Etats membres à revoir leur position. Elles demandent également à réformer profondément la politique commerciale européenne, ainsi que les règles de protection de la propriété intellectuelle qui sont source de danger pour l’ensemble de la population. Ces organisations soutiennent que "personne n’est en sécurité, tant que tout le monde n’est pas en sécurité".
C’est pourquoi elles jugent scandaleuse la position de l’UE qui consiste à s’opposer à la proposition de mise en œuvre de dérogations sur les droits de propriété intellectuelle. Qui, soulignent-elles, est l’aboutissement d’une politique commerciale qui place le profit bien avant la santé publique.
Sur ce, les organisations de la société civile internationale ont jugé ce moment opportun de modifier la politique commerciale de l’UE. Parce que, renseignent-elles, le régime mondial des droits de propriété intellectuelle sur les produits pharmaceutiques s’est révélé dangereux et la recherche de nouvelles règles doit commencer immédiatement. ‘’Il est nécessaire de reconnaître que la production de génériques doit être rendue possible. Nous devons faire une place considérable au partage des technologies. C’est nécessaire pour la santé publique dans le Sud global, ainsi que dans le Nord global où les médicaments à prix excessivement élevés menacent l’accessibilité des systèmes de santé. Il semble que ce soit la seule façon, pour nous, de respecter nos obligations en matière de droits humains. L’accord ADPIC doit disparaître et nous devons prendre un nouveau départ’’, note-t-on dans la déclaration.
Pour que ce processus commence, elles soutiennent avoir besoin d’un changement au sein même de l’UE. Dans un premier temps, elles doivent de toute urgence faire en sorte que leurs représentants soutiennent la dérogation proposée par l’Inde et l’Afrique du Sud. Dans un deuxième temps, elles comptent mettre en œuvre une réforme plus large des règles relatives aux droits de propriété intellectuelle, tant au niveau mondial qu’au niveau national.
‘’Cette position est inacceptable, non seulement pour des raisons morales, mais elle est aussi désastreuse pour nous tous. Accepter que les vaccins n’atteignent qu’environ la moitié des pays du monde d’ici 2023, c’est accepter le risque de nouveaux variants qui pourraient saper l’efficacité des vaccins existants’’, prévient-on.
Charité
Cette situation survient alors que la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a déclaré en avril 2020 qu’ils doivent développer un vaccin. ‘’Nous devons le produire et le déployer aux quatre coins du monde. Et le rendre disponible à des prix abordables. Ce vaccin sera notre bien universel et commun". Malheureusement, soutient-on, cette déclaration pourrait rester dans l’histoire comme une simple et nouvelle déclaration hypocrite, si la position actuelle de l’UE est maintenue. L’Organisation mondiale du commerce (OMC) discute d’ailleurs actuellement d’une proposition visant à renoncer aux droits de propriété intellectuelle pour faire place à une production massive de vaccins, de matériel de tests et de médicaments.
‘’Tout bien considéré, cette proposition portée par l’Inde et l’Afrique du Sud est sage et judicieuse. On ne peut pas permettre à quelques entreprises pharmaceutiques de détenir un monopole sur la production des moyens nécessaires pour lutter contre la pandémie. Quant à leur revendication de propriété sur ces produits, elle est infondée, au vu du financement public massif mobilisé qu’ils ont obtenu pour la recherche, le développement et la production de pratiquement tout ce qui est lié à la lutte contre le virus’’, dénoncent les organisations.
La société civile soutient que pour assurer une distribution mondiale des vaccins, la stratégie de l’UE est actuellement fondée sur la charité. Mais rien ne permet de penser que cela nous rapproche d’une solution. Car l’expédition des vaccins à partir du dispositif Covax, qui repose principalement sur les dons des pays, n’a commencé que lentement à la fin du mois de février. Donc, il faudrait des années pour terminer le travail de cette manière. ‘’Quelques grandes entreprises, dont des multinationales du numérique, ont fait des dons financiers. Mais cela semble avant tout être un exercice de communication. Rien n’indique que les entreprises pharmaceutiques seront à la hauteur de la responsabilité qui leur a été confiée’’, avertit-on. Même si la Commission européenne affirme que les entreprises pharmaceutiques sont censées s’engager à atteindre l’objectif d’un accès universel et abordable aux diagnostics, aux traitements et aux vaccins, les 40 organisations restent sceptiques.
Selon elles, une telle déclaration sonne creux, au regard des dons bien modestes effectués par les propriétaires des brevets jusqu’à présent. Car, avant tout, ces multinationales s’accrochent à leurs monopoles du mieux qu’elles peuvent.
VIVIANE DIATTA