La saison des regrets
Le coup de massue contre Karim Wade a surpris tout le monde. Qui donc pouvait seulement imaginer que celui qui était surnommé ‘’ministre du ciel et de la terre’’, allait se retrouver K.-O. entre quatre murs, sans aucune prise sur son sort ? Personne en vérité ne pouvait prédire cela, surtout après les déclarations de Karim Wade, qui a jeté dans le vacarme des Locales de 2009, qu’il n’était pas homme à perdre. Une phrase lâchée dans le vent qui traduit une croyance bien ancrée chez lui, renforcée par les sorties répétées de son père, qui le plaçait toujours devant Idrissa Seck et Macky Sall, derniers de la classe. Qui peut donc oublier ces sorties répétées du Président Wade, le mépris au bout des lèvres, asséner que Karim Wade est le crack de la maison, le vrai fils, alors que les deux autres ne sont que des clones, ratés en plus, sans aucune capacité particulière.
On a l’impression que des décennies se sont déjà écoulées depuis. Pourtant ces deux hommes, ‘’fabriqués’’ comme des robots, sont toujours là, politiquement bien vivants. Ils se battent et voient l’avenir avec des yeux neufs. C’est comme cela que fonctionne l’histoire qu’elle sait démentir même les propos les plus ‘’savants’’.
Entendons-nous bien, Karim Wade n’est sans doute pas le dernier de la classe. Il a bien sûr des capacités en termes de montages financiers, de négociation (féroce). C’est aussi un homme très organisé. Méthodique même. On peut également lui donner le crédit d’être un bon manager, si cela peut se confondre avec le talent musculaire de brider ses proches et de briser ses ennemis. C’est une tournure assez particulière de sa personnalité qu’il aimait bien les bras de fer tendus et l’ivresse de la victoire… presque physique. ‘’Je vais te casser…je vais te briser…’’, a-t-il osé un jour lancer à notre si sympathique consœur Jacqueline Fatima Bocoum, à l’Osio, un restaurant situé en Centre-ville de Dakar, devant témoins. ‘’Tu vas dégager du pays’’, morceaux servis à Souleymane Jules Diop, qui n’aura d’autre choix que de s’exiler au Canada, pendant dix longues années, loin de sa famille, dans le froid et la solitude. Il en porte encore les marques. L’homme d’affaires Bara Tall, condamné au chômage en même temps que ses employés, des milliers. A-t-on seulement pesé et soupesé les souffrances des familles des travailleurs de l’entreprise Jean Lefèbvre pendant ces dix dernières années ? Et puis Youssou Ndour, qui a plongé en politique, non pas par amour, mais parce que conscient que Karim au pouvoir, il lui creuse une belle tombe, meublée de cactus. L’histoire racontera un jour l’histoire de ce fils du Prince qui savait se fabriquer des ennemis…
Mais ce n’est sans doute pas là son trait de caractère le plus saillant. Karim Wade aimait beaucoup l’argent et très peu la transparence. Alors qu’il nous avait fait croire en 2009 que le jet privé qui fendait le ciel de tous les continents à toutes les heures, n’avait rien coûté au contribuable sénégalais, que des amis le lui avait servi sur un plateau céleste, voilà qu’on sait maintenant que le fameux coucou a pesé sur le panier de la ménagère : 12 milliards de francs. 12 milliards comme le coût estimé du tunnel de Soumbédioune, long de quelque 300 mètres alors qu’avec une telle somme, on peut construire un hôpital moderne, toutes infrastructures comprises. Ou encore une université comme celle de Dakar, aujourd’hui que les amphithéâtres sont devenus des espaces étriqués où les étudiants se battent pour se tailler un mètre carré de surface. Qu’on nous parle maintenant de plus de 600 milliards Cfa, même s’il faudra bien revoir la somme à la baisse, pose un gros problème. Cela exige au moins d’y voir plus clair. Il faut bien qu’on sache ce que l’on veut. On ne peut pas désirer une chose et son contraire. La transparence et l’opacité ; la loi et l’anarchie ; le ciel et la terre ; les beaux seins et le bon lait maternel, le chapelet et les perles sataniques du soir…
A supposer même qu’on divise les 694 milliards par…dix, cela reste un gros magot, pour un pays très pauvre comme le Sénégal qui manque presque de tout. Sauf de pitié ! Des nostalgiques de l’ancien régime montent au créneau avec comme argument-massue, bien sentimental, qu’on ne doit pas traiter de la sorte le fils de son ex-majesté…Wade. On en a presque oublié que la chambre noire des manifestations du 23 juin 2011, c’était Karim Wade, avec le fameux projet de dévolution monarchique du pouvoir. On occulte aussi les effets collatéraux que des malversations d’une telle envergure ont créé dans les hôpitaux, les écoles, les familles, etc. On occulte en vérité le vrai pouls du monde. En Chine, on exécute ceux qui sont coupables de crimes économiques. Les responsables du PDS, qu’on ne met pas dans le même sac, ne peuvent pas, au risque de se décrédibiliser, faire comme si Karim Wade était un ange qu’on conduit à la potence, simplement pour des raisons politiques. Il n’est pas l’ange qu’on veut nous vendre.
Que de regrets donc ! Surtout pour Wade, qui a beau couver sans que le poussin ne puisse casser le cocon. Il aura finalement tout perdu. Non seulement il n’a pas réussi le pari fou de se faire remplacer par son fils, mais encore, cette volonté, poussée jusqu’à la psychose, l’a fait emprunter la petite porte de l’histoire, alors qu’il aurait pu pavaner sur les passerelles dorées d’une formidable destinée, à l’image d’un Mandela. Lui, l’endurant, qui s’est battu des années durant, au prix d’immenses privations pour se hisser à la tête de l’Etat, au soir de sa vie. Une vie, disons-le, sans aucune pudeur, fantastique, mais qui n’est pas restée fidèle à la promesse des fleurs. Du fait justement de son amour démesuré pour Karim Wade. A tort, Me Wade a pensé qu’il devait l’habiller de la même toge que celle qu’il a enfilée au soir du 19 mars 2000, alors que l’histoire des hommes ne suit pas le même circuit que celui du fœtus. Vu sous cet angle, il aura porté un coup fatal à Me Abdoulaye Wade et à ses camarades de parti qui le défendent aujourd’hui sans qu’il ne le mérite vraiment…