Publié le 7 Aug 2023 - 19:13
EN CAVALE PENDANT 6 JOURS ET ARRÊTÉ EN MAURITANIE

Me Branco, 48 heures d’enfer 

 

Dans le viseur des forces de défense et de sécurité depuis six jours, l’avocat franco-espagnol Juan Branco a été interpellé, avant-hier à Rosso, par Interpol Mauritanie. Acheminé à Dakar par les agents de la Brigade d’intervention polyvalente (Bip), il a déjà été auditionné à deux reprises et envoyé à Rebeuss. Ce matin, il doit faire face au juge du deuxième cabinet. Sa défense s’organise pour le sortir de ce guêpier. 

 

Le dimanche 30 juillet dernier, alors que les avocats d’Ousmane Sonko faisaient face à la presse, leur collègue français avait fait irruption dans la salle. Ayant livré son message, Juan Branco avait disparu. Depuis lors, il faisait l’objet d’une chasse à l’homme, puisque le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Dakar avait émis à son encontre un mandat d’arrêt international.

Les jours qui ont suivi son coup d’éclat, il y a eu des interpellations de personnes soupçonnées de lui avoir prêté main-forte, notamment le maire de Sangalkam Pape Bocar Khouma dit ‘’Pape Sow’’.

Avant-hier samedi, alors qu’il tentait de quitter le territoire Sénégal à bord d’une pirogue pour se rendre en Mauritanie, Juan Branco a été stoppé par Interpol à l’intérieur de ce pays voisin. Par la suite, dans le cadre de la collaboration sécuritaire entre les deux pays, les autorités judiciaires ont été saisies. L’ordre a été donné à des agents de la Brigade d’intervention polyvalente (Bip) d’aller le récupérer. Ils avaient pour mission de l’acheminer dans les locaux de la Division des investigations criminelles (Dic).

Une fois à Dakar, il a fait l’objet d’une audition de trois tours d’horloge par les hommes du commissaire Adramé Sarr. Nos sources précisent qu’il ne s’agit pas d’une enquête, mais de l’exécution d’un mandat d’arrêt international émis par le maitre des poursuites. À l’issue de cette première audition, vers les coups de 3 h, il a été déposé à la maison d’arrêt et de correction de Rebeuss.

Me Branco refuse d’être assisté dans la phase procédurale et devant le juge

Selon l’un des avocats du collectif de défense d’Ousmane Sonko, en la personne de Me Clédor Ciré Ly, lorsque leur confrère Juan Branco a été arrêté, lui et Me Ali Nar Ndiaye l’ont attendu à la Dic pour l’assister, surveiller la procédure et relever les irrégularités éventuelles. ‘’Arrêté sur la base d’un mandat d’arrêt international, il aurait été kidnappé depuis hier (avant-hier) nuit sur le territoire mauritanien à près de 100 km de la capitale Nouakchott, par des hommes en cagoule sans aucun signe distinctif et qui l’ont blessé aux poignets. Il a refusé de boire et de s’alimenter, depuis qu’il a été entre les mains des individus qui l’avaient pris et toujours, selon lui, en réaction au procédé illégal utilisé pour le ramener sur le territoire sénégalais. Il a aussi décidé de garder le silence et de n’autoriser aucune personne à l’assister, aussi bien durant la phase procédurale de notification du mandat d’arrêt que devant le juge d’instruction du 2e cabinet du tribunal de grande instance hors classe de Dakar qui a ouvert une information judiciaire’’, renseigne la robe noire dans une note parvenue à notre rédaction.

D’après Me Ly, le juge d’instruction a visé quatre infractions que sont : attentat, complot, diffusion de fausses nouvelles et actes et manœuvres de nature à compromettre la sécurité publique ou à occasionner des troubles politiques graves. ‘’Nul ne pouvant être assisté contre son gré, les avocats Ali Nar Ndiaye et Ciré Clédor Ly, qui l’attendaient pour l’assister, ne pouvaient naturellement pas aller à l’encontre de la volonté du jeune confrère, à ce stade de la procédure’’, précise Me Ly. 

L’avocat se prévaut de sa nationalité espagnole et s’entretient avec le consul espagnol

Hier, en début d’après-midi, il a été extrait de sa cellule de Rebeuss pour être entendu à nouveau, cette fois-ci par les limiers de la Sureté urbaine du commissariat central de Dakar.  Après un face-à-face avec les hommes du commissaire Bara Sangharé, le patron de la SU, il a été retenu deux autres charges contre lui. Il s’agit de séjour irrégulier et outrage à magistrat. ‘’Encore une farce supplémentaire. Le confrère doit être libéré dans les meilleurs délais et la profession d’avocat respectée’’, tonne Me Ly.

Selon nos sources, hier, une nouvelle fois, Mes Ly et Nar se sont présentés pour se constituer. L’avocat français a, dit-on, voulu que son audition soit reportée, mais cette demande n’a pas prospéré. Ensuite, il s’est entretenu avec ses conseils, puis il n'a pas souhaité répondre aux questions des enquêteurs.

Mais ce qui intrique nos interlocuteurs, c’est qu’il s’est prévalu de sa nationalité espagnole. De ce fait, il s’est entretenu, renseigne-t-on, avec le consul espagnol à la Sureté urbaine.

Ensuite, il a été réintégré à la maison d'arrêt. Aujourd’hui, il va être entendu par le juge d'instruction du 2e  cabinet sur le mandat d'arrêt émis à son encontre et sur les faits pour lesquels il est poursuivi.

Les réactions du bâtonnier de Paris et de son pool d’avocats français

Il faut dire que cette arrestation d’un avocat franco-espagnol dans les conditions décrites plus haut a fait l’effet d’une bombe. Les réactions se sont succédé, hier. À commencer par le bâtonnier de Paris qui a demandé la libération de leur confrère. ‘’Nous rappelons le caractère sacré des droits de la défense. Aucun avocat ne doit être entravé dans sa mission, où qu'il soit et quel qu'il soit. La situation de notre confrère, Juan Branco, incarcéré au Sénégal, nous préoccupe. Nous agissons activement pour sa libération, en concertation avec ses avocats Me François Gibault (avocat à la cour) Me Luc Brossollet (avocat à la cour), Me Alexandre Ursulet (avocat à la cour) et Me Robin Binsard (avocat à la cour)’’, a-t-il réagi dans un tweet.

Une réaction est venue du pool d’avocats de Me Juan Branco. ‘’Nous avons été informés de la remise de notre confrère Juan Branco aux autorités sénégalaises par les autorités mauritaniennes, alors que celui-ci s'était rendu dans ce pays régulièrement et en vue d'échapper à la persécution politique qui lui avait été promise au Sénégal. Nous déplorons vivement cette remise, qui méconnaît les règles de droit international et expose notre confrère Juan Branco à de graves violations de ses droits humains. Aucun avocat ne devrait être inquiété en raison de l'exercice de sa profession, où qu'il soit dans le monde, quelle que soit la défense qu'il a choisie, et, quelle que soit la personnalité de ses clients. C'est la sauvegarde des droits de la défense qui est en jeu’’, tonnent-ils dans le communiqué parvenu à notre rédaction.

A leurs yeux, le combat judiciaire que mène leur confrère Juan Branco pour son client Ousmane Sonko ne justifie en aucun cas la persécution politique dont il fait l'objet à Dakar. ‘’Nous exercerons toutes les voies de droit adéquates pour mettre fin aux procédures menées contre Juan Branco au Sénégal, qui relèvent d'une instrumentalisation pure et simple du Code pénal à des fins politiques. Nous appelons toutes les autorités françaises, espagnoles, et, bien sûr, sénégalaises à réagir en vue de permettre la remise en liberté de notre confrère Juan Branco’’, écrivent les avocats. 

CHEIKH THIAM

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