Publié le 4 Jun 2014 - 09:22
EN PRIVÉ AVEC BABACAR MBAYE DIOP, SG DU DAK'ART

 ''Les expositions sur les homosexuels, c'est une réalité, mais...''

 
La polémique ne cesse d'enfler sur la onzième édition de la Biennale de l'art africain contemporain de Dakar (Dak'Art), ouverte le 9 mai. Après la supposée démission du secrétaire général du Dak'Art, c'est tout dernièrement les expositions off en l'honneur des homosexuels qui a fait sortir l'ONG Jamra de ses gonds. Dans cet entretien, EnQuête revient sur toutes ces questions avec Babacar Mbaye Diop. 
 
 
Une certaine presse a parlé d’expositions en l’honneur des homosexuels, au niveau de la Biennale. Comment avez-vous reçu cette nouvelle ou étiez-vous déjà au courant ?
 
C’est une réalité. Personnellement, je ne suis pas encore allé voir ces expositions-là. J’ai juste lu un article du ‘’Monde’’. Cela m’a surpris, mais je ne suis pas encore allé voir, pour l’instant. Je ne peux pas juger une chose que je n’ai pas encore vue. Tout ce que je peux dire, c’est que nous avons nos réalités qui font qu’il y a des choses qu’il faut éviter.
 
Maintenant, l’artiste est le seul peut-être à pouvoir s’exprimer librement. Ce que fait l’artiste, moi-même je ne l’aurais pas fait, ni vous. Il faut parfois laisser l’artiste s’exprimer librement. Mais, encore une fois, il faut tenir compte de nos réalités africaines, mais surtout sénégalaises qui font que, parfois, certaines choses peuvent être mal vues ou choquantes quand on voit ces expositions. 
 
Quand la Biennale donne son aval pour les expositions Off, est-ce qu’elle s’intéresse aux thèmes proposés ?
 
La Biennale ne contrôle que le In. On ne contrôle pas le Off. C’est impossible d’ailleurs. Il est vrai que toutes les inscriptions Off se font ici. Nous avons même une commission Off. Mais le plus souvent, tous ceux qui sont inscrits sont pris.
 
Il n’y a pas véritablement une sélection, comme dans le In. Là, on sait ce qu’on va exposer. Je vous donne un exemple. Cette année, quand on faisait la sélection du In, un artiste a osé montrer un homme qui soulevait la Kaaba. J’ai aussitôt dit non parce que nous avons nos propres réalités. Dans l’imaginaire des gens, dans la conscience collective, cela suppose que l’individu est capable de soulever la Kaaba. Cela ne passe pas au Sénégal. C’est ce que j’ai dit aux commissaires et ils ont rejeté l’œuvre. Et certaines expositions ne sont pas inscrites. Dans le Off, les gens sont libres, ce qui fait que parfois, on y trouve de la qualité, mais parfois aussi n'importe quoi. 
 
C'est votre première fois à la tête de la Biennale, comment l'avez-vous vécu ?
 
C'est vrai que je suis venu à la tête de cette institution en mars 2013. Je peux dire que cette première édition, je l'ai bien vécue, malgré les couacs. C'est une chose normale pour toute édition de la Biennale. Le plus important pour moi, c'est que cette Biennale se tienne à temps, que les œuvres arrivent à temps et que les invités arrivent. Même si là, encore une fois, il y a des œuvres arrivées en retard. Elles ont été montées après l'ouverture. Les experts et les professionnels des arts sont là et tout le monde s'accorde à dire que nous avons une bonne Biennale. Pour moi, c'est cela le plus important.
 
Au-delà du retard dans le montage de certaines expositions,  quelles sont les autres difficultés auxquelles vous avez eu à faire face ?
 
Comme toute édition de cette Biennale qui est devenue aujourd’hui une plate-forme d’art africain, on reçoit le budget toujours tardivement. Et cela pose  des problèmes. Si on recevait le financement à temps, je crois qu’on aurait pu faire la plus belle Biennale au monde. Parce que simplement l’envie est là ainsi que la passion. Toute l’équipe technique était motivée. Les commissaires étaient motivés. Mon équipe l’était également. Elle travaillait jusque tard dans la nuit. Parfois on quittait à 1h du matin ou beaucoup plus tard que cela. Il y avait une dynamique qui était là. 
 
Qu’est-ce qui explique, selon vous, l’impopularité de la présente édition ?
 
Je crois que cette année, on a eu une bonne communication. D’abord, un film documentaire a été réalisé sur l’histoire de la Biennale. Il est sur Youtube et a été diffusé sur certaines chaînes de télévision de la place.On a acheté quelques bandeaux dans des journaux. On a fait toute la communication qu’il fallait faire.
 
Certains me disent que tout le monde n’est pas au courant. Mais il n’y a  au monde aucune biennale où tout le monde est au courant. Allez à Venise, la plus grande biennale du monde, des gens qui habitent à quelques mètres des sites officiels ne sont pas au courant de ce qui se passe. La biennale fait partie du calendrier républicain. Et le Off donne à l’événement le cachet populaire dont on parle. Il y en a plus de 270. 
 
Comment s’est fait le choix de l’emplacement du village de la Biennale, jugé trop excentré, trop enclavé par certains ? 
 
Une bonne question. Disons que quand je suis arrivé à la Biennale je voulais un site qui puisse abriter la onzième édition. Je voulais surtout un grand site. J’ai visité la biscuiterie (NDLR biscuiterie de Médina). Le site est grand mais il y a d’autres entreprises qui y sont. Nous, nous voulions un site entièrement pour nous. Je suis allé visiter l’actuel site. Sur le coup, j’étais emballé. J’ai apprécié les lieux. J’ai fait venir mon équipe qui a eu le même sentiment que moi.
 
Après, j’ai fait venir le comité d’orientation de la Biennale, ils ont tous apprécié le site. Ensuite, j’ai fait visiter le site au ministre de la Culture et du Patrimoine M. Abdou Aziz Mbaye. Idem pour lui. Tout ce monde avait vu que c’était un bel endroit ; l’espace est grand avec 9000 mètres carrés. 
 
C’est vrai que c’est excentré, mais ce n’est pas loin non plus. On l’a choisi par rapport à la superficie, mais surtout au cadre qui est beau. Je ne regrette pas d’avoir choisi ce site. Tous les gens qui ont visité les expositions partagent mon sentiment.
 
Espérez-vous quand même dépasser le nombre de visiteurs de l’exposition officielle de la dernière édition ?
 
On le saura à la fin. En 2012 on a reçu 30 000 visiteurs. On espère dépasser largement ce chiffre cette année. Nous espérons avoir 50 000 visiteurs ou plus. 
 
Une fois, on a annoncé votre démission avant que l’information ne soit démentie, 24h après. Qu’est-ce qui s’est passé ?
 
Je n’ai jamais dit que je quittais mon poste en pleine édition. 
Pour le respect que j’ai pour les artistes, pour le monde culturel, pour le ministre de la Culture qui m’a nommé à cette institution-là, je n’aurais jamais quitté en pleine édition. Je ne le ferai jamais. Maintenant, comme dans toute rumeur il y a une partie de vérité. Il est vrai que j’ai dit qu’après cette édition, quand j’aurais fait le bilan, je compte quitter mon poste. C’est cette phrase qui a été mal interprétée par les journalistes qui ont dit que j’ai quitté en pleine édition. 
 
Pourquoi avoir attendu 24h pour démentir l’information qui a été donnée tôt dans la matinée du vendredi (NDRL le 16 mai 2014) ?
 
Le service de communication a fait un démenti le lendemain matin même. Nous étions tous occupés. Nous étions à Popenguine ; peut-être qu’on n’avait pas le temps de faire passer le message. Si j’avais démissionné, je n’aurais pas accompagné le ministre à Popenguine. Je reconnais avoir dit que j’allais démissionner après la Biennale mais je n’ai jamais dit que j’allais le faire en cours d’édition.
 
Pourquoi voulez-vous quitter après cette édition ?
 
C’est beaucoup de choses que je ne veux pas dire ici.
 
Vous êtes peint comme un protégé du ministre de la Culture.  Qu'en est-il exactement ?
 
C’est peut-être vrai. Je ne veux pas en parler. Le ministre de la Culture me fait confiance et je l’en remercie. Quand j’ai annoncé ma démission, le soir même, il m’a reçu, tard. On a discuté longuement et l’affaire était close. J’ai décidé de continuer cette mission jusqu’en 2016, surtout parce que j’ai des objectifs à atteindre. Je veux que cette Biennale soit autonome.
 
C’est un des projets que je porte et quitter sans que cela soit fait, je ne me sentirais pas bien. Il y a tellement de problèmes qu’on rencontre aujourd’hui et qu’on pourrait ne plus rencontrer avec son autonomisation.La Biennale est aujourd’hui sous la tutelle du ministère de la Culture et du Patrimoine, on veut en faire une fondation d’ici à 2016, pour changer la donne. 
 
Est-il vrai que c’est parce que vous voulez apporter une certaine rupture dans la gestion du Dak’Art, en mettant fin à certaines pratiques malsaines, que l'on essaie de vous mettre des bâtons dans les roues ?
 
(Il rit) Quelles sont ces pratiques-là ? Il est vrai qu’il y a des pratiques que je veux complètement changer. Ça, c’est vrai. Vous savez, cette Biennale est tellement connue que c’est à nous de lui donner une bonne image. Je suis fier, quand je sors du pays, de constater que tout le monde connaît le Dak’Art. La preuve, cette année, on a reçu des journalistes venus de partout.
 
On a reçu des gens venus de partout. Un galeriste de Londres me disait la dernière fois qu’on n’avait rien à envier aux plus grandes biennales du monde. C’est une fierté du Sénégal, mais aussi de l’Afrique. Cette biennale est panafricaine. S’il y a des choses à rectifier, c’est maintenant qu’il faut le faire. Je veux rectifier beaucoup de choses pour qu’on puisse aller de l’avant et faire tout pour qu’on donne une bonne image à l’événement.
 
N’est-ce pas pour cela qu’on vous met des bâtons dans les roues ?
 
Peut-être.
 
Donc, vous reconnaissez qu’on essaie de vous mettre des bâtons dans les roues ?
 
(Il rit) Je ne sais pas. C’est vous qui le dites. Mais comme dans toutes les directions, on est confronté à des problèmes. Cela est évident. Maintenant, il faut tout faire pour les gérer et s’évertuer à construire quelque chose de bien. Je dis toujours que je me vois mal faire autre chose que ça. Si je quitte la Biennale, je retourne à la Fac et je vais continuer à enseigner à mes étudiants la philosophie de l’art ou l’histoire de l’art. Je suis dans le milieu et je me vois mal faire autre chose que ça. C’est ça que je connais et sais faire.
BIGUÉ BOB
 

 

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