Barack Obama veut régulariser 11 millions de clandestins
Vingt-sept ans après la légalisation de 3 millions d'immigrés illégaux sous Reagan, l'Amérique de Barack Obama s'apprête à régulariser à son tour 11 millions de clandestins.
Le projet de loi pour une réforme de l'immigration, qui fait actuellement l'objet d'une discussion acharnée au puissant Comité judiciaire du Sénat, est loin de la plate-forme très libérale que le président avait appelée de ses vœux, soulignent les milieux pro-immigration. Ces derniers sont peu emballés par la course d'obstacles qui devrait mener in fine, en treize ans minimum, à la citoyenneté pour les sans-papiers. «Beaucoup auraient souhaité la citoyenneté pour tous et maintenant», note l'avocate spécialisée Colette Pichon.
Mais si elle réussit à passer sous les fourches caudines du Congrès sans trop de dommage, la loi n'en apparaîtra pas moins comme une victoire majeure pour Barack Obama, marquant l'accomplissement de ses promesses répétées aux électeurs latinos. Après son échec cuisant sur le contrôle des armes et le budget, «ce serait un succès historique pour Obama, qui aurait réussi là où George W. Bush avait échoué en 2007», note David Harrison, journaliste au Congressional Quarterly, qui suit le dossier.
Le texte, «un compromis centriste» selon Harrison, prévoit de mettre en place un permis de travail provisoire pour les clandestins en échange du paiement d'arriérés d'impôts et d'amendes. Le texte leur donne aussi le droit, au bout de dix ans, de demander la citoyenneté américaine à condition de ne pas avoir été condamnés «sauf pour des délits mineurs». Sous la pression républicaine, la loi a prévu parallèlement un renforcement de la sécurité de la frontière avec le Mexique dans le but de prévenir un nouvel afflux de clandestins. Quelque 4,5 milliards de dollars seraient ainsi affectés à la mise en place de nouveaux systèmes high-tech de détection des passages ainsi qu'à l'utilisation de drones. Un système de vérification informatique du statut des demandeurs d'emploi (e-verification), obligatoire pour les entreprises, devrait aussi prévenir l'embauche, aujourd'hui massive, d'illégaux.
«Le gang des huit»
Un troisième volet, très attendu par les sociétés high-tech comme Facebook et Google, vise à ouvrir les portes de l'Amérique à une immigration légale choisie, en élargissant l'accès aux visas de travail H1B pour les étrangers diplômés, dont le pays a tant besoin dans le domaine des sciences et de l'informatique. L'accès de la main-d'œuvre non qualifiée à des visas de travail est également étendu, pour favoriser l'immigration légale au détriment de l'immigration clandestine. Mais ce postulat sera-t-il plus qu'un vœu pieux, quand beaucoup de clandestins sont prêts à tout pour atteindre l'eldorado américain? Le débat fait rage, mais le camp pro-immigration a le vent en poupe. «La loi est à portée de main, parce que les républicains la soutiennent pour des raisons politiques. L'idée est de boucler le processus d'ici à la fin 2013, car en 2014, on entre en année électorale», note Harrison.
Battue à plate couture en novembre, notamment chez les électeurs latinos, la droite a décidé de changer de cap sur l'immigration. Avec la bénédiction de la direction du parti, un groupe de 4 sénateurs républicains, dont l'Américano-Cubain Marco Rubio, étoile montante du parti, et le sénateur John McCain, ont donc rejoint 4 sénateurs démocrates pour constituer «le gang des 8» et rédiger un compromis acceptable. «Leur consultation habile de tous les lobbys impliqués a permis une vraie synthèse», note David Harrison, persuadé qu'il y aura peu d'amendements substantiels et que «la loi finira par passer».
«Militarisation» de la frontière
Les groupes de pression les plus divers - des petits fermiers du Sud qui ne veulent pas du système de «e-verification», très coûteux, aux associations d'officiers des services d'immigration qui se plaignent de ne pas avoir été consultées sur la sécurité, n'en continuent pas moins de se bousculer au Capitole, pour arracher des amendements. Jusqu'ici, les revendications des opposants à la réforme, qui visaient à assujettir le processus de légalisation à une sécurisation «totale» de la frontière ont été bloquées. «Tous les gens rationnels savent que le 100 % est impossible et qu'une telle notion aurait repoussé l'adoption de la légalisation», aux calendes grecques, note Audrey Singer, chercheuse à la Brookings.
Reste à savoir si la Chambre des représentants, à majorité conservatrice, se laissera persuader. Champion des opposants à la loi, la Fondation de l'Héritage s'est dressée contre le gang des 8 pour dénoncer une «répétition du scénario de 1986», qui avait consacré l'amnistie des illégaux mais échoué à renforcer les frontières. Elle a publié un rapport évaluant à 6,3 milliards le coût budgétaire d'une légalisation des clandestins. Marco Rubio, jadis enfant chéri des Tea Party, rétorque que ces estimations ignorent les effets positifs que la légalisation aura à long terme sur le dynamisme de l'économie…
Des critiques fusent aussi chez les démocrates, qui fustigent «la militarisation» de la frontière. L'avocate Colette Pichon souligne que «les grands groupes high-tech vont y gagner des milliards de dollars en contrats» mais que «l'avenir des illégaux est moins clair». «Sur le papier, ils sont gagnants, mais le système pourrait prendre avantage de menus délits pour exclure de nombreux sans-papiers», s'inquiète-t-elle, rappelant qu'«en droit, le diable est dans les détails». Quelque 75 % des Américains sont favorables à une sortie de l'ombre des illégaux. Mais seulement 44 % souhaiteraient leur accès à la citoyenneté.
Lefigaro.fr