Publié le 24 Jul 2019 - 19:06
FAUSSE ALERTE AU TERRORISME

Guy, l’incarcération à tout prix

 

Chercherait-on à faire taire le remuant activiste de Frapp-France dégage et de la plateforme Aar Li Nu Bokk, Guy Marius Sagna, que l’on ne s’y prendrait pas autrement ? Ses avocats Mes Moussa Sarr et Amadou Sow répondent par l’affirmative ; et les ‘‘abus’’ dans les procès pour terrorisme ne militent pas en faveur de la poursuite.

 

Vendredi 19 juillet 2019. Alors que le Sénégal et les Sénégalais n’avaient d’yeux que pour Sénégal-Algérie comptant pour la finale de la Can, une autre page du destin carcéral mouvementé de l’activiste Guy Marius Sagna se jouait à la cave du tribunal de Dakar. Il était mis sous mandat de dépôt pour ‘‘fausse alerte au terrorisme’’... après avoir été interpellé trois jours plus tôt par la gendarmerie de Colobane.

‘‘En moyenne, Guy Marius Sagna est convoqué deux fois par mois dans les locaux d’une police ou d’une gendarmerie. En moyenne, il passe 48 heures de détention par mois, depuis près de six mois. Maintenant, si on en arrive à cet extrême de lui imputer des faits qu’il n’a pas commis, on est dans une situation extrêmement regrettable’’, déplore son avocat Me Amadou Sow au téléphone d’’’EnQuête’’.

En attendant le face-à-face, encore indéterminé, avec un juge d’instruction, l’activiste du Front pour une révolution anti-impérialiste populaire et panafricaine (Frapp/France dégage) et de la plateforme Aar Li Nu Bokk risque de faire les frais de son engagement pour la cause citoyenne. Le grief contre M. Sagna a été flou, au début de l’affaire, le 16 juillet 2019, entre ses commentaires sur les défaillances du système de santé publique, après la mort de Tanor Dieng la veille, ou le communiqué de Frapp/France dégage accusant la France de ‘‘préparer un attentat terroriste’’ au Sénégal. C’est ce délit qui a été retenu, visé par l’article 429 bis de la loi 2016-29 du 8 novembre 2016 : ‘‘Celui qui, par un moyen ou procédé quelconque, communique ou divulgue une information qu’il sait fausse dans le but de faire croire à l’existence ou à l’imminence d’un attentat ou d’une explosion, d’une dégradation, détérioration ou menace, est puni d’un emprisonnement d’un an à cinq ans et d’une amende de 500 000 F à 2 000 000 de F’’.

L’argument défensif de son autre avocat, Me Moussa Sarr, consiste à démontrer l’inanité de l’accusation : ‘‘Le contenu de ce post n’est pas constitutif d’une quelconque infraction. Ça ne constitue pas une fausse alerte au terrorisme. Le post n’est rien d’autre qu’une analyse d’une situation, celle de la présence des forces françaises en Afrique de l’Ouest. Le mouvement (Ndlr : Frapp/France dégage) donne son opinion. Analyser une situation, ce n’est pas donner une information’’, affirme la robe noire. Mieux, il défend que ces propos n’auraient jamais dû quitter l’espace du débat des idées pour arriver éventuellement au prétoire.

‘‘Cette analyse relève de la liberté d’expression. On ne peut pas empêcher à des Sénégalais, des citoyens, des panafricanistes d’apprécier la présence militaire, culturelle, économique de la France. Qu’on soit d’accord ou pas. De là à judiciariser ce débat d’idées, ce n’est pas conforme. Si les gens ne sont pas d’accord avec cette analyse, qu’ils produisent un contre-argumentaire pour discuter sur le plan intellectuel, a fortiori donner une connotation pénale. Je la conteste énergiquement, vigoureusement’’.

Ces abus de la loi sur le terrorisme

Me Amadou Sow n’en mène pas large, quant à la démarche qui vaut à son client d’être privé de liberté. ‘‘Il fallait mettre Guy Marius Sagna à l’ombre. Tous les moyens étaient bons. C’est le dernier moyen qu’ils ont eu’’. Les précédents sur les affaires de terrorisme donnent à réfléchir. En 2016, pour lutter plus efficacement contre le terrorisme au Sénégal, certaines infractions ont été modifiées et de nouvelles ont été créées. La loi n°2016-29 du 8 novembre 2016 venait de naitre. Et comme dans toute législation anti-terroriste, elle fait jaser, concernant notamment la garde à vue qui, en matière de terrorisme, peut être prolongée jusqu’à 12 jours, en dehors de tout contrôle juridictionnel. Une porte ouverte aux abus dont les exemples foisonnent avec des détentions préventives de plusieurs années.

Le Canadien Saïd Ali Mouhamed et son co-prévenu sénégalais Mouhamed Gassama ont été écroués pour terrorisme et blanchiment de capitaux. Ils ont été blanchis par la justice sénégalaise, le 30 juillet 2015... après quatre années en prison.

Après avoir tenu l’opinion en haleine pendant près de trois ans, l’issue de l’affaire Alioune Ndao laisse également perplexe sur l’état des libertés civiles. Accusé, en compagnie de 28 autres individus, des crimes d’association de malfaiteurs en relation avec des réseaux terroristes, acte de terrorisme, financement du terrorisme, apologie du terrorisme et blanchiment de capitaux, la poursuite s’est pourtant effondrée, au moment du verdict. Seize personnes, dont imam Ndao, sont acquittées.

L’imam Boubacar Dianko est le cas le plus illustratif, pour le record de longévité. Accusé de connivence avec le Mujao (Mouvement pour l’unicité du jihad en Afrique de l’Ouest), le maître coranique a été incarcéré six longues années pour un procès qui aura duré moins de deux semaines (27 mars-10 avril 2019). Il sera acquitté par la Chambre criminelle spéciale. Dans le verdict rendu, les juges ont estimé ‘‘qu’il y a des doutes sérieux quant à son affiliation avec le Mujao’’. Comme tous les accusés et acquittés de terrorisme, il a suffi aux magistrats moins de temps que la détention pour arriver à la conclusion que ces individus sont trop chargés par les procès-verbaux (Pv) d’enquêtes préliminaires. 

L’étudiant Ousseynou Diop et l’élève Saër Kébé font également partie du lot. Incarcérés pendant quatre ans pour apologie (en plus d’acte de terrorisme pour le second), ils ont été blanchis de ces accusations, à l’issue de leur procès. Tous les deux se sont retrouvés avec une condamnation de 3 mois assortis du sursis pour menace, après 4 ans de détention pour le premier et 38 mois pour le second.

Me Sarr : ‘’Il n’y a pas d’infraction.’’

Le cas de Guy Marius Sagna n’est pas comparable, pour autant. La fausse alerte est un délit en principe et devrait être jugée en correctionnelle et non en criminelle. Mais la défense de Guy exclut l’idée même qu’elle passe en juridiction de jugement. ‘‘On va batailler pour obtenir un non-lieu, car il n’y a pas d’infraction’’, défend Me Sarr. L’autre robe noire chargée de sa défense trouve également que les procédés utilisés démontrent d’une envie de mettre son client à l’ombre. ‘‘Dans un premier temps, ils l’ont détenu dans les locaux de la gendarmerie sur des post qu’il aurait faits. On se rend compte que ses post ne constituent pas des infractions à la loi pénale et qu’après on essaie de redresser la barre, en trouvant une autre infraction sur la base de faits qui n’existent pas encore et qui ne sont pas prouvés par la gendarmerie’’.

Comme le ‘‘Patriot Act’’ aux Usa, le prolongement de l’Etat d’urgence en France après les attentats terroristes de 2017 ou la récente loi sur la divulgation de l’information sécuritaire au Burkina Faso, le Sénégal est à se poser la question de savoir si les libertés publiques seront délaissées à l’autel de la guerre contre le terrorisme.

‘‘Le Sénégal ne doit pas sacrifier les droits humains au nom de la lutte contre le terrorisme. La prévention du terrorisme dont il a été question tout au long du Forum paix et sécurité de Dakar va et doit aller de pair avec la protection et le respect des droits humains’’, avançait François Patuel, chercheur sur l’Afrique de l’Ouest à Amnesty International, au lendemain de l’adoption de la loi 2016-29.

‘‘Les libertés sont le socle d’une démocratie. Qui parle de démocratie parle de liberté d’expression, d’échanges entre citoyens et donc de contradictions. Les actes qu’a posés Guy Marius sont entachés de liberté d’expression et de contradiction entre habitants d’un même Etat’’, conclut le conseil de Sagna, Me Sow.

Seydi Gassama : ‘‘Il faut l’emprisonner à tout prix.’’

Devenu la figure de proue d’une contestation civile sénégalaise, GMS tente de vitaminer un mouvement citoyen sur les rotules. Le natif d’Etomé (Ziguinchor) semble avoir signé un contrat à séjour irrégulier au violon. Après en avoir fait voir de toutes les couleurs au régime précédent, en tant que coordonnateur du M23 à Tamba, il récidive avec le ‘‘Macky’’.

En mai 2018 (et bien avant), il séjournait derrière les barreaux, après un mouvement de soutien apporté pour la énième fois aux animateurs polyvalents qui exigeaient la concrétisation d’une formation devant leur permettre d’intégrer l’Education nationale. Avant cela, il a été interpellé moult fois : lors de la manifestation contre l’autoroute à péage, pour avoir brûlé la bâche de la ‘‘profanation’’ de la place de l’Europe à Gorée, lors du vote contre la loi sur le parrainage, pris dans le panier à salade de la police pour avoir tenu une manif interdite de son front anti-Ape, malmené lors du vote sur le parrainage électoral, rudoyé par les forces de l’ordre lors de l’expulsion de Kémi Séba.

Plus récemment, les contestations préélectorales et les rassemblements d’Aar Li Nu Bokk pour la transparence dans les contrats gaziers lui ont donné l’occasion de savonner la planche aux autorités.

Toutes choses qui font dire à son avocat, Me Amadou Sow, qu’‘‘il n’y a jamais eu de chefs d’accusation solides qui tiennent à l’endroit de Guy Marius Sagna. S’il y en avait, on ne parlerait pas de cette fausse alerte’’.  Dans le cas présent, l’accusation pourrait être affaiblie par le fait que Guy n’est pas le président de l’association responsable des propos incriminés et n’était pas présent à la conférence.

‘‘Il n’est pas président de Frapp/France dégage, il n’était pas présent à la conférence de presse où les propos à lui imputés ont été tenus. Mais il faut l’emprisonner à tout prix. Il est le leader de la contestation née du reportage de la Bbc sur le pétrole et le gaz sénégalais’’, a twitté hier le directeur exécutif d’Amnesty Sénégal, Seydi Gassama. ‘‘Le mouvement a analysé cette situation et a donné son opinion. Et Guy n’était même pas sur le présidium et n’a pas pris la parole. Le considérer comme une ‘information fausse’ relève d’une erreur d’appréciation manifeste. La qualification juridique qui est donnée n’est pas appropriée, elle n’est pas conforme du tout. Il n’y aucune infraction, aucune fausse alerte. On n’est pas dans le domaine de l’information, mais du débat d’idées’’, renchérit Me Moussa Sarr. 

OUSMANE LAYE DIOP

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