Publié le 5 Jul 2024 - 11:54
FRANCE

Binationalité, le foot français sur ses deux pieds ?

 

La binationalité est devenu malheureusement un sujet de campagne électorale. Le RN a tenté d’adoucir son programme tout en maintenant son projet d’interdire certains postes sensibles à ces français « douteux ». Or s’il existe bien un domaine qui symbolise l’apport des binationaux à la grandeur du pays, c’est bien le foot.

 

La France affronte le Portugal en quarts de finale d’une Euro pour le moment plutôt terne dans le contexte tendu d’élections législatives indécises et clivantes. Pourtant, nul doute que sur les coups de 21 heures, l’Hexagone redécouvrira à quel point la communauté franco-portugaise, en matière de ballon rond en tout cas, ne se pose guère de grandes questions de loyauté ni de patriotisme concernant son allégeance. Comment oublier les couleurs des rues de Paris en ce soir du 10 juillet 2016, transformé en petit Lisbonne, avec ces scooters qui roulaient à toute berzingue sur la voie rapide des quais de Seine, drapeau portugais au vent… Étonnamment, personne n’avait poussé les mêmes cris d’orfraie que devant un étendard algérien un soir de finale de la CAN.

Une richesse qui n’intéresse par le RN

De fait, le foot tricolore se nourrit depuis toujours de la richesse de ses étrangers et binationaux. D’abord, évidemment, en sélection, mais également à travers un vaste réseau de clubs communautaires toujours moins fermés qu’on ne le pense, Lilian Thuram ayant bien débuté chez les Portugais de Fontainebleau. Et d’ailleurs, d’autres binationaux français sont présents dans cet euro, comme Robin Le Normand et Aymeric Laporte dans les rangs de la Roja. Une fois encore un peu moins d’indignation que lorsqu’il est question d’une double affiliation avec la Tunisie ou le Maroc. D’ailleurs, combien de nos concitoyens possèdent-ils une autre ou plusieurs nationalités ? Très dur à évaluer. Certains sont binationaux sans le savoir ni l’avoir déclaré. Nombre de pays vous considèrent des leurs pour peu qu’un de vos deux parents en possède le passeport. Les combinaisons juridiques sont infinies.

Or le Rassemblement national, dans la droite ligne de sa filiation d’extrême droite, est obsédé par l’idée de trier entre les bons et mauvais Français. Un véritable cheval de bataille pour illustrer notamment sa résolution à changer la donne républicaine et égalitaire. Pour le moment, la loi ne fait pas, et interdit d’en faire, de différence et de distinction, en droits et devoirs, entre les citoyens et citoyennes. L’interdiction de la binationalité n’a pourtant été retirée du programme du parti lepéniste qu’en 2021 (c’est si récent que des candidats s’emmêlent encore aujourd’hui les pinceaux à ce propos). Toutefois, pour partir sur de bonnes bases, le RN désire toujours interdire certains postes stratégiques dans la fonction publique à ces Français « douteux » (les listes des nationalités et des fonctions seraient établies par décrets). Un premier galop d’essai avant de s’étendre au reste de la société et jusqu’aux portes de Clairefontaine ?

Les footballeurs mis dans le même sac

Les Bleus symbolisent et représentent au plus haut point aujourd’hui ce qui demeure de l’unité nationale et éclairent la France en son miroir social et culturel. Devra-t-on douter d’Antoine Griezmann avant qu’il joue contre le pays d’origine de sa mère ? Le populaire N’Golo Kanté est-il moins digne de ses capes parce que le Mali lui accorde aussi un bout de papier ? Il serait erroné d’imaginer le football immunisé ou épargné au nom de l’intérêt supérieur du pays. Le passé nous instruit du contraire. Karim Benzema fut sans cesse suspecté de préférer l’Algérie à la France, la moindre citation exhumée, le mouvement de ses lèvres épié lors de chaque Marseillaise. Le sénateur RN Stéphane Ravier, aujourd’hui chez Eric Zemmour, l’avait qualifié de « Français de papier ». En 2011, l’affaire des quotas avait aussi prouvé à quel point la ligne de défense républicaine pouvait être fragile aux débordements sur sa droite. François Blaquart, directeur technique national de l’époque confessant ses rêves d’épuration : « Moi, j’ai dit à Gérard [Prêcheur, directeur de l’INF] qu’on allait se voir pour le concours et qu’on limite. […] L’idéal, effectivement, c’est de dire, mais pas officiellement : de toute façon, on ne prend pas plus de tant de gamins qui sont susceptibles de changer [de nationalité] à terme. » Une première pierre discriminatoire jetée sur la pelouse, et personne n’imaginait à ce moment que le FN/RN arriverait aux portes du pouvoir.

Sur France Info, l’internationale tricolore Sakina Karchaoui confessait ses craintes avant le vote de dimanche, pour elle, sa famille et le football. « La France, c’est la diversité. C’est comme dans une équipe de foot. En équipe de France, on a un slogan : “Nos différences nous unissent.” J’espère que les gens vont voter à l’avenir, mais en tout cas, il faudra faire barrage à l’extrême droite, c’est sûr. La France que j’aime n’est pas pour ce genre de parti politique. J’ai peur de l’avenir de la France. Mes parents sont 100% marocains, j’espère que la France ne poussera pas les gens à partir. » Elle a toutes les raisons de trembler. Christian Pérez, candidat RN dans la 8e circonscription du Finistère, toujours qualifié, avait écrit sur Facebook en novembre 2022, comme l’a révélé Streetpress : « J’ai cru voir des clandestins repartir chez eux et là paf, c’était que la pseudo-équipe de France qui partait au Qatar. »

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