Alpha Condé refait surface
Qui l’eût cru ? Moins de deux ans après le putsch militaire qui l’a renversé, en septembre 2021, l’ancien président Alpha Condé, en exil en Turquie, revient à son corps défendant dans le jeu politique, après une série de mobilisations, d’abord par de nouveaux responsables de son parti, le Rassemblement du peuple guinéen (RPG Arc-en-ciel) et de nouvelles têtes qui émergent en surfant sur l’image de l’ancien chef d’État et la désillusion qui prend corps en Guinée, depuis que les perspectives d’ouverture démocratique promises par son tombeur, le colonel Mamady Doumbouya, s’éloignent.
Lundi dernier, le 14 août, une centaine de femmes a manifesté sous une pluie battante à Kaloum. Sur leurs banderoles, on pouvait lire : ‘’Nous préférons le troisième mandat du Pr. Alpha Condé à la transition des putschistes, transition mandat Mara !’’ Allusion au fait que le fondateur du RPG s’était vu reprocher par ses tombeurs sa réélection après une révision constitutionnelle qui lui avait permis de rempiler en 2020. La junte conduite par l’ancien légionnaire Mamady Doumbouya avait élaboré un discours axé sur ‘’l’illégalité’’ de cette réélection, ce qu’avaient repris en vol, s’ils ne l’avaient suscité, des médias occidentaux et diverses officines animées par les nombreux adversaires que l’ancien opposant historique à Ahmed Sékou Touré a eus à se faire en soixante ans de vie publique, dont les quarante-cinq comme opposant aux deux premiers présidents de son pays.
Autres expressions lues sur les affiches lors de la manifestation de Kaloum : ‘’Les femmes veulent le retour à l’ordre constitutionnel’’, ‘’Libérez nos cadres du RPG injustement arrêtés’’, ‘’Non à l’ingérence française, Pour que vive l’unité nationale.’’
Fin mai 2023, des femmes du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG) avaient battu le pavé à Siguiri et à Kankan, dans cette Haute-Guinée dont Alpha Condé avait fait son fief. Idem à Nzérékoré, en pleine Guinée forestière, où leurs consœurs ont donné de la voix, réclamant à leur tour des mesures contre la vie chère et… le retour de l’ancien président au pays et au pouvoir. Une revendication également martelée le 24 mai par un petit groupe de manifestants devant l’ambassade de France à Conakry.
Aujourd’hui, les responsables du RPG s’étonnent du deux poids deux mesures de la CEDEAO au sujet de son appréciation des coups d’État. ‘’C’est comme si le président Alpha Condé gênait plus à l’étranger qu’en Guinée’’, soupire un cadre de la formation qui vient de terminer une session de formation destinée aux jeunes du RPG. ‘’On sourit en regardant l’empressement des gens à aller régler le dossier du Niger, mais ils étaient aphones quand un président démocratiquement élu se faisait exiler par des militaires ici en Guinée’’, poursuit-il, non sans engager un réquisitoire contre ‘’les faux frères à l’indignation variable’’.
Marasme économique
Dans une tribune publiée en février 2023 dans ‘’Jeune Afrique’’, les avocats, Mes Boucounta Diallo et Pierre-Olivier Sur, donnaient comme un avant-goût de ce qui se susurre dans certains milieux. Des éléments de langage rappelant l’actif du Pr. Alpha Condé dans le combat démocratique et qui ont été repris par ses militants : la condamnation à mort en 1970, puis, trente ans plus tard, un emprisonnement équivalent à la pire des tortures. Enfin, ‘’sorti en héros, élu président de la République le 21 décembre 2010, avec le mérite d’avoir respecté les institutions et d’avoir refusé le coup de force et le bain de sang’’.
Ce sont apparemment des rappels pour articuler le retour sur la scène de l’exilé sur les rives du Bosphore avec la nouvelle réalité de la dictature militaire qui a fini de prendre ses aises en Guinée. Au plan politique, le colonel Doumbouya a mis entre parenthèses le processus démocratique. ‘’Il est clair que la crise économique et les pertes des acquis démocratiques peuvent rappeler le président Alpha Condé au souvenir de ses compatriotes. Malgré trois ans de crise sanitaire Ebola et deux ans de pandémie de Covid-19, les résultats affichés par la Guinée en 2020 contrastent avec la morosité actuelle’’.
En dix ans, le produit intérieur brut (PIB) de la Guinée est passé de 6,7 milliards à 15,6 milliards de dollars, selon les chiffres de la Banque mondiale. S’agissant de l’énergie, ‘’le château d’eau de l’Afrique de l’Ouest’’ est passé d’une production de 270 MW en 2010 à 1 100 MW en 2020, avec, notamment, les barrages de Kaleta et de Souapiti, mais aussi avec le puissant groupe à gaz de Kankan, ‘’dont la junte voudrait usurper la paternité’’, précise Morlaye Kaba, un jeune leader du RPG Arc-en-ciel.
En 2010, le pays ne possédait qu’une seule cimenterie, en mauvais état. Aujourd’hui, la Guinée est exportatrice de ciment. Le Port autonome de Conakry, qui était l’un des moins compétitifs en 2010, est aujourd’hui, avec l’aide des Turcs d’Albayrak, l’un des plus performants d’Afrique. Sous le magistère du président Condé, l’État a affecté directement 15 % de ses recettes minières à ses populations. Pour Taliby Dabo, coordinateur du RPG en Haute-Guinée et plusieurs fois emprisonné, ‘’tout militant de notre parti, cohérent avec lui-même, objectif et sérieux, est tenu de réclamer qu’Alpha Condé revienne au pouvoir jusqu’à la dernière seconde de 2026’’.
AMADOU FALL