De la nécessité pour les Africains de se réapproprier leur imaginaire
En prélude à un symposium qu’organise le RawMaterial Company Sénégal, en collaboration avec le Musée des civilisations noires, la directrice artistique du Rmc a fait face à la presse, hier. Une occasion pour Koyo Kouoh de présenter les grandes lignes de cette rencontre.
‘’Il est important, pour chaque société, aussi diverse et multiple qu’elle soit, de se saisir de son imaginaire. C’est à partir de notre imaginaire qu’on se propulse dans le futur, qu’on crée le présent et qu’on analyse le passé. Savoir lire, décrire, interpréter, archiver, préserver, critiquer, se confronter à son imaginaire, participe à la construction de la société’’, pense la directrice artistique du RawMaterial Company Sénégal, Koyo Kouoh. Connaître l’histoire de l’art pourrait permettre de se réapproprier cet imaginaire. Et qui de mieux que les principaux concernés pour parler de leur histoire ?
Ironie du sort ! En Afrique, ce sont les étrangers qui parlent et semblent mieux connaître l’histoire de l’art du continent. Ainsi, elle ‘’continue à être dominée par des universitaires occidentaux qui donne le ton pour la matière’’, comme l’a rappelé Mme Kouoh hier, lors d’une conférence de presse. Une rencontre tenue en prélude à un symposium organisé en collaboration avec le Musée des civilisations noires, du 20 au 22 septembre à Dakar, sur l’histoire de l’art africain.
‘’Sur le continent africain, il existe quelques départements d’histoire de l’art, mais ils sont encore rares, modestes, en termes de ressources humaines et matérielles, notamment par rapport au pouvoir démographique des cinquante-quatre pays du continent et ils sont souvent intégrés comme des modules d’études dans des facultés plus grandes des beaux-arts’’, a informé Koyo Kouoh.
Ici, à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, c’est à la faculté des Lettres, au Département de philosophie, que le module est enseigné. Ce qui est jugé peu, eu égard à la dimension de la question et aux enjeux du moment. Aujourd’hui, au moment où l’on parle de rapatriement du patrimoine artistique africain présent en France, il s’impose aux Etats de créer les conditions de réappropriation par les peuples de ces œuvres. Il faudrait, dans ce sens, des gens qui connaissent bien leur histoire pour la conter. Actuellement, ceux qui parlent très souvent de l’histoire de l’art africain, notamment des institutions ou universitaires étrangers, n’ont pas les grilles de lecture appropriées.
‘’Leurs cadres de référence, qu’ils posent comme étant universels, jouent sur l’interprétation de l’art, des conditions sociales et des milieux culturels africains’’, a souligné Koyo Kouoh. Par conséquent, ajoute-t-elle, ‘’les connaissances produites dans la plupart des institutions ou maisons d’édition académiques ou indépendantes, en dehors de l’Afrique, transmettent le système existant dans leurs propres localités qui reflètent moins l’Afrique. Autrement dit, le public, pour ce genre de production de savoir, ne se trouve pas en Afrique’’. Pis, la plupart des recherches faites et présentées comme étant actuelles sont caduques. Elles ont été menées, il y a longtemps et ne reflètent pas la réalité actuelle, selon la directrice artistique du RawMaterial Academy. ‘’La majorité d’Africains, aujourd’hui, ne se retrouvent pas dans ce qu’ils lisent, mais prennent tout de même ces informations comme étant des vérités’’, s’est-elle désolée.
Donc, il est plus que pertinent, pour les Africains, de se réapproprier l’histoire de leur art. Même si, essaie de comprendre Koyo Kouoh, les pressions économiques n’encouragent pas les jeunes à s’orienter vers l’étude de l’histoire de l’art. Ils préfèrent souvent des disciplines qui leur semblent plus lucratives.
Un ‘’exode disciplinaire qui menace gravement l’histoire de l’art et a un impact négatif sur la production et sur la critique artistique par les artistes africains’’.
Tout cela sera débattu et mieux exposé lors des diverses activités prévues. L’enseignant à Cornell University, aux Usa, Pr Salah Hassan, donnera la conférence inaugurale. Il parlera de ‘’L’histoire de l’art africain en tant que paradoxe’’. Ce sera ensuite au tour de différents experts, dont le directeur du Centre de recherche Train de l’université des Arts de Londres, Paul Goodwin, d’échanger sur le rôle qu’a joué la Biennale de Dakar dans l’articulation de l’histoire de l’art.
BIGUE BOB