«Le goulot d'étranglement, c'était Abdoulaye Wade»
Accroché en marge de la session extraordinaire de l’Assemblée nationale, Idrissa Diallo rame à contre-courant des propos du Premier ministre pour qui le dossier impliquant des autorités dans le drame du 26 septembre est éteint, et rappelle les responsabilités écrasantes de l'ancien président Wade.
Le 10e anniversaire du naufrage du Joola s'annonce. Que pensez-vous de la gestion du dossier ?
Nous avons perdu 10 ans d’énergie car le dossier n’a pas trop évolué. Il n'a connu qu’une seule avancée, l’indemnisation des familles de victimes. Par rapport aux orphelins, il y a de la discrimination. Certains n’ont pas été pris en charge alors que l’aide s’arrête à 18 ans. Ils ont 20 000 francs Cfa par mois. Encore que cette mesure a été prise entre les deux tours de la présidentielle passée. Quand Wade a compris qu’il devait partir au second tour, son marabout lui a certainement recommandé de faire ce sacrifice. Il a alors choisi les orphelins du Joola. C’est mon analyse personnelle.
Qu’en est-il du renflouement du navire ?
Le bateau est toujours là, je l’ai dit aux autorités. Le Sénégalais ne veut pas trop qu’on soulève cette question, cela risque de créer beaucoup de douleurs. Nous allons en souffrir, c’est vrai. Mais personne d’entre nous ne voudrait que son père, sa mère, son enfant soit localisé géographiquement, et qu’on ne puisse pas le sortir de là.
Avez-vous avez saisi le pouvoir ?
Nous sommes en train d'en discuter. Il y a des choses qu’on ne peut pas dire publiquement. Mais les nouvelles autorités ont une oreille attentive. Nous avons l’impression d’avoir devant nous des humains. Les autres (les gens de l’ancien régime) nous ignoraient royalement ; ils étaient plutôt préoccupés par le pouvoir. Un jour, un journaliste m’a demandé ce qui a changé en 10 ans. Je lui ai répondu : «Non, une chose très importante a changé : c’est le départ d’Abdoulaye Wade». C’était lui le goulot d’étranglement dans cette affaire. Sa conscience ne lui permettait pas de sortir le bateau. Il sait ce qu’il a fait.
Qu’est-ce qu’il a fait ?
On sait le refus qu’il a opposé aux secours. A minuit déjà, il était au courant. Il pensait que son pouvoir allait tomber. Il ne veut pas que les gens voient les dégâts. On nous a caché le drame. Mais quelle que soit la douleur, les Sénégalais ont besoin de ce choc pour se ressaisir, pour comprendre qu’on est en train de s’amuser. Il faudrait qu’on s’arrête un peu pour faire l’économie du deuil du Joola. Parce que 2 000 personnes qui disparaissent brutalement comme cela, ça doit servir à quelque chose dans un pays. Le Joola n’a apparemment servi à rien du tout. Le laxisme se poursuit encore.
En tant que député, allez-vous faire des propositions de loi dans ce sens ?
Je n'en sais pas grand-chose pour le moment, mais il y a des gens qui travaillent autour de ça. Depuis 2002, ma vie a été rythmée par le Joola. Donc mon entrée à l’Assemblée ne peut pas se faire sans que je parle du Joola. Je suis en train de voir avec des gens ce qu’on doit proposer. Quel que soit le dossier qu’on me donnera à propos du Joola, je le porterai au niveau de l’Assemblée.
Où en-êtes-vous avec les poursuites judiciaires contre l’ex-Premier ministre Mame Madior Boye et les autres ?
C’est un dossier pendant devant la justice. Elle va faire son travail. Au Sénégal, le Premier ministre (Abdoul Mbaye) a dit que l’affaire est éteinte. Est-ce qu'elle est éteinte complètement ? Je ne veux pas trop m’immiscer dans une affaire judiciaire. Ce qui est clair, c'est que nous ferons tout notre possible pour relancer ce dossier.
Comment comptez-vous marquer le 10e anniversaire ?
Nous avons fait le rituel comme d’habitude. Mais pour cette année, nous avons organisé la cérémonie sur une semaine. Il y aura des expositions, des panels, des marches, de la sensibilisation. Il y avait 400 étudiants morts dans le bateau le Joola. Nous avons voulu que l’armée fasse une journée avec nous le 26 septembre. Nous avons parlé aux autorités, elles sont d’accord. Il y aura un match de foot a Dakar à la mémoire des membres de l’école de football restés au fond de l'océan. L’église ne sera pas en reste, le Cardinal Théodore Adrien Sarr ayant promis de célébrer une messe pour les disparus.
PAR DAOUDA GBAYA