Publié le 23 Apr 2015 - 13:24
IMMIGRATION CLANDESTINE A THIAROYE SUR MER

Entre panique des parents et désespoir des jeunes 

 

A Thiaroye Sur Mer, une localité de la banlieue dakaroise, de nombreuses familles sont sur le qui-vive. La nouvelle vague de départs de clandestins vers l’Europe et la série de tragédies qu’elle charrie leur fait craindre le pire. La localité a payé un lourd tribut, avec le phénomène de « Barça ou Barsax » qui a vu des milliers de jeunes rallier l’Espagne depuis les côtes sénégalaises, à la recherche de lendemains meilleurs. Les parents craignent une reprise de ces voyages clandestins qui leur ont fait perdre de nombreuses progénitures.

 

En ce début de journée très ensoleillée, Thiaroye Sur Mer, une localité du département de Pikine, vit au rythme des activités liées à la pêche. La forte présence de produits halieutiques témoigne qu’on se trouve dans un village lébou. L’activité bat son plein. Les vendeurs, marchands ambulants, déposent leurs marchandises à même les rails. Le décor est complété par les va-et-vient des voitures clandos et des charrettes.

Et pourtant, au milieu de ce tohu-bohu indescriptible, les populations de cette contrée vivent au quotidien avec la hantise d’un probable déguerpissement, avec la mise en œuvre du projet de la baie de Hann qui va engendrer le départ de plus de 2 000 familles, sous peu. S’y ajoute la hantise des immigrations clandestines qui a frappé de plein fouet la localité vers les années 2005. Rien que de penser que des jeunes pourraient recommencer à prendre des pirogues pour l’Europe fait perdre l’appétit à plus d’un parent.

Cette mère de famille a perdu deux enfants dans cette tragédie. ‘’Je ne me doutais de rien de ce qui se tramait du côté de mes enfants. Un jour, à ma grande surprise, on m’a annoncé que mes enfants sont morts en essayant de rejoindre l’autre côté de l’atlantique. Je n’en revenais pas, car je pensais qu’ils étaient partis en mer comme bon nombre de pêcheurs. Depuis lors, je peine à joindre les deux bouts, car ils étaient mes seuls soutiens’’, se souvient cette dame trouvée au marché de Thiaroye Sur Mer, assise devant son étal de poissons fumés. Les yeux hagards, la mine sérieuse et la coiffure mal soignée, elle n’a eu de cesse de ruminer cette tragédie. A son avis, si ses enfants ont péri en mer, c’est parce qu’ils voulaient réussir. Elle est d’avis que les parents doivent continuer de conscientiser leurs enfants convaincus que les portes de la réussite ne s’ouvrent qu’en Europe.

’J’ai peur, pour vous dire la vérité…’’

A l’instar de cette dame qui a voulu garder l’anonymat, des parents interrogés ne cachent pas leurs inquiétudes, avec cette reprise des embarquements à bord des pirogues. La nouvelle de la mort de ces centaines de jeunes issus de différents pays ne les rassure guère. ‘’J’ai peur, pour vous dire la vérité. Mon fils fait la seconde, cette année. Mais tel que je le connais, il ne cracherait pas sur la moindre occasion d’aller en Europe, quitte à y perdre la vie. Il a l’habitude de me dire souvent : ‘’Maman, si j’avais été majeur en 2005, j’aurais forcément pris la pirogue pour te soulager’’, déclare Yaye Amie, la voie en trémolo. ‘’Nous sommes tous dans une panique qui ne dit pas son nom, car les plaies des évènements de 2005 ne se sont pas cicatrisées. En plus, on ne peut pas contrôler nos enfants, car en tant que pêcheurs, ils sont toujours obligés d’aller en mer à la recherche perpétuelle de poissons’’, renchérit Ablaye Seck, un retraité.

M. Guèye, un professeur à la retraite, de dire que le seul espoir qu’il leur reste est que, depuis un certain temps, les jeunes ne partent plus des côtes du Sénégal. Ils sont obligés d’aller jusqu’en Lybie pour rallier l’Europe. ‘’J’ai constaté personnellement que cela fait un bail que les embarcations ne partent plus directement du Sénégal. Mais les jeunes font tout pour aller dans les pays du Maghreb. J’avoue que beaucoup veulent voyager, mais la quasi-totalité n’a pas les moyens qu’il faut pour y parvenir. C’est ce qui nous donne un minimum d’espoir’’, avance le professeur.

‘’Mieux vaut mourir dans la mer que de rester ici et…’’

Malgré le nombre assez élevé de morts en mer, des jeunes sont prêts à tenter le coup. ‘’Je suis là car je n’ai pas encore les moyens financiers pour partir. A mon avis, mieux vaut mourir dans la mer que de rester ici et de ne rien pouvoir faire pour ses parents. Le Sénégal est très dur par ces temps qui courent. J’avais fait quelques économies pour partir, mais malheureusement, il n’y avait plus de pirogues d’embarquement’’, confie Saliou Dia. Un autre jeune trouvé à quelques jets du terrain de foot de cette localité, la mine bien soignée, partage le même pessimisme : ‘’Au Sénégal, la pauvreté est un délit.

Imaginez un jeune qui a trente ans et qui peine à se payer du pain thon. A quand le mariage, dans la mesure où les filles ne se marient qu’avec ceux qui ont des sous ? Moi, si je vois une porte, je m’en vais.’’ Le jeune Lébou bon teint a une idée arrêtée sur la question. ‘’Parmi nos amis qui sont partis, il y a eu certes quelques-uns qui ont été avalés par les poissons, mais d’autres en sont à leur énième voyage. Ils ont construit des maisons, épousé des femmes et vivent comme des bourgeois. Je pense que chacun à sa chance’’, philosophe le jeune homme.

Des associations de lutte contre les immigrations clandestines

Et pourtant après la période sombre des années 2005, et les énormes pertes en vies humaines enregistrées, des associations de lutte contre les immigrations clandestines ont été créées, dans le but de conscientiser les jeunes qui veulent partir en Europe à bord des pirogues d’embarcation. Elles ont abattu un travail considérable qui a eu les effets escomptés. Beaucoup de jeunes ont pris conscience que c’était du suicide. ‘’Ces associations ont convaincu les jeunes de la localité de rester sur place. Mais, j’ai peur qu’ils décident de s’intéresser à nouveau au phénomène, car il n’y a rien dans cette localité, à part la pêche, et elle ne fait plus recette, à cause des chalutiers des blancs qui ne laissent plus rien, à chaque fois qu’ils passent. Il y a une mauvaise politique maritime qui réduit nos chances’’, se désole Fallou Diop, un pêcheur de formation. 

CHEIKH THIAM

 

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