Publié le 26 Jul 2019 - 23:24
INCOMPETENCE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL, INDEPENDANCE…

La leçon magistrale du Pr Kanté 

 

Indépendance et nomination du juge constitutionnel sénégalais, incompétence du Conseil constitutionnel… L’ancien membre du Conseil constitutionnel, le professeur Babacar Kanté, interpelle la conscience des acteurs.

 

Quand l’éminent professeur de droit constitutionnel, Babacar Kanté, parle du reproche fait principalement au juge constitutionnel sénégalais de se déclarer tout le temps incompétent, il s’étrangle presque de rage. Dans sa ligne de mire, il épingle acteurs politiques, juristes et avocats. ‘’Principalement, explique-t-il, le conseil se déclare incompétent sur deux hypothèses. Quand il est saisi pour interpréter des lois portant révision de la Constitution, d’une part. D’autre part, quand il a été saisi pour apprécier un décret qui est un acte administratif et dont l’appréciation doit être soumise au juge administratif’’.

Par rapport aux lois de révision constitutionnelle, renseigne-t-il, il est de jurisprudence constante que le juge constitutionnel sénégalais, depuis 1998, se déclare incompétent.

‘’Pour des raisons éthiques, pour des raisons déontologiques, un avocat honnête ne devrait pas encaisser un franc, si un requérant lui demande d’attaquer devant le Conseil constitutionnel une loi de révision constitutionnelle. Il doit savoir qu’il est de jurisprudence constante que le juge sénégalais ne se reconnait pas compétent sur cette question. Ça, même nos étudiants de première année le savent’’.

Selon lui, cette jurisprudence d’inspiration française est bien connue de tous les professionnels.

Alors pourquoi l’opposition et ses représentants saisissent souvent le juge pour entendre la même chose ? Le professeur s’interroge : ‘’De qui se moque-t-on ? Est-ce la majorité qui vote sa Constitution et qui la modifie à tour de bras ? Ou est-ce l’opposition qui s’amuse à saisir le juge constitutionnel à chaque fois pour l’entendre dire la même chose ? Moi, je pense que dans cette affaire, nous sommes tous victimes du jeu politique et c’est agaçant. Je n’ai jamais compris pourquoi, en France, c’est exactement la même jurisprudence et on n’accable pas les juges français.’’

Selon lui, les avocats ne donnent jamais de conférence de presse pour commenter d’un point de vue juridique la décision du conseil en l’espèce. ‘’Jamais ! La seule fois que je les ai vus faire une conférence, c’était avant la saisine. Ils disaient : nous allons les saisir, mais vous allez voir : ils vont nous débouter. Ils sont vendus et corrompus. Le lendemain, le conseil se prononce, ils disent : nous vous l’avions dit’’.

Par ailleurs, si les accusations fortuites se multiplient à longueur de saisine, le professeur s’étonne que les véritables débats qui vaillent la peine d’être posés ne le soient pas, en ce moment. L’opinion perdrait ainsi beaucoup de temps dans des questions qui ne sont pas, à ses yeux, essentielles. ‘’Dans les grandes démocraties, confie le professeur, la justice constitutionnelle, ce n’est pas une justice chargée d’arbitrer le contentieux électoral et de proclamer le président de la République… J’insiste, parce que je veux déconstruire cette notion de justice constitutionnelle collée à l’élection présidentielle. Pour ma part, je suis totalement révolté, parce que la justice constitutionnelle, encore une fois, n’est pas là pour déclarer qui est proclamé élu. Elle est fondamentalement là pour défendre les droits fondamentaux’’.

De ce fait, renseigne-t-il, ‘’La faiblesse des systèmes africains, c’est fondamentalement que les individus ne peuvent pas saisir directement le Conseil constitutionnel. Celui-ci ne peut être saisi que par 5 autorités, en matière de contentieux constitutionnel. Il s’agit du président, du Premier ministre, de l’Assemblée nationale, de 1/10 des députés et parfois du ministre’’. En plus, fait-il savoir, il y a la Cour d’appel et la Cour suprême, en cas d’exception d’inconstitutionnalité. Or, estime le Pr. Kanté, ‘’la performance du système (de justice constitutionnelle) doit être évaluée de ce point de vue. C’est-à-dire est-ce que les droits fondamentaux des individus reconnus par la Constitution sont respectés ?’’.

Allant plus loin, l’ancien membre du Conseil constitutionnel est revenu sur le fondement même de la jurisprudence constitutionnelle, à savoir l’arrêt Marbury vs Madison. Il explique : ‘’Le juge Marshall (Etats-Unis) a utilisé le terme de suprématie de la Constitution. Donc, la justice constitutionnelle est une justice qui tend à garantir la suprématie de la Constitution ou sa primauté sur tout autre texte. L’office du juge constitutionnel est de faire en sorte que la loi votée par les représentants du peuple puisse être conforme à cette Constitution.’’ Pour le professeur, c’est une faiblesse consubstantielle de nos pays de réduire cette justice constitutionnelle à la matière électorale. ‘’C’est une faiblesse que je dénonce fondamentalement’’.

Babacar Kanté s’est aussi prononcé sur la lancinante question de l’indépendance des juges constitutionnels. Si nombre d’observateurs, y compris des spécialistes pensent que la nomination des juges par le chef de l’Etat est un frein à leur indépendance, lui est convaincu du contraire. Citant plusieurs exemples, il estime que la question de l’indépendance doit être analysée autrement. ‘’Ce n’est pas vrai, affirme-t-il, que dès lors qu’on est nommé par le président, on n’est pas indépendant… Et j’en suis un exemple vivant. Moi, je n’ai jamais rencontré le président de la République Abdoulaye Wade, avant ma nomination, je peux vous le jurer. Il ne me connait pas, je ne le connais pas. J’ai fait 6 ans, je n’ai jamais, jamais, jamais reçu un seul appel téléphonique d’aucune autorité politique de ce pays. Et pourtant, il n’y avait que d’anciens étudiants qui étaient autour du président’’.

‘’… Dès lors que vous êtes nommé membre, vous êtes indéboulonnable’’

Mieux, l’ancien recteur donne les exemples des relations entre François Mitterrand et Robert Badinter, entre Pierre Mazot et Chirac, pour mettre en exergue la curiosité bien sénégalaise. Dans ces deux cas, en effet, ces éminents membres du Conseil constitutionnel français étaient respectivement amis intimes avec les deux anciens président susmentionnés.

‘’Pour autant, personne ne doutait de leur indépendance. Comment se fait-il que dans notre pays, quand vous êtes nommé, vous ne pouvez pas être indépendant ? C’est un problème culturel, à mon avis, qu’il faut régler’’. La nomination, estime-t-il, n’est pas de nature à affecter l’indépendance des membres. Il ironise : ‘’La seule différence entre les Usa et nous, c’est que chez nous, quand vous êtes nommé, on va essayer de voir si au lycée vous avez été membre du Ps ou du Pds. Est-ce que le cousin de la sœur de la tante de votre grand-père n’a pas de lien avec le président de la République. Aux Etats-Unis, la seule question qui se pose est de savoir si vous êtes conservateur ou progressiste ? Autrement dit, est-ce que sur les lois sur l’homosexualité, l’avortement, par exemple, il va voter pour ou contre’’.

Pour ce qui est des personnes qui peuvent être nommés comme membres du Conseil constitutionnel, il s’agit des anciens magistrats, des avocats, des Inspecteurs généraux d’Etat et des professeurs de droit qui sont les seuls habilités à exercer des activités parallèles.

Le professeur se dit toutefois ouvert à l’élargissement des profils à d’autres corporations. Mais, s’empresse-t-il de préciser, à condition que sa nature actuelle qui concerne principalement la matière électorale soit revue.

A l’en croire, il y a dans le dispositif sénégalais suffisamment de dispositions qui permettent au juge constitutionnel d’être indépendant. ‘’… Ensuite, dès lors que vous êtes nommé membre, vous êtes indéboulonnable, sauf cas exceptionnel. Et même là, ce sont les membres du conseil eux-mêmes qui peuvent se réunir pour mettre un terme à votre mandat’’, a-t-il ajouté.

Selon lui, l’indépendance du juge est en réalité une indépendance fondée sur son éthique, sa morale, ses vertus, ses qualités personnelles. ‘’Aucune loi ne peut garantir l’indépendance d’un juge, quand il ne veut pas l’être’’, souligne l’éminent spécialiste.

PAR MOR AMAR

 

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