Tous en sursis !

Journalistes, activistes, hommes politiques : tous ceux qui interviennent dans l’espace public et particulièrement dans le champ politique sont sous une menace permanente. Alors que les militants se surveillent pour débusquer le moindre écart chez l’adversaire susceptible de constituer une infraction, les structures publiques s’y mettent et n’hésitent pas à porter plainte contre des citoyens pour n’importe quelle maladresse.
Actuellement, pour un oui ou un non, un citoyen peut désormais facilement se retrouver devant la Division spéciale de cybersécurité (DSC), antichambre de l’hôtel zéro étoile pour tous ceux qui s’expriment dans l’espace public. Journalistes, activistes, hommes politiques : nul ne semble à l’abri de cette charge aussi facile à brandir devant les autorités judiciaires.
Si certaines convocations peuvent être justifiées en raison de leur caractère particulièrement grave et attentatoire aux mœurs et à l’ordre public, d’autres paraissent tellement farfelues. L’un des cas les plus emblématiques reste à ce jour celui de l’opposant politique Moustapha Diakhaté, poursuivi juste pour avoir utilisé « gougnafier » en parlant du président de la République et de son Premier ministre.
Après avoir passé plusieurs semaines en détention provisoire, il a été jugé et condamné à deux mois de prison dont quinze jours ferme. D’autres politiciens avant lui avaient payé cher ce durcissement de politique pénale décidé par le Premier ministre depuis maintenant plusieurs mois.
Un durcissement de la politique répressive contre les délits d’opinion
Face à la représentation nationale, il avait en effet averti : « … On m’accuse de beaucoup de choses, de la mise en prison de certains opposants, alors que je n’y suis pour rien. Je vais vous dire une chose : sur ces questions-là, à partir d’aujourd’hui, j’assume. D’abord nous allons régler rapidement le cas de ces jeunes qui vont sur les plateaux pour insulter… Après avoir effacé ces jeunes, nous espérons que les opposants milliardaires qui les paient pour insulter vont avoir le courage de sortir et d’assumer. »
Depuis, la chasse aux insulteurs a été lancée. Mais si ce n’était que les insulteurs, cela aurait peut-être plus de sens aux yeux de certains. Seulement, aujourd’hui, n’importe quel écart – même des plus insignifiants – peut mener son auteur en taule. Peu importe qu’il soit récidiviste ou non, peu importe qu’il soit de bonne foi ou non. La jurisprudence a pu juger offensant le simple fait d’utiliser le mot « gougnafier ».
Pour l’avocat Me Elhadj Diouf – avocat à l’époque de Bachir Fofana et Moustapha Diakhaté –, le doute n’est pas permis. Le régime veut juste intimider les opposants et autres chroniqueurs qui ne lui sont pas favorables. S’exprimant suite à la condamnation de ses clients, il déclarait : « … Ce sont des décisions qui visent à intimider. Les gens ne peuvent plus s’exprimer. C’est une menace permanente, c’est l’épée de Damoclès. Vraiment, qu’on arrête de s’amuser avec l’emprisonnement des hommes de presse et des hommes politiques. »
Selon lui, il est hors de question d’accepter ces condamnations, aussi légères soient-elles. « Sursis ou pas : nous ne sommes pas preneurs. Nous dénonçons, avec la dernière énergie, ces décisions qui tendent à instaurer la panique chez les chroniqueurs et les hommes politiques », lançait-il face à la presse.
Offense contre le chef de l’État, diffamation, discours contraires aux bonnes mœurs : l’arme fatale
Si les insultes sont souvent visées, traquées et poursuivies, la diffamation est l’autre arme fatale contre les intervenants dans l’espace public. Aujourd’hui, même un petit lapsus peut valoir la prison, que l’on soit journaliste, activiste ou homme politique. Et ce sont des responsables politiques de premier plan qui n’hésitent pas à ester en justice pour des déclarations parfois futiles, pour lesquelles un simple démenti ou une mise au point aurait pu suffire.
Dans l’affaire Bachir Fofana, il a été en effet question d’une intervention sur un marché public. Le journaliste avait en effet laissé entendre que le marché avait été donné à un homme d’affaires impliqué dans une affaire de corruption. Il l’a payé de sa liberté. Aujourd’hui encore, c’est le mystère autour des conditions de ce marché. La chronique avait rapporté que c’est le président de l’Assemblée nationale lui-même qui avait porté plainte. Pour une rare fois, un président de l’Assemblée nationale porte alors plainte contre un journaliste qui n’a fait qu’évoquer l’attribution d’un marché public.
Ces plaintes des plus hauts responsables de l’État contre des citoyens commencent à devenir une habitude. On a l’impression que certains sont juste sur les réseaux sociaux, suivent les différentes émissions, pour guetter la moindre inexactitude dans le propos de ceux qui sont considérés comme adversaires au régime.
Les plaintes des organismes publics : une épée de Damoclès pour intimider tout le monde
Le dernier en date, c’est le cas de Pape Mahawa Diouf, placé avant-hier en garde à vue suite à une plainte de l’Agence sénégalaise d’électrification rurale (ASER). Dans un communiqué publié le 18 septembre 2025, la structure annonçait avoir déposé une plainte en réaction à des propos tenus par l’ancien coordonnateur de la cellule de communication de BBY. Il est reproché à ce dernier d’avoir affirmé lors de son passage à l’émission Faram Facce, diffusée le 17 septembre sur la TFM, qu’un détournement de 37 milliards de francs CFA avait eu lieu au sein de l’ASER.
Pourtant, le responsable de l’APR n’est pas le seul à s’interroger sur l’utilisation de ces 37 milliards FCFA. Seulement, il a parlé maladroitement de détournement alors que jusque-là, l’accusation faisait état surtout d’une avance de démarrage qui aurait été décaissée sans le respect de la législation en vigueur et dont l’utilisation suscite des interrogations.
Cela dit, il faut noter que dans cette affaire de traque contre les délits d’opinion, les autorités judiciaires s’efforcent de ne pas différencier les partisans du pouvoir de ceux qui sont hostiles au régime. Hier, c’était au tour d’un certain « Lamiñu Daaru » – militant de Pastef – d’avoir son tour à la cyber. Lui aussi a été placé en garde à vue. Avant lui, il y a eu Kairé, Azoura et d’autres qui sont passés à la cybersécurité avec des fortunes diverses.
Ils peuvent tout de même s’estimer heureux, car contrairement à certains détracteurs du pouvoir envoyés en instruction, eux ont été rapidement jugés et ont pu recouvrer la liberté. Pendant ce temps, Abdou Nguer, Badara Gadiaga… attendent toujours d’être édifiés sur leur sort.
La justice n’épargne personne dans la répression
Face aux députés, pour justifier ce durcissement de la politique pénale, le Premier ministre rappelait les dispositions de l’article 10 de la Constitution qui précise : « Chacun a le droit d’exprimer et de diffuser librement ses opinions par la parole, la plume, l’image, la marche pacifique, pourvu que l’exercice de ses droits ne porte atteinte ni à l’honneur, ni à la considération d’autrui, ni à l’ordre public. »
Pour rappel, durant les périodes troubles également, entre 2021 et 2024 sous Macky Sall, il a été noté et dénoncé une politique hautement répressive contre la liberté d’expression. D’ailleurs, sur les centaines de détenus appartenant à Pastef, une bonne partie était poursuivie pour des délits d’opinion avant de bénéficier de l’amnistie.
Lors des assises nationales de la justice, des propositions avaient été faites pour enlever certaines incriminations de nature à étouffer la parole publique même responsable des citoyens. Un vœu resté encore pieux.
Par Mor Amar