L’utilisation politicienne et électoraliste de la réforme de l’Acte III de la décentralisation
La récente querelle entre la majorité et l’opposition sur la date de tenue des élections locales n’est pas fortuite et désintéressée. Elle cache des calculs d’épiciers politiciens et électoralistes.
Par des manœuvres dilatoires savamment entretenues, le gouvernement cherche à gagner du temps afin de pouvoir réviser le Code général des collectivités territoriales et procéder habilement à des découpages des collectivités territoriales pour redessiner la carte électorale.
Pour rappel, en mars 2013, le Gouvernement envisageait la refondation majeure de l’action territoriale de l’Etat, à travers le projet de réforme de la décentralisation. L’objectif général, visé par cette réforme, baptisée « l’Acte III de la décentralisation », est d’organiser le Sénégal en territoires viables, compétitifs et porteurs de développement durable. Compte tenu de sa complexité et de son contenu décisif pour l’avenir du pays, l’Acte III de la décentralisation devait être mis en œuvre progressivement en deux phases. La loi n° 2013-10 du 28 décembre 2013 portant Code général des collectivités territoriales est l’expression de la première phase de l’Acte III qui s’est déroulé dans le respect des limites territoriales actuelles des entités administratives concernées.
Un Comité national de pilotage de la réforme de la Décentralisation (Acte III) avait été créé (Décret n° 2013-581 du 29 avril 2013) pour superviser les travaux du Comité technique, des commissions thématiques et des cadres régionaux de partage de la réforme de la Décentralisation créés par arrêté du Ministre de l’Aménagement du Territoire et des Collectivités locales.
Que sont devenus tous ces cadres de concertation, de pilotage et de partage de la réforme ? Ont-ils été supprimés ou dissous ? Sont-ils devenus caducs ou obsolètes ?
Ils semblent avoir disparu de l’ordonnancement institutionnel. Dans le dernier décret de répartition des services de l’Etat, on ne trouve trace que d’une simple Unité de suivi de la réforme de l'administration territoriale et de l'Acte III de la Décentralisation rattachée au Secrétariat Général du Gouvernement (Décret n°2020-2100).
Qu’est-il advenu de la réforme elle-même ? Quel sort à été réservé aux résultats de « l’évaluation de l’acte III » ?
En début d’année, un arrêté (n° 1257 du 29 janvier 2021) du Ministre des Collectivités Territoriales, du Développement et de l’Aménagement des Territoires a créé un Comité technique chargé de la révision du Code général des collectivités territoriales et notamment : « de valider le rapport d’orientation méthodologique du consultant ; de proposer de modifications de la loi n° 2013-10 du 28 décembre 2013 portant Code général des collectivités territoriales ; d’examiner et de valider les projets de décrets et d’arrêtés d’application du Code général des collectivités territoriales proposés par le Consultant ; de proposer un projet de Code général des collectivités territoriales avec une partie législative et réglementaire ». Le Comité technique est présidé par le Secrétaire général du MCTDAT et ne comprend que des membres de l’administration centrale et quatre représentants des collectivités territoriales dont deux pour l’association des départements du Sénégal et deux pour l’association des maires du Sénégal (JORS n° 7402 du Samedi 27 février 2021 page 182-183).
D’une réforme ambitieuse qui se voulait inclusive et participative, on est passé à un saucissonnage électoral précipité, bâclé et vicié. Au début de ce mois de mai 2021, plusieurs maires de la région de Dakar ont été informés par les sous-préfets du redécoupage futur de leur commune suite à la décision du Président de la République « de réviser le découpage administratif de certaines circonscriptions administratives de la région de Dakar ». Les sous-préfets enjoignaient aux maires dans la même lancée de procéder à la convocation des conseils municipaux en procédure d’urgence pour donner leur avis sur le projet de réforme dans les plus brefs délais, conformément aux dispositions du Code général des collectivités territoriales.
Quelle est la machine infernale qui a entrainé l’emballement des autorités administratives et cette « réquisition » des conseils municipaux alors que depuis le 17 septembre 2020, lors d’une visite des zones inondées dans la commune de Keur Massar, le président de la République Macky Sall avait annoncé, sans étude ni enquête préalable, l’érection de ladite localité en département ?
Cette précipitation et cette course contre la montre peut se comprendre si on analyse la question de la date des élections locales au regard des dispositions de l’article 2 du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance qui stipule que « aucune réforme substantielle de la loi électorale ne doit intervenir dans les six (6) mois précédant les élections, sans le consentement d’une large majorité des acteurs politiques ».
Or avec la proposition contestée du gouvernement d’organiser les élections locales en 2022, la manœuvre vise clairement à prolonger opportunément la « périmètre de légalité » des six mois et empêcher tout consensus avec l’opposition qui campe fermement sur la possibilité de tenir les élections locales en décembre 2021.
Le droit de vote et le principe de libre administration des collectivités territoriales proclamés par la Constitution se retrouvent piégés par les considérations politiciennes d’un pouvoir hanté par la défaite électorale.
MOHAMED AYIB DAFFE
Coordonnateur du Mouvement IDEAL