Autoritarisme et Atavisme
Les événements qui se sont déroulés à l’Assemblée nationale s’inscrivent dans le registre de la montée vertigineuse de l’autoritarisme dans tous les secteurs institutionnels de notre pays, sous le couvert de l’alliance partisane la plus large, mais la plus friable. Le président de l’Assemblée nationale, Moustapha Niasse, qui apparaît de plus en plus comme le verrou de ce condominium multipartite, vient de franchir le Rubicon qu’il se traça à ses jeunes années. Fraîchement nommé directeur de cabinet du président Senghor, il refusa de gérer les fonds politiques. L’arbitrage du Premier ministre de l’époque, Abdou Diouf, n’y changea rien et les fonds politiques furent confiés à Mamadou Diop, Secrétaire général de l’époque. Au bout du compte, le plus riche sera quand même Moustapha Niasse, dans un contexte où l’appareil socialiste sur quarante ans sélectionnait les millionnaires, hormis les aventuriers à haut risque du diamant, Hal pulaaren pour la plupart.
Ce n’est pas que la vigilance du duo Abdou Diouf et Ousmane Tanor se soit relâchée en ce qui le concerne. C’est juste qu’ils avaient sous-évalué l’ambition et la longévité politique de leur plus dangereux rival dans le parti hégémonique, donc dans la course au pouvoir suprême d’Etat : «A moi le pouvoir, à lui l’avoir», a dû penser Abdou Diouf, en guise de consolation. Et en fait, Moustapha Niasse ne fût jamais constant en quêtant le pouvoir, mais en restant à sa périphérie, pour éviter le sort d’un Babacar Ba, pour ne citer que son «pays» du Saloum. Président de l’Assemblée nationale sur le tard, il se convertit en dogmatique de l’opacité dans la gestion pour le compte du libéralisme triomphant. Nous ne saurons de l’utilisation du budget et des fonds politiques de l’Assemblée nationale que ce qu’il voudra bien nous en dire, dans l’enthousiasme de sa reconduction disputée à la présidence : «Payer les dettes des députés, leur construire un nouvel hôtel» et autres libéralités.
Car même si les libéraux dispersés n’ont plus la majorité à l’Assemblée nationale, celle-ci est désormais d’orientation libérale et droitière, même si, campant dans son ambiguïté doctrinale de social-démocrate enrichi, Moustapha Niasse n’a pas opéré une conversion idéologique. A lui et à Tanor, le flou idéologique d’une alliance se référant au Yoonu Yokkute suffira jusqu’à ce que les chemins des ambitions présidentielles divergent. N’en ayant apparemment plus, Moustapha Niasse ne se préoccupe que de gérer dans l’opacité et de couvrir toutes les inepties parlementaires pour le prix de sa reconduction : des véhicules et de l’essence comme si les députés devaient faire le tour du Sénégal et camper dans les savanes. Mais en même temps, des hôtels comme si la parité devait être un corporatisme matrimonial. Et puis encore des lots de terrains comme s’ils accédaient à la majorité dans une famille d’adoption. Les mêmes députés ainsi comblés se révèlent pourtant inaptes.
Il faudra donc d’innombrables séminaires et des cycles de formation pour leur apprendre leur fonction comme on apprendrait mal un métier. Et pourtant, l’auguste assemblée a moins de soucis avec ses parlementaires déclarés sous doués qu’avec ceux qui, comme Cheikh Diop Dione, crèvent le plafond de leur compétence. Sa candidature contre celle de Moustapha Niasse au perchoir lui vaut d’être suspendu pour 36 mois de son groupe parlementaire par une procédure plus autoritaire qu’administrative et réglementaire assumée par le président du groupe parlementaire de l’alliance vermoulue. Ce fait sans précédent, sans doute, dénote des rapports d’une violence inouïe au sein du parti présidentiel qui ne peut bénéficier qu’à ses alliés dans une moindre mesure et plus encore à l’opposition. La charge en la circonstance de Moustapha Cissé Lô contre Cheikh Diop illustre ce fait d’autant mieux que le vice-président Cissé Lô théorisait l’illégitimité de Niasse, il n’y a guère.
La suspension de Cheikh Diop Dione tout comme la destitution envisagée de Mame Khary Mbacké pour cause de démission supposée du parti présidentiel, combinées avec la constitution d’un autre groupe parlementaire se réclamant du même parti, va poser une sérieuse équation au pacte intime entre Macky Sall et son allié le plus sûr. Apparemment, les députés récalcitrants se révèlent plus aptes à conceptualiser leur position que la moyenne des élus au bureau de l’Assemblée nationale, ce qui pourrait être une source légitime de frustration. Certains qui se sont prévalus à tout bout de champ de la proximité du chef de l’Etat lors de cette période tumultueuse de renouvellement du bureau, ont soumis à rude épreuve le principe de séparation des pouvoirs. Mais surtout, le contexte ambiant de son alliance avec les autres candidats pas tout à fait malheureux de la dernière présidentielle a révélé un président faible sous un régime de présidentialisme originellement fort.
Les actes autoritaires posés par les deux «Moustapha», présidents qui de l'Assemblée nationale, qui du groupe parlementaire majoritaire, relèvent de l'atavisme : le premier évoque la geste du «Samba Lingeer», le second celui du tyran local, qu'il soit Damel, Buur ou Brack, quoique leur culture propre fusse autre. C'est qu'au Sénégal, l'exercice du pouvoir est de plus en plus brutal, compte tenu de la fascination du modèle «ceddo» que nous a légué l'histoire ou, du moins, la perception que nous en avons. Alors que l'exercice du pouvoir en république devrait se rapprocher le plus du modèle maraboutique, le Serigne étant le pendant du maître d'école, au sens où les Tanzaniens l'avaient compris en surnommant le président Julius Nyerere «Mwalimu» et où Senghor s'astreignait à le demeurer. Abdou Diouf restait l'administrateur austère et Abdoulaye Wade le nuancé entre ses diverses professions. Quel style pour Macky Sall pour soulever le poids du passé, condition première de la rupture ?