L'engrenage de la discorde
Le Président Macky Sall s'étonne tout haut de ne pas être soutenu par certains secteurs, les syndicats notamment sur de grands dossiers comme les Recommandations des concertations sur l'Enseignement supérieur, l'Audit de la Fonction publique et la mise en terme des logements conventionnés. Néanmoins, il affirme une détermination sans faille à venir bout à bout des résistances : «Tout le monde veut le changement mais quand on engage les ruptures, on a de la résistance.
Mais cela ne nous fera pas reculer.» Il clame donc sa volonté de confrontation en citant les 3 axes de résistance que sont les segments les plus éminents de conception et de l'administration du pays : l'Université, la Fonction publique avec une aile marchante inattendue dans la fronde, la magistrature. L'évocation de syndicats en cette circonstance est sans doute une incongruité ou à tout le moins un anachronisme.
Les syndicats sont en effet les vestiges de l'époque du marxisme triomphant où la classe ouvrière, désormais sortie du champ de conception et de direction des luttes sociales, s'exerçait à la grève. Aujourd'hui, la petite bourgeoisie urbaine de la haute administration, des sociétés nationales et des secteurs vitaux de la nation s'est substituée à elle.
La détermination du président est-elle de bon aloi dans un contexte international nouveau où la gouvernance démocratique, réévaluée par les puissances occidentales, ne s'accommode plus de la durée institutionnelle des mandats présidentiels pour peu que la rue veuille les abréger ? L'Egypte et la Turquie sont sous ce rapport des exemples patents : le désaveu de l'Occident ne s'est pas limité à l'islamiste modéré arabe jugé outrancier mais menace aussi le turc modéré qui rêve d'entrer dans l'Union européenne pour peu que son opposition soit jugée plus accommodante.
Pour le Sénégal où toutes les tendances alliées au gouvernement sont peu ou pro-occidentales, une lutte pour le pouvoir pourrait tourner à la déconfiture du Président Macky Sall. La France en effet, la puissance de tutelle la plus opérante et la plus influente, soutiendrait plus volontiers le Parti socialiste dont les cadres donnent de la voix plus souvent dans un sens antagoniste que de soutien au Président. L'allié supposé du Président Macky Sall, les États-Unis, quoique la puissance la plus déterminante du monde, a toujours eu une politique de déférence envers la France pour ce qui concernait ses anciennes colonies, ce qui devrait le confiner dans l'expectative.
Au moment où le Président Macky Sall décline la gouvernance vertueuse et la nécessité des ruptures sur le ton d'un État fort, force est de constater que l'actuelle alliance gouvernementale a non seulement affaibli l’État par ses tiraillements mais encore que le parti présidentiel est le maillon le plus faible de cette alliance. Les divisions internes y sont plus intenses et plus visibles et pour cela, les conséquences devraient en être les plus meurtrières.
A peine le deuxième Premier ministre de la deuxième alternance installée, des voix polyphoniques se sont élevées pour, selon des pratiques antiques féodales, miner son siège en la posant en future présidente sur un ton faussement admiratif ou en conspiratrice comme l'y prédisposerait une certaine culture politique d'essence trotskiste.
Moins fines, les interventions intempestives sur la question du député El-Hadj Diouf, suggéreraient que ses plus fervents pourfendeurs sont issus du bassin arachidier, son fief d'origine, même si son nouveau fief électoral serait plutôt dans la banlieue dakaroise. Les théoriciens de cette rupture annoncée nourrissent une presse à sensation et à thèse de cet événement attendu comme une certaine allégation d'une dévolution monarchique ou dynastique qui secoua l'ancien régime jusqu'à sa tombée.
Comment un régime assis sur une fondation aussi friable que l'alliance gouvernementale qui compte ses jours, des partis alliés qui se défient les uns les autres et qui se déchirent dans des luttes internes, peut-il forger un appareil d’État à la hauteur des défis qui se sont imposés à lui ? Et qu'il s'est imposé dans son élan volontariste de satisfaire des ruptures supposées qui n'ont fait l'objet d'aucun consensus.
La recherche du consensus n'est d'ailleurs pas le penchant de l'alliance gouvernementale au vu de la manière dont la baisse des loyers dans la zone de Dakar a été annoncée solennellement dans le message du nouvel an du chef de l’État. La thèse de l'Etat garant des intérêts de toutes les couches de la nation, donc impartial que seule la doctrine marxiste de l’État de classe, l’État ouvrier en l’occurrence, contredisait, a pris un sacré coup avec la décision présidentielle.
C'est un parti pris sans ambages pour les locataires contre leurs logeurs qui va générer des conflits d'une indicible intensité avec des répercussions sociales incontrôlables. Si l'initiative était d'essence sociale, la question pertinente qui se poserait serait de savoir laquelle des deux couches de la population dont on oppose les intérêts, les locataires et leurs logeurs, compte le plus de veuves et d'orphelins ?
D'autres initiatives spontanées et apparemment généreuses sont tout aussi discutables quant aux critères de distribution de sommes d'argent alors que d'autres qui demandent le fruit de leur travail sont livrés à la furie des unités mobiles d'intervention de la police ou de la gendarmerie. La question nationale reste non résolue alors que des pays africains se déchirent entre ethnies et religions différentes.
Les interventions militaires des grandes puissances échappent désormais à leur propre contrôle et de loin en loin nos soldats tombent, «sur le champ d'honneur», nous dit-on alors qu'aucune guerre civile n'est une cause sacrée. Même devrait-on en convenir, aucune guerre n'est plus sacrée à l'ère postmoderne où les fils des colonisés franchissent l'océan pour trouver leur bonheur dans les pays anciennement conquérants.
Les guerres se menaient aux frontières pour défendre la patrie, elles se mènent aujourd'hui au sein même des nations et aucune ne peut songer y échapper si les tensions communautaires perdurent. Pensons-y avant que des forces multinationales à tous crins viennent s'interposer entre nous parce que nous aurions perdu les vertus qui fondèrent notre nation, la quête de la paix sociale, de la paix civile et de la paix tout court.