Publié le 19 Jul 2012 - 11:28
LA CHRONIQUE DE MAGUM KËR

Les avatars du 2ème pouvoir

 

L’illusion qu’un nouveau type de député pouvait émerger de l’Assemblée nationale en voie d’être installée avait été entretenue par des activistes dits de la société civile, au détour de la défaite de la manipulation législative du 23 juin. Cet espoir d’évolution démocratique reposait sur deux faux postulats que le député pouvait être un facteur individuel important en dehors de l’institution parlementaire et qu’une fronde de rue passagère pouvait changer son mode de comportement ainsi que son rapport à la hiérarchie de son parti, au pouvoir exécutif et aux institutions de la République. Toute l’histoire du parlement évoque plutôt une dévalorisation progressive du député et la domestication du deuxième pouvoir.

 

La dévalorisation du député va de soi quand l’indépendance acquise le décharge du rôle prodigieux rempli par Blaise Diagne, député du Sénégal, élu par les seuls ressortissants des quatre communes mais représentant tout le territoire, et plus tard sous le vocable de premier député noir, des peuples de toutes les possessions françaises en Afrique et de la diaspora. Son action en faveur des citoyens des quatre communes amènera le lieutenant-gouverneur général à avertir sa hiérarchie dès 1914 : ''L’opposition que l’on rencontre chez les natifs des quatre communes a, depuis l’élection d’un député de leur race, pris une forme plus nette qui deviendrait un réel danger par l’exemple déplorable qu’elle donne aux autres races voisines…''

 

Après 20 ans de règne sans partage, Blaise mourut au pouvoir, un pouvoir sans doute plus étendu qu’un président de la République actuel, compte tenu des réalités d’une période très dure à laquelle il devait faire quelques concessions. Après Ngalandou Diouf qui lui succéda en 1934 et dont la seconde guerre mondiale abrégea le mandat, Lamine Guèye mit fin à la saga du député solitaire en prenant un colistier nommé Léopold Sédar Senghor et étendit la citoyenneté aux autres Africains. Son expérience le prédisposa à être malgré sa défaite politique face à Senghor, le président de l’Assemblée nationale sénégalaise jusqu'à sa mort en 1968.

 

Entre temps, la brève Fédération du Mali qui unit le Sénégal à l’ancien Soudan Français donna un singulier relief à l’institution parlementaire : Lamine Guèye en était le président de l’Assemblée fédérale alors que Léopold Sédar Senghor n’était que le président de l’Assemblée nationale du Sénégal. Une certaine presse aurait dit qu’il était en embuscade : la partie sénégalaise voulait l’imposer président de la Fédération au détriment de Lamine Guèye, favori des Soudanais. Détail important, quand André Guillabert opposa sa candidature à celle de Lamine Guèye, ce sont les anciens du Bloc démocratique sénégalais qui lui demandèrent après concertation de la retirer, certainement pour ne pas rouvrir les vieilles querelles avec les anciens de la Section française de l’internationale ouvrière (Sfio) de Lamine Guèye.

 

Si l’éclatement de la Fédération du Mali intervient suite à un coup de force militaire, la crise de décembre 1962 sera résolue d’abord par le vote de la motion de censure par l’Assemblée nationale. L’Assemblée nationale étant en pleine session budgétaire, le groupe parlementaire du parti unique fit part, lors de sa réunion avec le gouvernement, du fait qu’en procédant par décret à des virements de crédits de chapitre à chapitre, il modifiait le programme que le parlement avait approuvé. Les ministres Valdiodio Ndiaye et Ibrahima Sarr s’en offusquèrent et les menacèrent d’une autre réunion à laquelle prendrait part le président Dia qui les ferait rentrer dans leur coquille.

 

Loin de rentrer dans leur coquille, les députés s’organisèrent, lors d’une réunion présidée par Me Lamine Guèye, au cours de laquelle les députés Abbas Guèye, Ansou Mandian et Maguette Lô firent des interventions ciblées contre le maintien de l’état d’urgence, l’action de fractionnement du parti par le gouvernement et le viol des libertés fondamentales dont le moindre n’est pas l’interdiction faite à l’Assemblée nationale de se réunir. Décontenancé, c’est ce jour que le Président du Conseil commença à perdre le pouvoir, ses partisans n’ayant pas axé les contradictions sur les options fondamentales entre l’aile gauche et l’aile droite du parti mais plus sur la suprématie du parti sur l’État et de l’Exécutif sur le Législatif.

 

Le triomphe de Senghor sur Mamadou Dia n’a pas renversé cette dernière tendance mais l’a enrobée d’une constitution présidentialiste avec dans les faits un président réélu plusieurs mandats de suite sans concurrent jusqu’en 1978. Ce qui n’a pas empêché cependant l’Assemblée nationale de légiférer et de discuter les grandes orientations politiques avec des ondées d’éloquence d’un Boubacar Seck sur les questions de paix et de droits de l’homme ou des représentants des régions orientales avec des accents des tribuns de l’Union démocratique soudanaise. Puis vinrent les sessions moroses qui votèrent et adoptèrent les nouvelles politiques, le licenciement de milliers de policiers et la réduction des salaires des fonctionnaires et la déstabilisation des présidents dont le charisme portait ombrage au chef de l’Exécutif.

 

Le multipartisme n’a pas amélioré la situation du parlement sénégalais car à ses meilleurs jours où des groupes parlementaires ont essaimé, ils n’ont jamais réussi à déposer une quelconque motion de censure contre la politique gouvernementale comme si celle-ci était au-dessus de tout reproche. Au contraire, l’alternance a porté un rude coup à la crédibilité du parlement lors de la réforme constitutionnelle. Le président aurait dû se donner les moyens de lui faire jouer son rôle constitutionnelle en la transformant en Assemblée constituante. Mais là encore, la véritable vocation désormais dévolue à l’institution se dévoilait peu à peu : la régression démocratique et le bêtisier de l’élu voué à une vie de sybarite au frais du contribuable.

 

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