Passeport de commerce extérieur
L’actualité concomitante de l’établissement des passeports diplomatiques aux femmes de députés et l’application de la réciprocité en matière de délivrance des visas avec les chancelleries occidentales, posent l’équation difficile du rapport du Sénégalais à l’extérieur. L’attribution des passeports diplomatiques est liée aux fonctions exercées. Son extension aux femmes de députés, fruit d’un élan de générosité du chef de l’État, révèle l’excessif élargissement des privilèges liés à des fonctions électives à leurs familles. Le passeport diplomatique, attribué aux simples députés, est en soi un acte de mal gouvernance au vu du taux d’absentéisme aux sessions de l’Assemblée nationale qui ne sont pas à risque ou à enjeu pour l’exécutif, obligé qu’il serait alors de mobiliser sa majorité.
C’est une revendication satisfaite des députés, nous dit-on, pour donner une onction laborieuse à une faveur accordée aux couches parasitaires de la classe politique qui ne suent pas beaucoup dans leur univers climatisé, au détriment des revendications des travailleurs qui paralysent par à-coups l’Éducation nationale et la Santé pour ne pas dire plus.
Cette revendication d’alcôve est sans doute sans frais budgétaire mais cette faveur de l’exécutif au législatif à des relents de subornation, une de plus me dira-t-on. Le ministre des Affaires étrangères, en bon diplomate, n’est pas tombé dans le piège d’un débat oiseux sur les effets induits de la polygamie des députés : ''La polygamie n’est pas interdite par la loi.'' Il ne lui reste qu’à croiser les doigts pour que cette débauche de passeports diplomatiques n’internationalise les problèmes de couples et les pugilats de députés des deux sexes qui meublent la presse à scandales.
Car si les Sénégalais de l’extérieur ont bonne presse dans leur pays de résidence au point d’avoir attiré l’attention des autorités qui leur ont même consacré un département ministériel, les Sénégalais de passage ou clandestins ont mauvaise presse. Ils sont en passe de détériorer nos relations exemplaires et séculaires avec le Maroc. Les exploits des Sénégalaises à l’étranger, même lors des pèlerinages à La Mecque, affleurent parfois malgré le manteau de pudeur dont les tractations diplomatiques tentent de les recouvrir.
Pour peu que nos futures grandes voyageuses confondent le passeport et l’immunité diplomatiques et la statistique des affaires à dénouer par les différentes chancelleries sénégalaises à l’étranger connaîtraient une hausse vertigineuse.
L’envahissement de l’Europe par nos pirogues, certainement inspiré du départ des bateaux d’immigrants italiens pour les États-Unis et imposé par les mêmes conditions de précarité, a amené les ambassades d’Occident à se barricader et à imposer des conditions draconiennes d’obtention du visa.
Si elle avait été une riposte simultanée, la règle de la réciprocité, instaurée sur le tard par les autorités sénégalaises, aurait pu être dissuasive. Le fait de l’avoir laissé perdurer a ancré dans les esprits ce qui n’est peut-être pas une réalité : Nous aurions plus besoin de l’Europe que l’Europe a besoin de nous. Il reste à évaluer l’impact positif de cette mesure sur nos finances, sur le tourisme et les affaires et sur la politique d’immigration des pays de destination des pirogues de fortune venant de nos côtes.
En tout état de cause, les deux mesures montrent une certaine fascination de l’extérieur du Sénégalais, quelle que soit sa condition sociale. La jeunesse pour l’Europe, mais eux-mêmes ont deux projets têtus après leur succès dans leur pays d’accueil, bâtir une maison pour leurs parents et les emmener à La Mecque, rêve de tout musulman sénégalais.
Jusqu’ici, les Sénégalais avaient bonne presse à l’étranger mais la crise en Europe va de plus en plus agir sur la capacité de tolérance des ressortissants des pays de transit ou de destination. Le défi pour le Sénégal sur le chapitre de la réciprocité dans les relations bilatérales, parallèlement à sa nouvelle politique d’immigration, devrait peut-être consister à retenir ses propres concitoyens dans les limites de ses frontières.
Telle que formulée, la politique du nouveau régime devrait trouver à employer les jeunes dans de vastes projets de développement. Une réorientation nationaliste accentuée par les revers économiques de l’Europe devrait pouvoir les convaincre de s’investir, par exemple, dans l’agriculture quel que soit le schéma, l'exploitation des champs de leur terroir ou emploi dans les espaces concédés à l’agro-business.
Sinon, ce ne serait pas un mauvais procès que de dire du Yoonu Yokkute qu’il n’est à ce jour opérationnel que pour les députés de la majorité de gouvernement appelés à financer le commerce international de leurs femmes avec des moyens d’État dont le plus visible est le passeport diplomatique extra-parlementaire dont elle seront désormais dotées, au sens littéral du terme. Comme quoi les solutions du développement national sont endogènes, celles de l’enrichissement individuel sont exogènes.