Un régime de terreur ?
L’anecdote vaut la peine d’être racontée. Une fois évincé du pouvoir, le président Abdoulaye Wade qui ne s’y attendait pas trop, est devenu le plus célèbre Sans Domicile Fixe du monde. Son premier point de chute a été la maison de son petit-neveu Lamine Faye. Une fois dans l’imposante demeure, Me Wade ne cessait de contempler le luxe des lieux. Et puis un beau jour de son bref séjour, d’un air sévère, il interrogea son entourage : ''Vous me confirmez bien que cette maison appartient à Lamine Faye ?'' Après la réponse affirmative, il décréta qu’il quittait les lieux : ''Je n’y passerai pas un jour de plus.'' Le fait est crédible même s’il demande à être confirmé.
Son prochain point d’accueil est la non moins luxueuse maison de son dernier ministre des Affaires étrangères, libéral de profession libérale, pouvant mieux justifier ses possessions immobilières. A ce stade, la question est pertinente de savoir pourquoi Me Wade, plus anciennement libéral dans la même profession libérale et la fonction ministérielle, n’avait pas autant de biens immeubles au point de se trouver aussi dépourvu quand la chute fut venue ? L’ancien président Abdou Diouf et son prédécesseur qui étaient à peu près dans le même cas, avaient un salaire de haut-fonctionnaire très différents des moyens astronomiques de la classe politique libérale et avaient toujours été logés par l’État.
Il est difficile de prendre Me Wade sur le fait d’une dépendance financière personnelle à l’État : pourquoi, par exemple, n’a-t-il pas le réflexe de demander à être logé par l’État pendant la période de réfection de sa maison du Point E ? Il explique par ailleurs comment il a décliné l’offre faite par l’ancien président Senghor de prendre les logements de Fann en sa qualité de membre du Club nation et développement. Se souvient-on d’ailleurs qu’il ait jamais occupé un logement administratif ? Il a préféré loger dans la villa prêtée par son ami le magistrat Abdoul Aziz Ba qui vient de nous quitter, pendant 4 ans : celui-ci a refusé la location qu’il voulut payer en lui rappelant qu’il avait pris l’avion à ses propres frais pour le défendre lors des procès politiques de Mauritanie en 1966.
La définition qu’il a donnée lui-même ''je suis généreux'' en répondant à une question lors de sa récente conférence de presse est plausible. La compréhension de la geste de Gorgui laisse entrevoir un ''opérateur politique'' selon le concept de Mademba Sock qui ne lui est pas adressé particulièrement, c'est-à-dire à mon sens, un homme qui investit en politique d’abord ses propres moyens pour entretenir ses cadres et ses militants, allant jusqu’à leur assurer la dépense quotidienne. Les premiers subsides sont venus de l’Internationale libérale, puis les allocations parlementaires et en même temps de la presse que ce soit celle du parti ou du secrétaire général.
L’Histoire dira à quel moment d’autres hommes ont financé les activités du parti quand le trésor de guerre de Me Wade a fondu comme neige au soleil. Et aussi comment, après la victoire de l’an 2000, il lui a fallu continuer à entretenir sa clientèle politique et ristourner les dividendes de certains investisseurs avec les postes politico-administratifs. Les audits pourront circonscrire l’ampleur d’un éventuel pillage systématique du Trésor public et établir le degré de participation des différentes responsabilités. Le cas de l’Autorité de régulation des télécommunications et des postes (ARTP) semble prêcher d’exemple en s’appuyant sur des faits dûment circonstanciés.
La sérénité naturelle du président de la République donnerait de la crédibilité aux décisions de justice qui découleraient d’une procédure aussi rigoureuse que celle menée par le nouveau Directeur général de l’ARTP. Les accusations à l’emporte-pièce et la citation directe par voie de presse des barons de la première alternance peuvent instaurer un régime de terreur de fait, comme le suggèrent certains partis et coalitions de partis dont les leaders ont reçu des appuis financiers soutenus, sur une longue durée, de l’ancien président avant et pendant qu’il était au pouvoir, comme si les sommes reçues ne provenant pas des fonds publics les dédouanaient non seulement de toute poursuite mais aussi de toute complicité.
L’atmosphère de chasse aux sorcières est aussi peu propice à l’organisation correcte d’un scrutin serein et sincère. Pour exemple, si les véhicules appartiennent à Maître Wade qui, comme de bien entendu, les a achetés pour des motifs de propagande politique, l’État a les moyens de se faire une religion les concernant. Sinon, rien ne pourrait empêcher de penser que leur mobilisation obéit à un calcul politique qui serait de priver l’adversaire de moyens logistiques pour sa campagne électorale. La même psychose insurrectionnelle qui a prévalu pendant l’élection présidentielle ne saurait perdurer après avoir détruit des vies humaines sur la base de présomptions démenties par les faits.