Entre passion, défis et évolution
Le Sénégal sera représenté, lors d’une compétition à Accra, le 27 octobre prochain, par une génération de jeunes danseurs qui naviguent dans un environnement souvent dépourvu de structures de soutien. À travers les récits de danseurs issus de l’époque 2000 à cette année 2024, un voyage nous est conté, fait de défis, de résilience et d'espoir.
Aujourd'hui, le break dance sénégalais a parcouru un long chemin. Les danseurs de la génération pionnière ont tracé la voie pour les générations actuelles. D’après le B-boy Benji, ils ont toujours cherché à professionnaliser leur art. Pourtant, malgré cette évolution, un problème persiste le manque de soutien financier et structurel pour les artistes.
‘’La danse est un métier’’, rappelle avec insistance Ben Kassé allias Bendji qui dit faire partie de la génération 2000 qui a fait partie du groupe Med break, à l’époque Médina break. ’’Nous sommes de la génération parce que Tribal Dance était là avant nous. Autrefois, nous étions confrontés à des moqueries, certains passants nous demandaient : ‘Mais vous là, qui vous fait la lessive ?’’’ explique-t-il. Il rappelle que cela se faisait lorsqu'ils s'entrainaient à l'air libre.
Mais aujourd’hui encore, les danseurs manquent de subventions, d'espaces d'entrainement adéquats et de soutien médical en cas de blessure. On manque de soutien, nous avons voulu faire de cet art notre métier, mais il est mal financé, souligne-t-il.
‘’On a galéré, on dansait avec des bouteilles de lait, on n’avait rien et pour avoir un peu d’argent, il fallait aller en chercher. On s’entrainait dans la rue. Mais les générations actuelles bénéficient de tous ces efforts’’, souligne B-boy junior Sénégal, Mohamed Abdara, acteur du mouvement.
Mais le manque de reconnaissance et de soutien n’empêche pas l’émergence d’une nouvelle génération plus libre, plus ouverte à l’international. ‘’Cette génération bénéficie d'une meilleure visibilité à l'étranger. Nous représentons fièrement le Sénégal, nous confie le B-boy Amadou Tamba gagnant de la formation de break dance qui s’est tenue à Blaise Senghor hier.
La force et le flow : ce qui manque
D’après les anciens du milieu, les danseurs sénégalais possèdent une qualité qui les distingue. C’est la force et l'énergie dans leurs mouvements. Cependant, ils notent qu'il manque un élément crucial pour rivaliser pleinement avec leurs homologues internationaux. ‘’J’ai regardé les ateliers. On est bons danseurs, mais il y a un truc qui manque, c’est le flow. C’est-à-dire, quand tu danses, on a l’impression que c’est du papier dans le vent’’.
D’après Benji, ce terme qui désigne la liberté, la fluidité et la souplesse, permet à un danseur d'enchaîner les mouvements avec aisance. ‘’On a la force, mais on manque un peu de flow’’, dit le vétéran de la scène qui estime que c'est souvent ce qui fait la différence lors des compétitions.
Ainsi, d’après le champion national du Sénégal Abdallah, les ateliers de danse organisés parfois avec des artistes internationaux comme Lilou ou d’autres B-boys sont des moments privilégiés pour les jeunes danseurs afin de peaufiner cette technique. Ces sessions d'apprentissage et d'échanges leur offrent l'opportunité d'améliorer leur style et d’y ajouter cette ‘’petite sauce’’ qui peut faire toute la différence.
L'avenir du break dance au Sénégal
Le rêve des danseurs est simple : voir la danse urbaine s'institutionnaliser et recevoir le respect qu'elle mérite. Avec des ateliers plus nombreux et un soutien accru des institutions culturelles, ils espèrent voir émerger une véritable industrie de la danse au Sénégal. D’après Adama, il n’y a qu’à Dakar où sont organisés des événements qui abordent le break dance. ‘’Je vis à Keur Massar. Je dois me lever tous les jours à 4 h pour venir assister à cette formation à Blaise Senghor et ce n’est pas évident’’, dit-il. ‘’Nous n’avons qu’un seul foyer d’entrainement à Keur Massar, nous n’avons pas d’équipement. Imaginez, si au cours d’une séance je me blesse, ce sera très compliqué de prendre en charge les dépenses parce qu’on n’est pas soutenu’’.
Pour les jeunes et les anciens, il s’agira également de garantir une autonomie financière aux artistes afin qu'ils puissent se concentrer sur leur art.
Cependant, malgré les obstacles, la fierté est palpable. Les danseurs sénégalais continuent de porter le flambeau avec fierté et détermination. À chaque bataille, à chaque événement international, ils représentent leur pays avec passion et espèrent que, grâce aux efforts collectifs, les générations futures n'auront plus à se battre pour obtenir les conditions de base pour pratiquer leur art.
C’est dans ce sens qu’Amadou Tamba, le B-boy qui ira représenter le Sénégal, nous confie : ‘’Depuis 2019, je fais du break, matin et soir. Je ne fais que ça. Ça me fait trop plaisir d’aller représenter mon pays, parce que depuis des années j’y pense’’. Pour lui, son pays passe en premier : ‘’Je vais tout faire pour qu'on voie qu’au Sénégal, il y a du potentiel. La nouvelle génération doit être visible. J’ai appris toutes ces techniques auprès de nos grands du break et mon rêve est d’être champion du monde. Et je veux être aussi formateur pour former les autres générations.’’
Ainsi, le chemin parcouru par les danseurs sénégalais depuis les années 2000 est une véritable source d'inspiration. De la rue aux scènes internationales, ils ont prouvé qu'avec de la persévérance et de la passion, il est possible de surmonter des défis immenses. Et bien que la route vers une reconnaissance pleine et entière soit encore longue, il ne fait aucun doute que la danse urbaine continuera d'évoluer et de rayonner au Sénégal, portée par des générations de talents qui croient en leur art et en leur avenir.
THECIA P. NYOMBA EK OMIE