Que reste-t-il du mythe Wade?
Les temps changent au sein du Parti démocratique sénégalais. Le vieux lion est contesté et poussé à la retraite. Des analystes politiques se prononcent sur l'effondrement du mythe Wade et ses conséquences pour le Pds.
Dans le frontispice de son roman culte ''Le Monde s'effondre'', Chinua Achebe reprend ces vers du poète William Butler Yeats : ''Tout se disloque. Le centre ne peut tenir. L'anarchie se déchaîne sur le monde''. Si l'auteur nigérian voulait par là signifier la fin du mythe africain, celle d'une époque ancestrale enchanteresse, avec l'arrivée des missionnaires européens, au sein du Parti démocratique sénégalais (PDS), la réalité est tout autre. L'analyste politique Yoro Dia est sans fioritures, lorsqu'il affirme : ''C'est inévitable, le Pds va connaître plusieurs scissiparités''. La perte du pouvoir aura donc été fatale au PDS. Et là aussi, Abdoulaye Wade, poursuit l'analyste, en porte une grande responsabilité. ''Wade a raté sa sortie. Elle a été catastrophique. J'ai toujours dit que le dernier combat politique de Wade, c'était en 2007. Tout le combat qui lui restait, c'était pour l'histoire''. Ce que l'ancien président n'a jamais fait.
Selon Yoro Dia, la dislocation inévitable du Parti démocratique sénégalais est due à son architecture. Autant le fait que le parti a été bâti autour de Wade avait été une grande force permettant à Wade ''de traverser 27 ans d'opposition'', autant ''aujourd'hui, c'est devenu un inconvénient absolu''. Car, poursuit-il, ''si Wade s'effondre, le parti s'effondre''. Car ''le Pds est un parti unipersonnel'' et Wade en est l'épicentre. ''C'est la seule personne qui émerge, tout le reste, ce sont des godillots. Ils sont interchangeables''. Son départ étant inéluctable, compte tenu de son âge, l'analyste s'attend à ce que le parti ''vole en mille morceaux''. Car, assure-t-il, aucun parmi les responsables actuels au sein du parti ne pourra faire l'unanimité, même si la nomination d'un numéro deux s'impose : ni Pape Diop, ni Ousmane Masseck Ndiaye, Ousmane Ngom, encore moins Mamadou Seck, ou un Oumar Sarr qui vient d'être bombardé Coordonnateur général du PDS.
Le Mythe Wade
Le paradoxe dans la situation actuelle du Secrétaire général du PDS est analysé par Yoro Dia et Abdou Khadre Lô, Directeur général de Primum Africa Consulting. Selon Yoro Dia, le mythe Wade va demeurer, même s'il est contesté au sein de sa formation politique qu'il a créée et portée à bout de bras pendant des décennies. ''Wade ne représente plus grand-chose'', constate le journaliste. Abdou Khadre Lô note ''une perte de prestige et d’autorité''. Car, tant que Wade était président de la République, il nommait ''aux fonctions civiques et militaires''. ''Cette stature de chef d’État ultra dominant, usant et abusant de sa position, empêchait bien évidemment la multiplication des velléités de rébellion'', déclare Abdou Lô. Les contestataires ''étaient liquidés administrativement'', constate Y. Dia, en évoquant les déboires de Macky Sall et Idrissa Seck. Conséquence : il y avait ''un devoir d’obéissance'' des responsables vis-à-vis de Me Wade. Maintenant, l'épée de Damoclès n'étant plus, le journaliste déclare que ''Wade ne fait plus peur à personne. C'est un tigre en papier maintenant''. Sa volonté de porter au pinacle Oumar Sarr au sein du Pds est fortement contesté et son leadership publiquement et violemment foulé au pied. Ce qu'Abdou Lô constate en déclarant que ''la bataille pour la succession qu'Abdoulaye Wade n’a jamais voulu voir'', aura bel et bien lieu.
Toutefois, analyse Yoro Dia, ''historiquement, Wade va apparaître dans l'histoire comme celui qui a été à l'origine de l'alternance. Et également, celui qui a permis à l'exception démocratique sénégalaise d'exister''. Il est convaincu que s'il n'avait pas créé un parti d'opposition légal dans les années 70, on aurait pas parlé d'exception démocratique sénégalaise. ''Politiquement, le mythe s'est effondré, Wade a perdu une élection, mais il va avoir une grande place dans l'Histoire'', affirme-t-il.
Les futures échéances
Si comme le souligne le Dg de Primum Africa Consulting, ''la perte de cette toute puissance va désinhiber les lieutenants, libérer la parole et les initiatives rebelles'', il est à craindre pour les prochaines joutes électorales. Car poursuit-il, ''la confection des listes pour les législatives déterminera largement la vitesse à laquelle le parti se désintégrera ou tentera de survivre à la traversée du désert''. Selon Abdou Khadre Lô, ''Wade jouera encore, au moins jusqu’aux législatives, un rôle primordial et central au sein du PDS. Au-delà, de cette échéance, son influence déclinera inexorablement''.
Gaston COLY