Publié le 30 May 2025 - 17:50
SYSTÈME POLITIQUE

Le dialogue de la réconciliation

 

Réunissant opposants radicaux, anciens gouvernants, acteurs culturels et de la société civile, la cérémonie de lancement du dialogue a permis de revenir sur les vertus du dialogue, dont l'une des vocations principales devrait être de réconcilier les Sénégalais. 

 

Le dialogue est-il une perte de temps ? Selon les participants au Dialogue national réunis à Diamniadio, c'est plutôt un acquis important à consolider. C'est la conviction du président de la République qui est revenu sur la vertu du dialogue, surtout en temps de paix. “Ce dialogue nous enracine davantage dans la tradition continue de concertation et de préservation d'une paix sociale qu'il nous incombe de construire en permanence”, a-t-il soutenu lors de de la cérémonie de lancement le 28 mai. 

Pour cette première édition du Dialogue national sous son magistère, le chef de l'État a insisté sur l'option d'inclusion, pour définir la charpente institutionnelle et normative qui préfigure le système politique. “C’est toute la vertu d’un dialogue organisé en temps de paix, non pas donc pour juguler une tension sociopolitique stressante pour toute la collectivité, mais pour écrire, ensemble, des pages encore plus belles de notre récit politique national”, a plaidé le président Faye. 

Pour lui, les tensions qui ont traversé le Sénégal sont encore trop vivaces pour être oubliées. Sans distinction, il a tenu à s'incliner devant la mémoire de toutes les victimes, de l'indépendance à nos jours. “En ma qualité de président de la République, je m'incline avec respect devant la mémoire de toutes les victimes qui, de l’indépendance à nos jours, jalonnent le douloureux chemin de notre marche vers une démocratie achevée. J'exprime à leurs familles, à leurs amis et à leurs compagnons de lutte la solidarité de la Nation”, a affirmé Bassirou Diomaye Faye, non sans rappeler son rôle qui consiste “à tendre la main à toutes et à tous, pour rassurer, rassembler, apaiser et réconcilier afin de conforter la paix et la stabilité indispensables au développement économique de notre pays”.

Cette musique a trouvé un écho favorable chez la plupart des participants. Majorité, opposition, non-alignés, société civile, acteurs culturels, chefs coutumiers, tous ont chanté la réconciliation.

Pour Khalifa Ababacar Sall, il est temps d'ajouter un quatrième J au triple J du régime actuel. Il s'agit du “jubo”, c'est-à-dire la réconciliation. Selon lui, le contexte actuel est difficile pour l'opposition avec les interpellations, les arrestations, ce qui ne saurait rimer avec une gouvernance apaisée. C'est la raison pour laquelle, lance-t-il, “à côté du jub-jubal-jubanti, il faudra ajouter un jubo sincère et permanent, qui va permettre de dépasser les clivages, de pacifier les rapports, d'aller vers des réformes permettant une gouvernance apaisée et efficace”.

Embouchant la même trompette, la secrétaire nationale à la communication du Parti démocratique sénégalais a réaffirmé l'ancrage du parti de Wade au dialogue, avant de solliciter sa sincérité et sa durabilité. “Dialoguer, souligne Nafissatou Diallo, n'a de sens que si ça conduit à l'apaisement durable du climat politique et social. Il faut donc que ce dialogue dépasse les salles de conférence pour s'imprimer dans nos pratiques politiques quotidiennes. Pour ce faire, nous devons réapprendre à nous parler avec respect, mesure et sens de l'intérêt général, y compris en dehors des périodes de crise”. Une nation qui se parle dans l'invective, selon elle, ne peut faire face aux grands défis qui l'attendent. Madame Diallo a rapporté un message personnel de Wade, qui a insisté sur la nécessité de “réconcilier les Sénégalais”.

Au-delà du vœu de réconciliation et de stabilité, le dialogue, c'est aussi pour engager des réformes majeures pour renforcer le système politique et démocratique. L’histoire politique récente du Sénégal, selon le président Diomaye, nous commande de réformer pour la postérité, de réformer pour renforcer les acquis démocratiques et garantir davantage la stabilité de nos institutions. Cette histoire, indique-t-il, enjoint de réformer pour expurger du système électoral tous les germes de dissensions, notamment entre pouvoir et opposition.

40 points à l'ordre du jour du dialogue 

Le cumul de fonctions, régulation des sondages et des réseaux sociaux, articles 80 et suivants ; les autres points à l'ordre du jour du dialogue. 

Selon le président de la République, la démocratie sénégalaise ne peut, aujourd’hui, faire l’économie d’une réflexion sur plusieurs enjeux majeurs : la rationalisation du calendrier électoral ; la création d’une Commission électorale nationale indépendante ; le fonctionnement des organes chargés des élections ; l’accès et la gestion du fichier électoral ; la structuration et le financement des partis politiques ; le rôle de la justice ; la dématérialisation du processus électoral ; le statut de l’opposition ; l’inscription automatique des primo-votants ; la durée des campagnes ainsi que les modalités du parrainage.

En sus de ces points, les termes de référence prévoient : le vote des personnes en détention ; le bulletin unique ; l’audit du fichier électoral. Une liste qui a sensiblement été revue à l’issue des discussions de la première journée.

Ainsi, en ce qui concerne le premier axe, intitulé “Démocratie, libertés et droits humains”, il couvre notamment : le cumul de fonctions (chef de l’État et chef de parti, mandats d’élu local et fonctions administratives) ; la charte des partis ; la déchéance électorale prononcée uniquement par le juge ; l’exercice des libertés publiques (manifestations, réunions) ; la création éventuelle d’un Observatoire national de la démocratie ; la nature du régime politique ; la saisine du Conseil constitutionnel par les citoyens ; la révision des articles 80 et suivants du Code pénal ; la régulation des sondages et des réseaux sociaux ainsi que la protection de la société civile, des médias et la gestion des fonds politiques.

S’agissant du processus électoral, les participants aborderont : le bilan des consensus issus des précédents dialogues ; l’adoption du bulletin unique et ses modalités ; l’audit du fichier électoral ; l’effectivité du contrôle prévu par l’article L49 du Code électoral ; le vote électronique et par procuration ; les modes de scrutin aux législatives et aux territoriales. Il sera également question de la caution pour ces scrutins ; la participation des candidats en détention ; la parité dans les instances électives ; la conditionnalité de la caution avant la remise des fiches de parrainage ; le vote anticipé des forces de défense et de sécurité, des magistrats et des journalistes ; et l’institutionnalisation d’un débat programmatique en période électorale.

À propos des réformes institutionnelles, le dialogue se penchera sur la réforme du Conseil constitutionnel pour en faire une cour ; la place des cours et tribunaux dans le processus électoral ; les rôles et attributions des autorités en charge des élections (renforcement
des organes existants ou création d’un organe indépendant de gestion des élections) ; les attributions de l’organe de régulation des médias.

Les dossiers judiciaires : points de crispation 

Les opposants ont répondu massivement à l'appel du président Bassirou Diomaye Faye. La plupart ont fustigé les poursuites contre les opposants et autres leaders d'opinion. Pour Amadou Ba, ancien Premier ministre, il faut “un pacte national de pacification politique fondé sur la libération des détenus politiques, l’indépendance des médias et des procédures judiciaires justes et impartiales”. 

Mais malgré le contexte difficile qu'il a relevé, il a fait savoir que ce n'est pas une raison de ne pas s'assoir autour d'une table. “Plus le contexte est difficile, plus le dialogue devient une nécessité. Refuser de dialoguer, c’est entrer dans l’impasse. Y prendre part, c’est assumer ses responsabilités devant la Nation”, a-t-il insisté, non sans appeler à mettre un terme à certaines formes de poursuite. “Que vaut une démocratie où l’on arrête des opposants, où des journalistes ou des chroniqueurs sont convoqués, parfois détenus pour avoir fait leur travail ?”, s'est interrogé l'ancien Premier ministre. 

Dans le même sillage, Khalifa Sall a dénoncé “les arrestations, les interpellations et autres poursuites” contre les opposants. Le leader de Taxawu demande le respect des libertés, la libération des détenus et une reddition des comptes conduite de manière plus apaisée et plus civilisée.

Pour sa part, Anta Babacar Ngom a insisté sur la nécessité de réconcilier les Sénégalais. “Il est temps de changer de ton et d'abandonner les discours agressifs : la parole publique doit retrouver sa dignité ; le débat public assaini, purgé des injures et des insanités. Chaque parti doit assumer la responsabilité de maitriser ses militants. A défaut, la justice devra jouer son rôle dans toute sa rigueur”, a ajouté la députée non-inscrite. 

À propos de la justice, les opposants ont appelé à la mise en œuvre des réformes pour la rendre plus indépendante. Pour Amadou Ba, il est temps de tirer les leçons du passé, pour éviter de commettre les erreurs du passé, avec des audits et arrestations en cascade après chaque alternance, mais qui souvent manquent d'efficacité. “Nous devons engager des réformes pour mieux protéger le patrimoine de l’État, au-delà des régimes et des contingences politiques”, a-t-il soutenu.

L'APR lâché par ses ex-lieutenants et par ses alliés 

Que reste-t-il de l'Alliance pour la République et de ses rapports avec ses ex-alliés dans le cadre de la coalition Benno Bokk Yaakaar ? C'est presque toutes les pontes de l'ancien régime de Macky Sall qui ont répondu, avant-hier, à l'invitation du président de la République Bassirou Diomaye Faye. Parmi eux, on peut noter, en sus d'Amadou Ba et de ses amis comme Cheikh Oumar Hann qui avaient pris leurs distances depuis longtemps, de fortes personnalités comme Abdoulaye Daouda Diallo, Abdoulaye Diouf Sarr, Matar Ba, Abdoulaye Sow, Benoit Sambou. 

Interpellé, ce dernier est revenu sur les raisons de sa participation. “Notre présence se justifie par le fait que j'ai été invité en tant qu'ancien ministre, en charge aussi de la Commission nationale du dialogue des territoires’’. Rappelant que c'est le président Macky Sall qui avait institué le 28 mai comme la Journée nationale du dialogue, il a réitéré son ancrage pour les démarches concertées.

Sur l'absence de ses amis de l'APR, il rétorque : “Je ne saurais répondre à la place de l'APR, parce que j'ai été exclu depuis longtemps des instances. Je ne sais donc pas pour quelles raisons ils ne sont pas venus. Mais si j'avais été associé, je leur aurais dit que c'est une erreur.” 

Monsieur Sambou a rappelé que l'APR a eu à organiser différents dialogues dans des contextes marqués par des conflits politiques. “Le dialogue est un cadre naturel de règlement des conflits, des contentieux et de cohésion sociale. Quelles que soient les positions des uns et des autres, la politique de la chaise vide n'est pas une bonne démarche”, a-t-il souligné. Ce qui ne l'empêche pas d'être sensible aux épreuves de ses anciens collègues. “C'est dans ce contexte de dialogue qu'on a pu obtenir la libération de certains leaders, permettre à d'autres de participer à des élections. C'est aussi l'occasion de rappeler aux autorités, oui à la reddition des comptes, mais non au règlement de comptes”.

Outre les pontes de son parti, Macky Sall verra aussi la participation de ses ex-alliés dont Moustapha Niasse, Aminata Mbengue Ndiaye, le Parti démocratique sénégalais.

Les artistes dans la danse

Ils étaient nombreux, les artistes présents au lancement du Dialogue national. Issus presque de tous les domaines artistiques. Ndongo D, qui a porté leur parole, est largement revenu sur les vertus de l'art et sa place centrale dans la société. “L'art est un miroir qui reflète notre société avec ses grandeurs, ses douleurs, ses rêves. Mais il est plus que cela ; c'est un outil de transformation ; il éveille les consciences ; il ressemble. Dans les périodes d'instabilité, il canalise les tensions. Dans les temps de paix, il forge les mémoires et les identités”, a-t-il plaidé devant les participants.

“Ce que nous portons, a-t-il ajouté, va bien au-delà du divertissement. Nous sommes des lanceurs d'alerte, des éducateurs populaires, des entrepreneurs culturels, des créateurs de valeurs économiques et sociales. Nous ne voulons plus être à la périphérie des politiques publiques”.

Le rappeur de Daara J Family de saluer l'initiative du dialogue, en exprimant leurs attentes : “Ce Dialogue national est une opportunité, si nous voulons rebâtir la confiance, si nous voulons un Sénégal uni, alors la culture doit être un pilier central du nouveau contrat social”, soutient-il non sans plaider pour “un pacte culturel national”. 

Les religieux bénissent le dialogue 

Parlant au nom des chefs religieux musulmans, Cheikh Tidiane Sy est revenu sur l'importance du dialogue pour éviter certains conflits. Félicitant le président de la République pour sa démarche proactive, il déclare : “De plus en plus, nous voyons des discours violents et méchants dans l'espace politique. En tant que responsables, vous avez l'obligation d'encadrer vos militants. Nous appelons tout le monde à répondre au dialogue, pour exprimer leurs désaccords. Nous demandons à tout le monde d'être raisonnables et à faire preuve d'esprit de dépassement.” 

Pour sa part, le président du Conseil national du laïcat, Philippe Tine, est revenu sur la nécessité d'un dialogue sincère sans calcul politique, fondé sur la vérité. “Ce dialogue s'instaure dans un contexte où notre pays bruit du vacarme et du tintamarre ; de la haine de l'autre, des querelles partisanes et du piétinement des valeurs ancestrales. Tant la médisance et les injures tendant à avoir droit de cité dans l'espace public, dans les réseaux sociaux et même dans les cercles familiaux”, constate M. Tine avant de louer le dialogue qui, espère-t-il, sera une forme de thérapie aux maux dont souffre la société. 

 

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