Un homme de rupture ou de conflits ?

Waly Diouf Bodian, une figure à la fois énigmatique et controversée, incarne aujourd’hui l’archétype de l’homme de confiance devenu homme de pouvoir. Militant de la première heure de Pastef, l’inspecteur des impôts et des domaines est passé du statut de syndicaliste à celui de directeur général du Port autonome de Dakar (PAD), l’une des institutions les plus stratégiques du pays. Mais derrière cette ascension se cache un parcours semé d’embûches, de polémiques et de conflits, qui révèlent un personnage complexe, souvent critiqué pour ses méthodes autoritaires et son style peu orthodoxe.
Le prénom Waly, d'origine arabe, signifie ‘’sauveur’’ ou ‘’protecteur’’, une étymologie qui renvoie à une figure bienveillante, guidée par l'intérêt collectif. Il est également parfois un diminutif de Walid, qui signifie ‘’nouveau-né’’, symbolisant ainsi l’innocence et la pureté. Pourtant, lorsqu’on se penche sur le parcours et les méthodes de Waly Diouf Bodian, d'autres images s'imposent immédiatement à l'esprit.
Homme au teint noir, à la silhouette élancée et au regard perçant, presque immobile. Son visage impassible trahit une réserve naturelle, accentuée par son rire rare et son économie de mots. Toujours soigné dans son apparence, il oscille entre le costume strict et la chemise-cravate, affichant une sobriété calculée qui renforce son aura d’autorité discrète. Peu loquace, il préfère les silences aux discours, laissant souvent planer une impression de distance et de mystère.
Un militant aguerri, marqué par le bracelet électronique
Waly Diouf Bodian n’est pas un novice dans l’arène politique et syndicale. Ancien secrétaire général du Syndicat autonome des agents des impôts et des domaines (SAID), il a longtemps été un acteur clé des luttes syndicales au sein de l’administration fiscale sénégalaise. Mais c’est son engagement au sein de Pastef, le parti d’Ousmane Sonko, qui l’a propulsé sur le devant de la scène. Il a payé le prix de son militantisme : en mars 2023, il a été arrêté et placé sous contrôle judiciaire avec assignation à résidence et surveillance électronique, plus communément appelée "bracelet électronique".
Cette mesure, perçue comme une tentative d’intimidation par le régime de Macky Sall, a fait de lui un symbole de la résistance contre ce que Pastef qualifiait de "dérive autoritaire".
Cet épisode du bracelet électronique, bien que douloureux, a paradoxalement renforcé sa stature au sein du parti et une partie de l’opinion publique. Il est devenu l’un des piliers de la sécurité de Sonko, filtrant les entrées et sorties lors des meetings et déplacements du leader charismatique. Toujours aux côtés de Pros, Bodian a gagné la réputation d’un homme loyal, prêt à tout pour protéger son mentor. Cette loyauté sans faille lui a valu d’être nommé, un mois seulement après l’arrivée au pouvoir du nouveau régime, à la tête du Port autonome de Dakar, un poste stratégique et hautement convoité.
Sa nomination à la tête du PAD est le signe d’une récompense pour ses années de loyauté envers Sonko. Le Port autonome de Dakar, souvent qualifié de "mamelle de l’économie sénégalaise", est un joyau national, un carrefour commercial essentiel pour le pays et la région ouest-africaine. Confier cette institution à Waly, un homme sans expérience avérée dans le domaine portuaire, a suscité des interrogations et des critiques. Pour ses détracteurs, cette nomination est avant tout politique, un moyen de récompenser un fidèle plutôt que de choisir un expert du secteur.
Depuis son arrivée, le PAD est régulièrement sous les feux de l’actualité, mais pas toujours pour les bonnes raisons. Les conflits syndicaux, les problèmes de recrutement et les accusations de gestion autoritaire ont éclipsé les avancées que le nouveau boss et son équipe tentent de mettre en avant. Les syndicats dénoncent une gestion "monarchique", accusant le directeur général de licencier des centaines de travailleurs précaires tout en recrutant des proches en CDI.
Ces accusations, bien que réfutées par la direction du port, ont alimenté une polémique qui ne semble pas près de s’éteindre.
Un style direct et provocateur
Waly Diouf Bodian est connu pour son style direct, voire provocateur. Très actif sur les réseaux sociaux, il n’hésite pas à entrer en guerre ouverte avec ses détracteurs, qu’ils soient citoyens, syndicalistes ou opposants politiques. Ses posts, souvent teintés d’ironie et de sarcasme, révèlent un homme qui ne mâche pas ses mots.
Par exemple, à la journée sans presse en aout 2024, il ironise ouvertement sur cette initiative journalistique : ‘’Le but de la journée ‘sans presse’ ? C'est d'accéder à une journée sans impôts. Ce combat est perdu d'avance.’’ Une déclaration qui en dit long sur son rapport tumultueux avec les médias.
Waly ne se contente pas de répondre aux critiques ; il les anticipe, les provoque et parfois les amplifie. Récemment, il a accusé une partie de cette presse de manipulation. Lorsque cette dernière évoque les données de l’ANSD sur la baisse de performance du PAD en 2024, en variation annuelle par rapport à 2023, il contre-attaque : ‘’Le port de Dakar se porte bien et a progressé en termes de trafic, de chiffre d’affaires et de bénéfice réalisé. N’en déplaise aux journaux dont les conventions de complaisance ont été résiliées.’’
Cette attitude, bien que défendue par certains comme une marque de franchise, est souvent perçue comme contre-productive, noyant le travail de la cellule de communication du port et alimentant les polémiques plutôt que de les apaiser.
En effet, pour beaucoup d’observateurs, cette approche ne fait pas l’unanimité. Certains estiment qu’un directeur général ne devrait pas se livrer à de telles joutes verbales, au risque de décrédibiliser l’institution qu’il dirige. D’autres, en revanche, louent sa transparence et son franc-parler.
Conflits syndicaux et gestion controversée
Parallèlement, les relations de Waly Diouf Bodian avec les syndicats du port sont tendues, pour ne pas dire conflictuelles. Les syndicalistes dénoncent une gestion autoritaire et opaque, marquée par des licenciements massifs et des recrutements obscurs. En novembre 2024, trois membres du syndicat ont été limogés, après avoir partagé sur WhatsApp une photo de Bodian accompagnée d’une accusation selon laquelle il aurait octroyé un marché de 24 millions de francs CFA à son frère. Mais pour les travailleurs concernés, ces explications ne suffisent pas à justifier ce qu’ils considèrent comme une injustice.
Pour certains, ces conflits syndicaux révèlent une gestion jugée brutale et peu soucieuse du dialogue social. Pour Abdou Ndiaye, représentant du Syndicat des travailleurs du port, Bodian se comporte "comme un monarque", imposant ses décisions sans consulter les parties prenantes. Cette image d’un dirigeant autoritaire et peu enclin au compromis colle désormais à la peau du DG du PAD, malgré les efforts de son équipe pour défendre sa gestion.
La direction générale du port réfute toutefois tout acte de licenciement abusif, arguant que ces travailleurs étaient sous contrat à durée déterminée arrivé à expiration.
Un stratège politique redoutable
Sur le plan politique, Waly Diouf Bodian est un stratège redoutable. Militant dans le département de Keur Massar, un bastion de Pastef, il a su s’imposer comme une figure incontournable, même s’il ne fait pas l’unanimité. Lors des dernières Législatives, il s’est opposé au Dr Seydou Diallo pour le poste de coordinateur, sans parvenir à un consensus. Ses méthodes, jugées parfois brutales, lui valent des critiques au sein même de son parti.
C’est un homme qui sait éliminer ou écarter ses adversaires, quitte à susciter des rancœurs, renseigne un militant de Keur Massar-Sud.
Sa proximité avec Ousmane Sonko lui confère une influence considérable, mais elle est aussi une source de tensions. Certains militants lui reprochent d’utiliser cette proximité pour asseoir son pouvoir, au détriment d’une gestion plus collégiale. Son désaccord avec certaines décisions, comme la nomination de Samba Ndiaye, montre qu’il n’hésite pas à exprimer ses divergences, même au sein de son propre camp.
Il incarne à la fois les espoirs et les imperfections du nouveau régime. Homme de confiance, loyal et déterminé, il a su s’imposer comme une figure clé de l’Administration sénégalaise. Mais son style autoritaire, ses conflits avec les syndicats et la presse, et ses méthodes souvent critiquées révèlent un homme à double tranchant.
Reste à savoir si son style de gouvernance lui permettra de maintenir son influence ou s’il finira par s’attirer trop d’ennemis, aussi bien au sein du PAD que dans son propre camp politique. Une chose est sûre : il ne laisse personne indifférent.
AMADOU CAMARA GUEYE