L'Afrique du meilleur, l'Afrique du pire
C'est dans l'avion que me ramenait d'Abidjan après ma participation aux Assemblées annuelles de la Banque africaine de Développement que j'ai commencé la rédaction de cet article. Je débordais d'enthousiasme à l'idée de partager les rafraichissantes discussions que j'ai eues tout au long de la semaine avec d'éminents africains sur les atouts de ce continent qui s'élève et que rien ne semble plus pouvoir arrêter.
En 2011, le célèbre journal "The Economist" avait publié un titre fort évocateur en parlant du Continent de l'espoir, "The rising continent". Onze ans plus tôt, le même journal avait pourtant dit l'exact contraire: " hopeless Africa". Depuis, les africains veulent voir moins le passé qui leur a été volé ou le présent qui leur est imposé, mais le futur qu’ils peuvent se construire. C'est l'ère d'une nouvelle saga africaine. Je ne suis pas naïf au point de me laisser croire que tout est pour le mieux dans le meilleur des Afriques possibles. Je sais bien que l'Afrique souffre encore d'inextricables maux de toutes sortes, mais je choisis, quelques fois, de ne voir les choses que du bon côté.
Même si j'étais plutôt déçu à Abidjan de voir que Mme Cristina Duarte, Ministre des Finances du Cap Vert, que j'ai soutenu à cause de son remarquable palmarès personnel et des bonds qualitatifs tangibles effectués par le Cap vert au plan économique et social, n'a pas été portée à la tête de la BAD, je me suis fait une raison en me disant que l'élection du Nigerian Adesina était aussi le signe, sinon la preuve, d'un leadership que le Nigeria compte désormais assumer sur le continent. Et nul ne s'en plaindra. Il y a quelques années, le Nigeria avait lancé une initiative intitulée "Rebranding Nigeria" dont le slogan était " Good people, Great Nation". Mais il n'a pas eu beaucoup de succès, pour ainsi dire, pour passer du slogan à l'action.
Le Nigeria a été trop longtemps empêtré dans ses contradictions internes, sa mal gouvernance endémique, sa corruption traumatisante et ces dernières années dans le fléau Boko Haram. Mais ce pays vient de rentrer dans la saison des bonnes nouvelles en accédant tour à tour au statut de première économie du continent africain, de démocratie majeure suite à une élection présidentielle quasiment sans tâche et en fin à la Présidence de la BAD grâce au leadership, à l'entregent et la perspicacité de Ngozi Okonjo-Iweala, dame de fer qui dirige l'économie de géant d'Afrique de main de maître.
C'est pourquoi à l'entame de cette réflexion, j'avais choisis de l'intituler "l'Afrique des bonnes nouvelles." Mais mon enthousiasme n'a duré que le temps du vol Abidjan-Dakar. Dès mon arrivée, j'ai retrouvé la dure réalité d'un Pays Sans Eau (PSE) et d'un Pays Sans Electricité (PSE). Deux heures après l'atterrissage de mon avion, je me suis retrouvé dans l'arrière cours de la maison d'un compatriote chanceux, l'un des rares qui avaient encore de l'eau dans ce quartier d'Ouest Foire, pour lui demander de quoi de remplir mes seaux et bidons.
J'ai ensuite passé une bonne partie de la journée du dimanche dehors, tentant d'organiser la distribution de la citerne d'eau que la SDE nous envoyée à des dizaines de nos concitoyens, pour la plupart des femmes et des enfants, ramenés à l'âge des querelles de bornes fontaines par des dirigeants dont l'incompétence dépasse l'entendement. J'ai encore repris la route et les bidons le lundi jusqu'à 21 heures et me suis levé le mardi à 4 heures du matin pour guetter le robinet.
J'ai beau vouloir rester positif et confiant, je suis bien obligé de laisser sortir mon indignation et de reconnaitre que l'Afrique du meilleur est encore un îlot dans l'océan de l'Afrique du Pire. Ce n'est pas la faute du "petit peuple". C'est la faute des leaders ou des dealers pour parler comme l'autre.
Qui ne peut donner à son peuple de l'eau et de l'électricité ne peut lui garantir l'émergence. C'est hors de portée. Je ne souhaite même pas revenir sur les explications plates et alambiquées fournies par la direction de la SENELEC. Le Président de la République lui-même y a perdu son latin. Sauf qu'à sa place, je n'aurai pas demandé aux responsables de la SENELEC et la SONES de prendre leurs responsabilités. J'aurai pris la mienne en les enlevant et les remplaçant par des Sénégalais plus compétents et sans doute plus conscients de l'importance de la mission qui leur est assignée.
Mais cette prise de hauteur semble aussi, malheureusement, impossible. Un Président ça ne se lamente pas lorsque le peuple souffre. Quand quelque chose est "inacceptable" , le Président ne le constate pas comme tout le monde pour s'en plaindre. Il agit. Pour que l'eau coule en fin de nos robinets. Si ce n'est pas trop demandé.
Par Cheikh Tidiane DIEYE
Docteur en Etudes du Développement