Publié le 20 May 2014 - 22:07
LIBRE PAROLE

Rendez-nous notre Casamance nationale !

 

Le Président de la République a fait un voyage de trois jours à Ziguinchor. Tout au long de son séjour, il avait comme leitmotiv – quelques clins d’œil politiciens exceptés –, la paix et le développement. La paix et le développement ! Oui, il est temps, grand temps que la paix revienne d’abord dans cette belle Casamance, notre Casamance nationale. Sans cette précieuse paix, aucun développement n’est envisageable dans la Région.

Notre Casamance a suffisamment souffert, elle est suffisamment meurtrie. Tout est parti de cette marche vers la gouvernance de Ziguinchor, le 26 décembre 1982. Un an exactement après, le 26 décembre 1983, «en réaction à la répression dont seraient régulièrement victimes ses sympathisants», le Mouvement démocratique des Forces de Casamance (MFDC) – c’est de lui qu’il s’agissait –, créa l’aile militaire, sous le nom de Atika (combattant en diola).

Cette dernière date marqua, dit-on, le début du conflit, de la rébellion avec comme toile de fond l’indépendance de la Casamance. Cet « irrédentisme », autre nom donné au mouvement indépendantiste, était déjà dans l’air quelques années auparavant, sous l’impulsion, disait-on, de l’Abbé Augustin Diamacoune Senghor, qui présentait les Casamançais comme lésés par rapport aux « Nordistes ». Il accusait ces derniers de pillage systématique des importantes ressources de la Région. L’Etat sénégalais surtout en avait pour son grade : il avait laissé pour compte la Région dont il ne se préoccupait ni du développement, ni du désenclavement.

Trente deux (32) ans après, nous continuons de souffrir des meurtrissures de cette très regrettable guerre. Nous pouvons, cependant, nous permettre d’être raisonnablement optimistes, si on tient compte de la tournure que semblent prendre progressivement les événements. Toutes les bonnes volontés doivent s’investir dans la recherche de solutions susceptibles de faire revenir rapidement la paix, une paix durable, définitive en Casamance. Cette modeste contribution s’inscrit dans la même perspective.

J’ai visité la Casamance pour la première fois en janvier-février 1980. J’avais choisi cette région pour faire mon stage rural, qui s’inscrivait dans le cadre de ma formation d’inspecteur de l’Enseignement élémentaire. J’ai parcouru les trois départements (Ziguinchor, Bignona, Oussouye). J’ai passé quatre jours au village de Djirak, sur la route du Cap Skiring, 6 à 7 kilomètres après Oussouye.

J’en ai passé quatre autres à Coubanao, dans le Département de Bignona, si mes souvenir sont exacts. J’ai été émerveillé par la beauté de la Région, par la gentillesse de ses populations avec qui je suis entré en contact. Je n’avais vraiment pas l’impression d’être dans une région délaissée. Je n’avais aucun problème à me rendre dans les trois départements. Sans doute, était-il un peu plus difficile de se rendre dans certains villages.

Il est vrai que je suis un Sahélien, du Département de Louga, plus exactement de Koki. La distance entre Louga et Koki est de 27 kilomètres. Nous mettions à l’époque (jusqu’en 1983) près de deux heures pour boucler les 27 kilomètres. Et quand nous arrivions, nous étions méconnaissables à cause de la poussière. Nous éprouvions les mêmes difficultés pour nous rendre à Darah, à Linguère, le seul train Louga-Linguère étant alors supprimé et les rails démantelés et vendus. Nous étions loin, très loin, d’être mieux lotis que la Casamance. Nos situations n’étaient même pas comparables. Il en était de même des Régions de Diourbel, de Fatick, de Tambacounda, des Départements de Podor, de Matam, de Kédougou, pour ne citer que ceux-là.

Il est vrai que si les gouvernements qui se sont succédé au Sénégal s’étaient convenablement occupés du développement de la Casamance, et d’abord de son désenclavement, cette région serait peut-être capable, à elle seule, de nourrir aujourd’hui le Sénégal. Il est vrai aussi que les Régions de Diourbel, de Fatick, de Tambacounda ne seraient pas aussi pauvres qu’elles le sont aujourd’hui, pour peu qu’elles fussent l’objet d’un peu plus d’attention. Ce n’est donc pas la seule Casamance qui a été délaissée, mais toutes les autres régions situées au centre, à l’est et au nord du pays.

L’Abbé Diamacoune et les siens vivaient aussi mal, semble-t-il, « l’accaparement » des terres de la Casamance par les « Nordistes ». Et, peut-être même, des postes politiques (députés, maires, etc). Déjà, avant l’indépendance de notre pays, des fonctionnaires « nordistes » (enseignants, infirmiers, agents techniques de l’agriculture, de l’élevage, etc) étaient affectés en Casamance.

Nombre d’entre eux ont choisi de rester dans la Région et s’y sont mariés avec des femmes diola, mandingues, balantes, etc. Leurs enfants, métis, parlent toutes les langues de la Région qui est la leur. Ces fonctionnaires, qu’ils fussent des Ndiaye, Diop, Niang ou Fall,  étaient quand même fondés à avoir un lopin de terre pour se construire une maison, ou un autre pour cultiver, si telle était leur volonté ! Ils pouvaient devenir députés, maires, si telle était la volonté des populations !

Robert Sagna, Abdoulaye Baldé, Pierre Goudiabi Atépa et de nombreux autres fils de la Casamance ont une, deux maisons ou peut-être plus à Dakar. Ils peuvent en avoir à Thiès, à Saint-Louis, à Diourbel et partout ailleurs au Sénégal où ils sont chez eux. Tété Diédhiou a été maire des Parcelles Assainies pendant plusieurs années. L’actuel maire de Malika est aussi un Diédhiou. Pourquoi pas ? Ce sont des Sénégalais à part entière !

Les Robert Sagna, Assane Seck, Abdou Khadre Cissokho ont été sans désemparer ministres pendant plus de vingt ans. Émile Badiane l’aurait été sûrement s’il n’avait pas été prématurément arraché à notre affection. Il en est de même de Madi Cissokho, qui était un homme de confiance du président Senghor, dont il assurait souvent la suppléance quand il passait ses vacances en Normandie. Donc, l’origine ethnique, religieuse, géographique ou autre n’a jamais été déterminante dans le choix des hommes et des femmes qui nous gouvernent.

Le mépris culturel ou ce qu’on prend pour tel est présenté aussi comme une explication au déclenchement de la rébellion en Casamance. Le wolof n’aurait aucun respect pour les autres ethnies qu’il traiterait comme des objets. Ainsi, l’entendrait-on toujours dire avec aplomb : « Sama naar bi, sama pël bi, sama joola bi, etc. » Les « bonnes » diola sont traitées avec le même mépris, de la part surtout des employeurs wolofs (encore eux !).

Ces derniers les font travailler comme de vraies esclaves et, parfois, leur doivent plusieurs mois d’arriérés de salaire. Ils vont jusqu’à les accuser de vols de bijoux et d’argent et les faire arrêter par la police. Manière ignoble de leur faire oublier leurs arriérés de salaire, leur préoccupation étant de sortir des griffes de la police. J’ai entendu ces graves accusations à l’émission « Remue-ménage » de la RFM du dimanche 23 mars 2014.

Le compatriote qui a porté ces graves accusations donne l’impression que toutes les « bonnes » sont diola. Ce qui est loin d’être exact. Il suffit d’aller du côté de Liberté 6, à l’endroit où les « bonnes » (employées de maison) se regroupent et attendent un éventuel employeur. Toutes les ethnies du Sénégal y sont représentées. Il suffit aussi de consulter les différents quotidiens de la place. Les « bonnes » qui sont accusées de vols et conduites à la police sont loin, très loin d’être toutes des diolas. Il y aurait même parmi elles, plus de Diop, de Ndiaye, de Fall, de Niang que de Bodian, de Dédhiou, de  Sambou.

Si le mépris culturel existe au Sénégal, il n’est pas le fait d’une ethnie en particulier. On le rencontre chez des individus appartenant à différentes ethnies. Un ami d’une autre ethnie m’appelait le « petit wolof ». Amicalement, précisait-il. En réalité, ce sont tous les membres de sa communauté qui nous appellent ainsi et qui se croient forcément supérieurs à nous. Un grand professeur de l’Université de Dakar se distinguait par le fait singulier qu’il interdisait formellement à son épouse d’employer une « bonne » wolof, parce qu’il ne souhaitait pas qu’on parle la langue de Kocc Barma à ses enfants. Et cet exemple est d’ailleurs loin d’être un cas isolé.

On n’oublie aussi de rappeler parfois, qu’au beau milieu de la guerre en Casamance, les éléments « supposés appartenir au MFDC » qui arrêtaient les véhicules, exigeaient les cartes nationales d’identité et mettaient de côté les Niang, Guèye, Fall, Mbengue, Diop, Ndiaye et d’autres noms à consonance « nordique », et les abattaient sans état d’âme. Les imams « nordiques » n’étaient pas non plus épargnés. Pendant ce temps, il n’y a jamais eu de représailles de l’autre côté. Jamais, même si, parfois, les massacres étaient insupportables.

J’ai été témoin d’un fait qui m’a à la fois beaucoup ému et réconforté. Une famille organisait des prières pour le repos de l’âme de deux de ses membres massacrés lors d’une attaque « d’éléments supposés appartenir au MFDC ». Des voisins diola sont venus présenter leurs condoléances. La fille de l’une des deux victimes péta carrément les plombs et courut vers eux l’injure à la bouche. Elle fut plaquée net au sol par des membres de sa famille qui l’entraînèrent dans une chambre et la rabrouèrent copieusement. Quelques minutes après, elle sortit de la chambre, se dirigea vers les voisins diola et tomba dans leurs bras. Ils se mirent alors tous à pleurer et entraînèrent toute l’assistance dans les pleurs.

C’est cela le Sénégal, à mille lieues de celui que certains compatriotes s’évertuent à nous présenter. Nous formons, sur l’ensemble du territoire national, un même peuple, une même nation. Nous avons cette chance inouïe que des populations d’ethnies, de religions, de confréries différentes vivent en parfaite harmonie depuis la nuit des temps.

Nous fêtons ensemble les cérémonies traditionnelles ou religieuses et nous marions entre nous. Nous devons toucher du bois quand nous apprenons, chaque jour, les massacres qui sont perpétrés en République centrafricaine, au Nigeria, en Somalie, en Irak, en Afghanistan, au Pakistan par des « fous de Dieu ». Dieu nous a également jusqu’ici épargné les carnages interethniques qui endeuillent (ou ont endeuillé) des pays de l’Est de l’Afrique et d’autres, plus près de nous, comme la Guinée Conakry (dans sa partie forestière), la Côte d’Ivoire, le Liberia, la Sierra Leone, etc.

Trente deux ans de guerre fratricide, cela suffit. Notre Casamance nationale est suffisamment meurtrie. Elle a besoin de retrouver la paix des cœurs et des esprits. Aucun sacrifice raisonnable n’est de trop pour y arriver. L’Etat du Sénégal a révélé au grand jour ses bonnes dispositions à travailler pour l’avènement de la paix dans la Région. Les différentes factions du MFDC devraient saisir cette opportunité pour engager le dialogue avec lui, de préférence au Sénégal, le pays à nous tous.

Une Casamance paisible peut changer complètement de visage en quelques années. Le gouvernement du Sénégal et les partenaires au développement sont prêts à y travailler. Même si elle n’est pas la moins bien lotie des régions du Sénégal, la Casamance mérite, pour les besoins de la paix, des mesures substantielles de discrimination positive.

Le jeu en vaut largement la chandelle. La paix signée devrait être suivie rapidement d’actes concrets : réhabilitation des barrages, des digues de retenue, de la mangrove (Aly El HaÏdar et d’autres partenaires ont montré que c’était bien possible). Avec des moyens importants et de la bonne volonté, de vastes superficies de terre peuvent être arrachées au sel et livrées à l’agriculture. Le gouvernement peut disposer également de suffisamment de ressources pour éradiquer de la Région la mouche blanche.

Le désenclavement devrait s’arroger la part du lion dans les milliards nécessaires au développement de la Région. En particulier, les aéroports de Ziguinchor, du Cap Skirring, de Kolda, de Sédhiou, devraient être modernisés. Les deux premiers en particulier devraient l’être rapidement pour accueillir de gros porteurs.

Deux bateaux supplémentaires sont déjà annoncés pour juillet 2014. Le gouvernement n’a d’autres choix que de respecter rigoureusement ce délai. Une autre priorité, la priorité des priorités, qui l’est plus que toutes les autres, la route de contournement de la Gambie, abrégera les souffrances des populations du Sud et contribuera à y relancer le développement. Nous avons trop compté sur le Pont de la Gambie, qui ne se fera sûrement pas – si toutefois elle doit se faire – avant les dix prochaines années. Les routes goudronnées et les pistes de production en construction se poursuivront avec intensité.

Il faudra aussi transformer un rêve du président Wade en réalité : la construction du chemin de fer Dakar-Ziguinchor-Tambacounda ou Dakar-Tambacounda-Ziguinchor (c’est selon). Ce ne sera sûrement pas pour onze mois, comme le promettait Hercule Wade. L’important, c’est de le retenir comme projet prioritaire et de travailler à le réaliser. C’est bien possible, avec de la bonne volonté et l’aide des partenaires au développement.

Ces réalisations, qui sont loin d’être exhaustives, en entraîneront de nombreuses autres, en particulier des industries agro-alimentaires. S’y ajoutera le tourisme qui prendra sûrement son envol. Dans cette perspective, l’Ile de Carabane pourrait bien devenir un paradis pour touristes, et pour votre serviteur, s’il en a les moyens. Pourquoi ne pas rêver ? (...)

Dakar, le 30 mars 2014

Mody Niang, mail

modyniang@arc.sn

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