Publié le 31 Oct 2022 - 22:30
LOI SUR LE CONTENU LOCAL

Le défi de l’application

 

Catering, boulangerie, pâtisserie, buanderie, houskeeping, maçonnerie, peinture… voilà un ensemble de métiers dans lesquels les Sénégalais disposent de compétences certaines, mais qui leur échappent sur les différentes plateformes pétrolières et gazières. Malgré la loi sur le contenu local, les sociétés de placement préfèrent à la place des nationaux des Philippins, Malaisiens, Camerounais et autres Nigérians réputés être de bon marché.

 

En dépit des dispositions de la loi sur le contenu local, le partage des fruits de l’exploitation pétrogazière continue de se faire au nez et à la barbe des populations sénégalaises. Après les premières vagues de licenciement, un autre groupe a été débarqué hier au Port autonome de Dakar, bien que l’activité bat son plein dans les différentes plateformes.

Membre du collectif des Sénégalais licenciés, Adama Sall était sur les lieux pour les accueillir. Il peste : ‘’Ce qui se passe sur les plateformes est inadmissible. Les Sénégalais subissent toutes sortes de préjudice et de discrimination. Non seulement, les conventions ne sont pas respectées en ce qui concerne leur traitement salarial, mais ils pensent que nous ne méritons pas le peu qu’ils nous donnent, simplement parce que nous sommes des Africains. Voilà pourquoi ils vont chercher des Asiatiques, notamment des Philippins, des Malaisiens et d’autres nationalités pour nous remplacer. Nous sommes victimes d’une injustice dans notre propre pays. C’est honteux.’’

Pendant qu’Adama Sall et Cie sont libérés pour ‘’motif économique’’, RMO continue le travail avec d’autres travailleurs de nationalité étrangère. Le porte-parole du collectif fulmine : ‘’A la place, ils sont allés chercher des Philippins pour faire le même travail, dans les domaines de la restauration, de la pâtisserie, de la buanderie, de la plonge... Or, nous avons les mêmes compétences, sinon même beaucoup plus de compétences. Du point de vue de la compétence, ils n’ont rien à nous reprocher. Et les clients sur place peuvent en témoigner. Ils étaient agréablement surpris du travail abattu par les Sénégalais, notamment dans les domaines de la restauration et de la pâtisserie, comme dans la buanderie et la plonge. On faisait leurs plats (les plats européens) mieux que les citoyens européens qui ont été dans un premier temps recrutés comme chefs.’’

Pourquoi donc les entreprises tiennent-elles à avoir coûte que coûte de la main-d’œuvre étrangère ? En l’espèce, c’est surtout pour payer moins, pensent savoir nos interlocuteurs. ‘’Avec les Asiatiques et autres Africains, ils ne passent même pas par l’Agence nationale des affaires maritimes (Anam). Ils sont nombreux, les travailleurs sur place, à ne pas disposer de contrats en bonne et due forme. Et pour ne pas prendre de risques, ils vont chercher des Asiatiques qu’ils peuvent exploiter à souhait. Je dois signaler que les clients comme Eiffage, BP et les autres n’y sont pour rien. Ce sont surtout les sociétés de placement et d’intérim qui sont à la base de toute cette nébuleuse’’, dénonce un des licenciés.

Le Comité national de suivi du contenu local et l’Anam interpellés

De telles pratiques sont aux antipodes des dispositions de la loi sur le contenu local. Lequel prévoit, en son article 7 : ‘’Les contractants, sous-traitants, prestataires de service et fournisseurs emploient, en priorité, du personnel sénégalais lorsque celui-ci dispose des compétences requises. Les emplois non qualifiés sont proposés en priorité aux résidents des communautés locales ou de celles avoisinant les lieux où se déroulent les activités pétrolières et gazières.’’ Il résulte de la même disposition que ‘’chaque contractant, sous-traitant, prestataire de service et fournisseur précise, dans son plan de contenu local, les mesures prises pour permettre à des ressortissants sénégalais d'acquérir les qualifications et l'expertise nécessaires pour remplacer graduellement les employés non nationaux. Ce plan décrit les progrès en matière de recours à l'emploi local, ainsi que les activités en matière de création d'emplois et de renforcement des capacités’’.

D’ailleurs, un Comité national de suivi du contenu local a été mis en place pour veiller sur l’effectivité de la loi sur les différentes plateformes.  

Dans tous les cas, dans le secteur, la plupart des entreprises disposant d’agrément appartiennent à des étrangers. Pourtant, les compétences ne manquent pas, notamment dans le domaine du catering et du houskeeping. ‘’C’est faux de penser que nous n’avons pas les compétences. Il y a tellement d’emplois sur les plateformes que nous pouvons exercer. Les compagnies paient très cher le service, mais ce sont les sociétés de placement qui captent tout et qui font tout pour payer des miettes aux travailleurs. Nous pensons que l’État doit prendre ses responsabilités’’, alerte Adama Sall. 

Recrutés par une société nommée O2 dans un premier temps, ces travailleurs qui ont quitté de grands hôtels de la place ont été mis à la disposition d’une autre appelée RMO. ‘’Cette société nous a fait signer des contrats en bonne et due forme pour servir dans un bateau qui se trouve à Sangomar, en l’occurrence le ‘Diamond Black Rhino’. C’est le bateau qui figure dans nos contrats. Mais au lieu de nous amener là-bas, ils nous ont conduits à Saint-Louis Offshore pour travailler sur un autre bateau. Après 13 mois de travail, ils nous ont envoyé des lettres de licenciement sans préavis. Nous réclamons juste le respect des termes de nos contrats. C’est-à-dire qu’on nous redéploie sur le bateau qui figure dans nos contrats.’’

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FACT-CHECKING

Le contenu local ne signifie pas la transformation du gaz à Saint-Louis

Enjeu fondamental de développement, le contenu local est au cœur du débat relatif aux hydrocarbures. Les politiciens ne sont pas en reste. ''Bientôt, disait Aminata Touré pour convaincre les électeurs, Saint-Louis sera la capitale du gaz au Sénégal. L’État a adopté une loi sur le contenu local. Cela signifie que le gaz qu’on va extraire, c’est vous qui allez le transformer. Donc, le département de Saint-Louis a un bel avenir devant lui’’. Il faut noter que les enjeux sont bien plus complexes et sont aux antipodes des affirmations de l’ex-lieutenant de Macky Sall. 

Babacar Sy Seye et Mor Amar

Le Sénégal sera bientôt membre de l’Organisation des pays exportateurs de gaz. Ceci aura des conséquences sur le plan économique et social du pays.  Mais concrètement, comment les populations locales devront-elles sentir cette émergence économique prévue en 2023 ? Que dit la loi sur le contenu local ? Les réponses sont loin d’être évidentes. Même des personnalités s’y perdent. Lors des élections législatives, pour avoir le vote des Saint-Louisiens, l’ex-lieutenant de Macky Sall, Aminata Touré, disait : ''Bientôt, Saint-Louis sera la capitale du gaz au Sénégal. L’État a adopté une loi sur le contenu local. Cela signifie que le gaz qu’on va extraire, c’est vous qui allez le transformer. Donc, le département de Saint-Louis a un bel avenir devant lui.’’’https://fb.watch/eivd7fpNV9/?fs=e&s=cl

La question qui se pose est alors de savoir si le contenu local signifie que les ressources naturelles doivent être forcément transformées par les populations des localités où se trouvent les gisements ? En l’occurrence, le gaz du champ GTA doit-il être transformé par les Saint-Louisiens ou à Saint-Louis ? 

Aux termes de l’article 1er de la loi 2019-04, ‘’le contenu local dans le secteur des hydrocarbures renvoie à l'ensemble des initiatives prises en vue de promouvoir l'utilisation des biens et des services nationaux, ainsi que le développement de la participation de la main-d'œuvre, de la technologie et du capital nationaux dans toute la chaîne de valeur de l'industrie pétrolière et gazière’’.

Dans la même veine, l’article 3 a été précis, en ce qui concerne les objectifs à atteindre avec une telle disposition. ‘’La présente loi, souligne-t-il, a pour objectif de promouvoir et de développer le contenu local, c'est-à-dire : a) d'augmenter la valeur ajoutée locale et la création d'emplois locaux dans la chaîne de valeur des industries pétrolières et gazières grâce à l'utilisation de l'expertise, ainsi que des biens et services locaux ; b) de favoriser le développement d'une main-d'œuvre locale qualifiée et compétitive ; c) de développer les capacités nationales dans la chaîne de valeur de l'industrie pétrolière et gazière par l'éducation, la formation, le transfert de technologie et de savoir-faire et la recherche-développement ; d) de favoriser le renforcement de la compétitivité nationale et internationale des entreprises sénégalaises’’.

Membre du Groupe multipartite d’ITIE/Sénégal (Initiative pour la transparence dans les industries extractives), Moussa Mbaye Guèye s’est voulu on ne peut plus clair. Selon lui, dans le contenu local, il est surtout question de l’emploi de la main-d’œuvre locale, de la dimension approvisionnement local pour les entreprises sénégalaises et la participation au développement local. ‘’Quand on parle de contenu local, souligne-t-il, les gens ont tendance à se limiter à la question de l’emploi. Mais le contenu local renvoie à trois phases. Il y a la dimension approvisionnement local pour les fournisseurs de biens et de services, mais aussi la participation au développement local… Dans notre perspective, nous disons que travailler avec l’entreprise, c’est mieux que travailler dans l’entreprise. Parce que c’est plus profitable’’. Ce qui lui fait dire qu’il y a beaucoup d’insuffisances dans la déclaration de l’ancienne Première ministre.  

Au-delà de ces dispositions législatives pertinentes, il faut savoir que rien ne sera donné sur un plateau d’argent aux locaux qui, au sens de la loi sur le contenu local, ne sont pas les Saint-Louisiens comme certains peuvent le penser, mais les Sénégalais, quelle que soit leur origine.

Une chose est, en effet, d’avoir la loi, avertit Moussa Mbaye Guèye, mais c’en est une autre d’avoir les compétences qui permettent de s’en prévaloir. ‘’L’État, explique l’expert, peut faire une loi. Ce qui va être problématique, c’est que les gens doivent disposer des compétences pour répondre aux offres d’emploi qu’on va leur proposer. C’est pourquoi nous estimons qu’il faut mettre en place toutes les conditions pour former un tant soit peu les populations, afin qu’elles aient les compétences nécessaires pour répondre potentiellement aux offres d’emploi. C’est aussi valable pour les entreprises qui doivent relever leurs plateaux de compétence pour répondre aux exigences de ce secteur’’. 

Pallier la faiblesse des capacités techniques, technologiques et économiques des entreprises locales

Ainsi, de l’avis du représentant de la société civile au sein de l’ITIE, l’utilisation de la main-d'œuvre locale et la participation des entreprises nationales aux activités pétrolières et gazières ne peuvent être optimales que si les défis liés à la faiblesse des capacités techniques, technologiques et économiques des entreprises locales et ceux liés à la qualification professionnelle de la main-d'œuvre sont relevés. Il déclare : ‘Il faut noter que le Master Gaed (apprendre à gérer les impacts des activités extractives) a été lancé à Saint-Louis et à  Nouakchott, respectivement au niveau des universités USTM et UGB. Son objectif est de former des étudiants d’Afrique francophone à la gestion des fonctions d’interface entre entreprises, États et sociétés civiles’’.

Dans tous les cas, la loi sur le contenu local offre beaucoup d’opportunités, selon le spécialiste, aussi bien au niveau des plateformes qu’au niveau de l’onshore.

Mais il faudrait que Saint-Louis se mette à niveau pour en bénéficier. Moussa Mbaye Guèye explique : ‘’Les travailleurs étrangers qui seront dans les bateaux pour exploitation des ressources ont besoin d’être sur terre à un certain moment. A Saint-Louis, par exemple, il manque d’infrastructures pouvant accueillir ces travailleurs. Actuellement, l’hôtel Onomo de Dakar est le site qui accueille les gens, lorsqu'ils auront besoin de repos. Quelque part, ce n’est pas profitable pour Saint-Louis. Parce que c’est de l’argent qui va être plus dépensé à Dakar’’, a regretté M. Guèye.

En définitive, il faut retenir que la déclaration d’Aminata Touré est vague, imprécise, avec beaucoup d’insuffisances qui peuvent induire en erreur. D’abord, la loi sur le contenu local ne vise pas spécifiquement la population de la localité abritant le gisement, mais les nationaux de manière générale. Ensuite, il faut noter qu’il y a des domaines qui sont réservés exclusivement aux Sénégalais, mais aussi d’autres domaines qui restent ouverts à la concurrence étrangère. Encore que même pour les domaines qui sont en principe réservés aux nationaux, il faudra que les compétences existent pour en tirer pleinement profit. Ce qui est loin d’être le cas pour le moment. 

En 2020, informe le membre du Groupe multipartite, les services et matières achetés auprès des fournisseurs locaux ont représenté 28,91 % du volume total des achats des entreprises sélectionnées. Ils sont évalués à 715 692 333 114 F CFA, selon l’ITIE. 

MOR AMAR

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